Le béton doit-il craindre la filière sèche?

Qu’ils soient en bois, en béton ou en acier, les composants préfabriqués issus de l’industrie sont de plus en plus courants dans la construction. Ces nouvelles solutions participent au développement de la filière sèche. Quid alors de la filière humide et de sa figure de proue, la construction béton traditionnelle ?

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Mur préfabriqué en béton

Gain de temps, amélioration de la qualité de la mise en œuvre et des conditions de travail, haute performance thermique des matériaux, un coût global généralement plus bas qu’en filière humide traditionnelle : la préfabrication industrielle séduit concepteurs, promoteurs et industriels, et « assèche » les chantiers. En filière sèche, le chantier n’est pas un lieu de construction mais un lieu d’assemblage. Si les composants du bâtiment sont préfabriqués, l’opération de construction consiste en un « simple » montage. « Avec le durcissement de la réglementation, et un niveau d’exigences croissant, il ne sera bientôt plus possible de construire à un prix raisonnable en employant des systèmes constructifs traditionnels », analyse François Pélegrin, architecte, pour qui la filière sèche faisant appel à des composants industrialisés s’impose.

Pour autant, il ne croit pas que l’évolution de la filière sèche puisse condamner la filière humide. « En France, le béton est roi et la brique a le vent en poupe. La filière humide ne risque pas de disparaître de sitôt, poursuit François Pélegrin. Et ce du fait de son organisation : un maillage fin sur tout le territoire, et parce qu’elle est consommatrice de main d’œuvre. Enfin, il existe une résistance des hommes au changement qui laisse un bel avenir aux modes constructifs traditionnels.» Des modes constructifs traditionnels qui, ne l’oublions pas, intègrent depuis longtemps déjà des solutions préfabriquées (essentiellement sur le marché de la maison individuelle). Mais ce qui semble émerger aujourd’hui est différent. On quitte la préfabrication partielle pour une préfabrication de plus en plus poussée.

Le bois, un danger pour le béton?

La filière sèche possède une marge de progrès apparement plus importante que la filière humide. Et ce par le biais de l’industrialisation. Un terme qui a longtemps été tabou, car la préfabrication lourde n'a pas laissé que des bons souvenirs. « Depuis dix ans, il peut être prononcé. Mais je préfère parler de préfabrication sur mesure » concède François Pélegrin. Le changement de mentalité s’est opéré  grâce à la construction bois, une filière qui a la sympathie de l’opinion publique. Elle repose aujourd’hui sur des procédés de plus en plus industriels. Bénéteau Habitation (BH), filiale du groupe Bénéteau, est un concepteur et un fabricant de maisons groupées et de résidences étudiantes à ossature bois en module tridimensionnel. Son usine fabrique l’équivalent de deux maisons par jour. « Celles-ci sont des produits quasi-finis. Nous y intégrons un maximum d’équipements afin qu’il n’y ait plus qu’à les poser sur les fondations » explique Antoine Fouchard, directeur commercial et marketing chez BH. S’il y a un engouement en France pour la construction bois, il est peu probable qu’elle parvienne à mettre en danger la filière béton. D’abord parce que c’est une filière nouvelle. Pour Frédérik Dain, architecte chez Hobo architectes, « en France, nous manquons encore d’expertise. Les promoteurs ne veulent pas prendre de risque et avoir à essuyer les plâtres. » Pour François Pélegrin, la règlementation incendie (IT 249) renchérit le coût de la façade à ossature bois par rapport aux façades en maçonnerie ou en béton. « Construire en bois revient aujourd’hui plus cher que construire en traditionnel. Ce surcoût favorise la filière minérale » confirme Wilfried Pillard, directeur technique de l’Union de la maçonnerie et du gros œuvre (UMGO-FFB).

Si le bois est aujourd’hui loin de l'emporter sur la filière béton traditionnelle, c’est peut-être le béton lui-même, sous une forme hautement industrialisée, qui viendra dans les prochaines années perturber cette filière classique encore très implantée.

Dans l’urgence de l’après-guerre, la France s’était couverte de bâtiments issus de la préfabrication lourde (« préfa lourde ») en béton : des barres sans âme qui sont aujourd’hui de véritables épaves énergétiques. Pour revenir vers une véritable qualité architecturale, l’industrie de la préfabrication en  béton a été abandonnée par les grands acteurs. Et seules ont survécu quelques PME dont le rôle se limitait à produire des pièces spéciales pour fournir les grands groupes de bétons. Ainsi depuis le début des années 1980, la filière béton est presque exclusivement humide. Personne ne nie les qualités du béton, notamment en termes d’inertie. Il n’est donc pas question de limiter son utilisation. Mais celle-ci pourrait de faire différemment. « Le béton, en filière humide, permet de s’adapter à des conditions complexes, elle est nécessaire pour certains projets originaux et spécifiques, estime Frederik Dain qui conçoit des immeubles tertiaire en pièces de béton préfabriqué. Mais dans la construction tout venant, construire en humide est une aberration.» Il milite pour la renaissance d’une filière sèche béton, basée sur des procédés très industrialisés. « L’industrialisation est synonyme de maîtrise, elle limite la non-qualité » explique-t-il. Le développement d’une telle filière, aujourd’hui considérée comme inexistante, n’est pas impossible. « On observe un véritable intérêt de la part des grands groupes du béton. La mutation technologique ne se fera pas du jour au lendemain, mais elle est en marche et passera par les PME qui détiennent aujourd’hui le savoir-faire de la préfabrication. » Le blocage serait donc pour partie industriel. Autre hypothèse : il pourrait aussi être lié à un manque de compétence côté maîtrise d’œuvre. « Trop peu d’ingénieurs sont capables de penser et dessiner des projets entièrement préfabriqués en béton. Et le dialogue entre concepteurs et réalisateurs, indispensable pour ce genre de démarche, est insuffisant » conclut Frederik Dain.

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