Du produit au kit solution
L’évolution du second œuvre et la volonté d’éviter la banalisation du marché par l’arrivée massive des produits importés, pousseront les industriels à lancer non plus des produits mais de véritables systèmes d’assemblage ou kits fonctions.
Alors que les importations augmentent, on assiste à une inflation des prix des produits de marques et cet effet de fourchette entre produits à bas coût et haut de gamme devrait s’amplifier dans les années à venir. Comme le souligne Alain Maugard, président du CSTB : « Pour se démarquer des produits asiatiques, les industriels fabriqueront des produits dont la valeur ajoutée tendra à augmenter et dont le temps de pose sera de plus en plus réduit afin que le coût global du chantier ne soit pas trop onéreux pour le client final ».
Pour résoudre ce mouvement centrifuge de l’offre, la solution pourrait être l’intégration conjointe des produits à faible coût et des produits haut de gamme dans les systèmes constructifs. Laurent Bourguignon, directeur de missions au cabinet Dia-Mart, explique : « Dans les vingt ans à venir, les marques auront fini d’optimiser leur process de fabrication. Elles auront une approche plus modulaire de leur marché, avec l’utilisation de sous-ensembles venant de bassins de production à bas coût. D’ailleurs, ce phénomène de modularité est un mouvement qui se généralise, en production comme en distribution, sous l’effet du développement de la culture informatique ».
Première conséquence : une bonne partie du marché de la construction pourrait être captée par des assembleurs.
La seconde conséquence, si ce mouvement se confirme, sera de savoir où se situera la principale valeur ajoutée pour la filière : dans le produit ou dans la fonction ? Sur le chantier ou en amont, au niveau de la conception même des modules de construction ?
Question incidente importante : quelle sera la valeur ajoutée du négoce dans ce processus ?
Au-delà de la volonté industrielle de débanaliser le marché, la solution modulaire est, pour Alain Maugard, inscrite dans l’évolution de la construction elle-même : « Dans le second œuvre, l’avenir sera marqué par tout ce qui concerne l’intelligence du Bâtiment et la connectique. Cet ensemble, que l’on qualifie aujourd’hui de “tiers œuvre”, nécessitera, pour se développer, des systèmes d’assemblage très simples. Cela amène à se poser le problème de l’apparition de véritables kits rapides de montage dans les composants du second œuvre, comme il en existe sur les chantiers japonais, par exemple, où on ne pose plus des produits mais des solutions complètes ». Pour le président du CSTB, la question se pose également pour le secteur du gros œuvre : « Celui-ci peut-il s’industrialiser davantage ? Les segments du bois et de la construction métallique sont quasi industrialisés aujourd’hui. Ce sera sans doute plus difficile en ce qui concerne le secteur du béton ».
Réglementation et impact environnemental
Le marquage qualitatif (et européen) des produits et leur impact environnemental et sanitaire sont les grands chantiers de l’industrie du Bâtiment.
Pour Patrick Ponthier, délégué général de l’AIMCC (Association des industries de la construction), deux grandes priorités actuelles des fabricants auront des implications directes sur le négoce : le marquage CE et les préoccupations environnementales.
Le marquage des produits relève principalement de la directive « Produits de la construction » de 1998. En France, l’industrie en est aujourd’hui au stade de la mise en œuvre et la moitié des 500 normes prévues est d’ores et déjà disponible. Une des grandes questions dans ce domaine sera la conséquence du marquage CE sur le système d’assurance construction. « Avec le marquage et la normalisation, les contrats d’assurance vont évoluer, estime Patrick Ponthier, tout comme les notions techniques de produits “courants” (qui répondront à la réglementation) et de produits “non courants”. Cette évolution concerne très directement le négoce, estime le délégué général de l’AIMCC : « Les grossistes sont concernés par la question de la qualité des produits car ils sont responsables des systèmes qu’ils diffusent. Le négoce doit donc participer à la reconnaissance des produits par le marquage CE et la certification volontaire ». Pour ce travail, les enseignes s’appuieront à l’avenir sur le « Répertoire permanent des produits de construction » que le CSTB pilote actuellement pour l’AIMCC. Cette banque de données regroupera tous les éléments d’appréciation nécessaires aux bonnes pratiques. Le répertoire devrait être mis à la disposition des assureurs et de tous les acteurs de la filière construction, à partir de 2007. Sa mise au point s’appuiera également sur la refonte de l’ensemble des DTU (pour les rendre « euro-compatibles ») ; une action de fond visant à mettre à la disposition du marché des produits évolués techniquement et réglementairement.
Un autre grand axe de développement futur pour les systèmes constructifs est, bien sûr, la question environnementale et sanitaire. Celle-ci prendra de plus en plus d’importance au fil des années, aux dires de tous les spécialistes interrogés. Cette question peut être abordée sous un double sens. Un sens technologique, avec la prise en compte de l’impact environnemental et sanitaire des ouvrages et des produits qu’ils intègrent. Un sens consumériste : l’environnement compris comme le confort des usagers et sa recherche par ceux-ci. Du point de vue des techniques de construction, la réponse à la préoccupation environnementale et sanitaire se fera au niveau de la démarche HQE (Haute qualité environnementale) pour les ouvrages. Celle-ci se généralisera dans les années à venir en se traduisant par une certification des opérations de construction. Pour qu’un bâtiment soit certifié HQE, les produits utilisés devront, en effet, répondre à des Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Selon le « Plan national santé environnement », 50 % des produits devront être, à terme, mis sous fiches. Les référentiels pour l’établissement des FDES sont pratiquement prêts et, en décembre dernier, a été publiée la norme NF P 01-010 de « Déclaration environnementale et sanitaire des produits de la construction ».
Mais en quoi le négoce est-il concerné par ce mouvement vers la qualité environnementale ? Tout simplement parce que dans les dix à quinze ans à venir, les performances environnementales deviendront des informations classiques à délivrer au client, à l’instar des fiches techniques des produits. Comme l’estime Patrick Ponthier : « Le négoce va de plus en plus avoir à faire face à des demandes de fiches FDES. Il y en a déjà de la part de maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre. L’environnement est un défi pour la filière construction. Le rôle du négoce est très important. Il devra connaître et expliquer les outils référentiels et être capable de vendre les produits adaptés, en faisant la différence avec les produits non marqués CE ou non conformes avec le souci environnemental. Le négoce aura un rôle de gendarme par rapport à l’assainissement qualitatif du marché ».
L’environnement confort
Au-delà de la filière HQE, la recherche d’un confort accru sera un axe majeur de l’impact environnemental et sanitaire en matière construction.
On l’a vu, la clientèle finale sera plus exigeante en termes de qualité et de confort dans l’habitat. C’est dans cette volonté de mieux vivre que réside probablement la future locomotive du marché du Bâtiment. Alain Maugard ne s’y trompe pas : « Il faut entendre aussi par environnement le confort des usagers. Dans ce domaine, les gens vont réclamer des salles de bains améliorées, de l’aération confortable… Ils vont vouloir dans leur logement, la même sophistication du confort qu’ils connaissent dans leur voiture ». Et cette sophistication concernera en premier lieu la gestion énergétique des bâtiments et notamment les systèmes d’isolation acoustique et thermique. « Dans ce domaine, je prédis que vont se développer des isolants de plus en plus performants, comme les fenêtres à triple vitrage, les chauffe-eau solaires, etc. Les bâtiments vont évoluer en matière de production et de consommation d’énergie », avance le président du CSTB.
Ce mouvement pourrait, en passant, favoriser une montée en puissance des filières sèches puisqu’il est plus facile de monter une isolation renforcée à partir du bois ou de l’acier. Dans cette optique, le mur pourrait passer de la fonction de structure portante à une fonction d’immense isolant rigidifié. Malgré tout, cette tendance en faveur de la filière sèche, si elle se confirme, ne signifiera pas la fin de la filière classique (type béton) ; à condition que celle-ci se mette à l’isolation par l’extérieur, en concevant de véritables murs-manteaux.
En attendant, Laurent Bourguignon partage l’avis d’Alain Maugard : « Le mouvement est à une plus grande exigence en qualité de vie et d’adaptation de l’habitat à nos modes de vie. Cela fait partie des aspirations sociales, et nous savons que toute aspiration se traduit par un marché ». Autrement dit, l’écologie du Bâtiment reviendra à intégrer la maison à son environnement en l’adaptant aux besoins, particuliers, de ses habitants. Dans cette optique, Laurent Bourguignon prévient : « A un moment donné, il faudra que les marques arrivent à raccorder une vision client à une technique. Les industriels devront se faire les interprètes entre le besoin client et la capacité technique, tout en sachant qu’au milieu se positionnent le négociant et l’artisan ».
Et le négoce alors ? « Pour lui, il y aura beaucoup d’interlocuteurs pour satisfaire un besoin unique. Le négoce a un rôle à jouer, en interface, entre l’amont industriel et l’aval client (professionnel et final). Il devra comprendre les différents langages. C’est lui qui devra être le traducteur entre le besoin et la technique ».N