D’où qu’on la regarde, la réforme des aides à la rénovation énergétique pour le logement privé en 2024 ressemble à un changement radical de cap. Durant plusieurs années, l’Etat avait largement compté sur le marché.
Certes, l’Anah s’est vu confier au fil des ans des budgets de plus en plus conséquents avec MaPrimeRénov, mais les délégataires CEE, souvent aussi mandataires financiers de MaPrimeRénov’, jouaient un rôle central, agrégeant les aides pour porter des offres de rénovation associant aides publiques et CEE. Leurs perspectives s’assombrissent lourdement, avec le pilotage d’une partie substantielle des CEE par l’Anah l’année prochaine.
Plusieurs ont déjà engagé une sérieuse réduction de voilure, ne remplaçant pas les départs volontaires, voire licenciant une partie de leurs effectifs. Il est loin le temps où Frédéric Utzmann, fondateur d’Effy, siégeait en tribune avec plusieurs ministres pour lancer le Coup de pouce chauffage. C’est comme si le privé, alors désirable, était devenu responsable des insuffisances de la rénovation énergétique dans les quatre dernières années, et qu’il fallait le faire payer. « L’Etat nous a incités à devenir Mon Accompagnateur Rénov, explique l’un d’eux. Mais nous aurions besoin d’une structure territorialisée, alors que nous sommes une équipe centralisée, et une telle transformation ne s’effectue pas en quelques semaines. » Autre vivier pour les délégataires, le tertiaire et l’industrie, où les CEE sont sous-exploités, comme il a été rappelé lors la journée technique des CEE le 6 décembre dernier.
Autre changement à l’ambition radicale, la création du parcours accompagné. Les logements F et G n’auront d’autre choix que de passer par Mon Accompagnateur Rénov (MAR), pour un parcours de rénovation conduisant à une amélioration d’au moins deux lettres de diagnostic, les aides étant majorées pour un saut de quatre classes. Avec des montants variables, cette version de MPR concerne d’ailleurs tous les ménages, des très modestes aux aisés. Le Gouvernement a ainsi répondu aux critiques de plus en plus nombreuses, qui lui reprochaient de financer de la pompe à chaleur dans des maisons non isolées, et donc de ne produire aucune économie d’énergie réelle. Plus question désormais que les passoires thermiques se contentent de changer de système de chauffage. Pour autant, le monde de l’isolation, très critique de la situation antérieure, ne s’y retrouve toujours pas, l’isolation seule n’étant pas aidée.
Inflexions et complexités
La détermination de l’été connaît toutefois quelques inflexions. Faiblesse temporaire du nombre de MAR, ou concession à un monde du bâtiment (Capeb comme FFB) très critique sur la réforme, le ministère a début décembre accordé un sursis de six mois aux passoires thermiques, qui pourront continuer à bénéficier du parcours monogeste jusqu’au 1er juillet 2024. Une décision qui enterre les ambitions de rénovation globale pour 2024. Il y a en effet fort à parier que les devis pour des pompes à chaleur vont se multiplier au premier semestre, et que la réalisation des travaux occupera les acteurs tout au long de l’année, la date de demande de la prime faisant foi. Peut-être de quoi donner le temps à certains délégataires de construire leur activité sur le tertiaire…
Le parcours monogeste a lui aussi fait l’objet d’une évolution. Dans la présentation initiale du dispositif, en juin dernier, l’isolation n’avait pas sa place. L’administration considérait alors que ce parcours, ciblant les logements à partir de E et jusqu’à A, concernait des bâtiments déjà isolés. Il n’y avait donc plus qu’à changer le système de chauffage, pour accélérer la décarbonation. Finalement, si l’isolation seule n’est pas éligible, elle peut toutefois être financée en complément du remplacement d’un système de chauffage : combles, murs (par l’extérieur) et même doubles vitrages retrouvent un petit montant d’aides.
Malgré tous ces accommodements, le nouveau régime d’aides tombe abruptement. « Il ne tient absolument pas compte des travaux déjà réalisés, déplore un autre délégataire. Ainsi, un ménage qui a changé son appareil de chauffage dans une passoire thermique avec des aides récemment devra obligatoirement s’engager dans un parcours accompagné, et à nouveau changer sa pompe à chaleur. » Un regret que Jean-Christophe Repon, président de la Capeb, a exprimé à plusieurs reprises concernant la chaudière gaz : financée jusqu’en cette fin d’année par les CEE, elle sera bannie des chantiers aidés l’an prochain. Au risque d’aller remplacer des chaudières quasi-neuves par des pompes à chaleur, pour un bilan carbone qui risque d’être très défavorable !
Faible transparence
A ce stade, le dispositif paraît encore moins lisible que celui en vigueur les années antérieures. Un parcours de rénovation globale, un monogeste mais qui permet d’en faire deux, une interdiction du second pour les passoires mais au bout de six mois seulement… : le sprint se transforme en course d’orientation. Sans compter que la communication des pouvoirs publics au goutte-à-goutte ne facilite pas la lecture globale. Au 20 décembre, aucune présentation de l’ensemble n’avait encore été effectuée, et de nombreux arbitrages restaient en suspens.
A noter toutefois, la simplification de l’audit, annoncée pour avril. « Il y avait actuellement deux audits différents, celui obligatoire à la vente d’une passoire thermique, sous méthode TH-C-E ex, et celui prévu dans MaPrimeRénov’ », détaille Lucas Mirgalet, directeur du développement de Thermiconseil. La méthode de cet audit (3CL) sera alignée sur celle du DPE.
Une fraude non endiguée
Reste bien sûr de la dimension des fraudes, présente dans tous les esprits. L’administration semble sereine : le MAR veille au grain. Les connaisseurs du système s’affichent moins confiants. Certes, des grandes associations (Soliha, Pacte Habitat…) aux bureaux d’étude sérieux, la plupart des MAR feront correctement leur travail. Mais il suffira de quelques éléments mal intentionnés pour gripper tout le système, en validant des dossiers que l’Anah ne sera pas en mesure de contrôler. Elle n’effectuera plus que 10 % de contrôles sur site, contre 100 % auparavant en rénovation globale. « Nous pensons indispensable que l’Anah assure un contrôle sur site obligatoire et systématique sur tous les chantiers du parcours accompagné. Le MAR n’est pas un contrôleur, s’exclame Audrey Zermati, directrice de la stratégie d’Effy. Il peut même n’avoir pas intérêt, pour que sa mission lui soit payée, à relever des non-conformités. »
Les référentiels techniques qui avaient, de l’avis unanime, permis de monter progressivement en qualité dans les travaux financés par les CEE, ne seront pas repris par l’Anah pour son parcours accompagné. Mais surtout, celle-ci ne paraît pas en mesure de dédoublonner les dossiers. « Imaginons qu’un fraudeur veuille recycler des dossiers de déjà financés, par exemple par l’isolation de combles à 1 €, nous expliquait récemment Basile Camphuis, co-fondateur d’Homnyos. S’il trouve un MAR qui valide l’audit, il peut ensuite déposer le dossier sur la plateforme MaPrimeRénov’ au nom du particulier dont il connaît les identifiants et le valorise au maximum, puisque ces dossiers reposaient sur le plus grand écart possible entre le point de départ et le point d’arrivée. On sera largement aux quatre classes ! Si l’Anah envoie un contrôleur, ce dernier verra des travaux réalisés. Et si quelqu’un finit par se rendre compte du doublon, ce sera lors de la valorisation du dossier au PNCEE, bien après le versement de la prime ! »
A quelques jours de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, beaucoup d’interrogations planent encore. L’atteinte des objectifs, en particulier de 200 000 rénovations globales, paraît bien incertaine. Et chacun de redouter le retour de balancier. « Quand le Gouvernement constatera que ça ne fonctionne pas, il mettra les artisans en cause, en expliquant qu’on n’est pas assez compétents », prédit Jean-Christophe Repon. D’autres redoutent l’ouverture en grand de la procédure d’agrément des MAR, qui laisserait trop de fraudeurs infiltrer le système. Bref, le Gouvernement a du travail pour convaincre du bien-fondé de la réforme en cours.