La traversée nord sud des Vosges par le lynx boréal figure parmi les enjeux symboliques du projet Biodiv’Est, porté par la région Grand Est au titre du programme européen Life.
Parmi 10 passages à faune listés par la collectivité, l’ouvrage alsacien de l’autoroute A4, à proximité de Saverne, s’est illustré jusqu’à ce jour comme une contre-référence, malgré l’élégance de son accrochage aux rochers de grès rose des Vosges du nord… « Si j’étais un cerf, jamais je ne m’aventurerais dans un passage aussi étroit », sourit Jean Rottner, président de la région.
Une troisième chance pour le lynx
Trois décennies après la mise en service de l’autoroute et malgré les efforts déployés dès cette époque par la région Alsace pour planifier les continuités écologiques, le chantier de la LGV Est a créé une seconde occasion manquée : faute de consensus et de financements, les études sur le réemploi des déblais du tunnel ferroviaire de Saverne pour élargir le passage sont restées dans les cartons, au milieu des années 2000.
Biodiv’Est relance l’espoir, poussé par un mouvement transfrontalier : la récente réintroduction du lynx boréal dans le Palatinat voisin donne au massif vosgien le statut potentiel de territoire de connexion et de diversification génétique, entre ce foyer du nord et celui du Jura, au sud.
Le choix de l’imprégnation
Le soutien débloqué par la région aux études conduites par la Société d’autoroutes du nord-est de la France, concessionnaire de l’A4, laisse espérer l’ouverture du chantier durant l’actuelle décennie : « Une opération évaluée dans une fourchette de 20 à 25 millions d’euros, pour un passage élargi entre 40 et 60 m », précise Benoît Grandmougin, chef du service Eaux et Biodiversité du Grand Est.
Cette déclinaison de Biodiv’Est dans les TP illustre la méthode qui s’applique à tous les secteurs d’activités, au profit de porteurs de projets publics et privés : « L’imprégnation de tous les acteurs les mieux placés et à la bonne échelle, qu’il s’agisse des associations, des intercommunalités ou des entreprises », résume Jean Rottner.
Dans son esprit, tout commence dès les apprentissages fondamentaux : « Je souscris aux appels à la réhabilitation des maths et du français à l’école, mais j’y ajoute la biodiversité », répète-t-il volontiers. Des générations d’écoliers du Grand Est vont traduire cette idée à travers le suivi d’écosystèmes communaux, dans des « aires cadastrées éducatives » où chaque classe passera le relai à la suivante.
Modèle européen
Avec ses 14 partenaires, Biodiv’est présente une allure de patchwork : la liste à la Prévert comprend 40 fermes modèle, l’aide à la labellisation des « entreprises engagées pour la biodiversité » ou la formation des élus. La région assume ce manque de hiérarchie : « Pour tous les acteurs que nous soutenons, la biodiversité n’a rien d’inné. Notre encouragement amplifie le mouvement et contribue à donner du sens aux engagements de chacun d’entre eux », parie son président.
Souvent associé à la protection d’espèces emblématiques pour des durées de trois à cinq ans avec des montants d’environ cinq millions d’euros, le label Life trouve dans cette démarche transversale l’occasion d’un changement de braquet, dans l'importance comme dans la durée : « Grâce à ce programme trop méconnu en France, le Grand Est deviendra un démonstrateur du lien objectif entre les enjeux environnementaux planétaires et la réalité du terrain », se réjouit Valérie Drezet-Humez, cheffe de la représentation de la Commission européenne en France.
La transversalité de Biodiv’Est donne des arguments pour chercher des financements complémentaires, justifiés par les déclinaisons thématiques : le grand Est espère ajouter 16 millions d’euros du fonds européen de développement régional aux 26 millions d’euros déjà contractualisés avec l’Europe.
Recrutement de 25 experts
Dans le succès remporté par son dossier à Bruxelles, la collectivité voit la validation de choix déterminés, mais atypiques : dotée de 250 millions d’euros de 2020 à 2027, la stratégie régionale de la biodiversité s’est volontairement affranchie de la création d’une agence. En lieu et place, les acteurs se rassemblent dans un comité consultatif. La région pilote sa politique avec un collectif informel qui, chaque mois, réunit autour d’elle les trois agences de l’eau, l’office français pour la biodiversité et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
Fil conducteur de Biodiv’Est, l’ingénierie d’aide au montage et à l’accompagnement de projets se traduira par le renforcement des compétences : 16 recrutements internes se répartiront entre le siège et les maisons de la région réparties sur son territoire ; 9 autres nouveaux experts bénéficieront aux partenaires, dont 2 aux chambres d’agriculture.
Infusion dans l’aménagement
Sous l’impulsion des obligations de lutte contre l’artificialisation des sols dictée par la loi Climat & Résilience, la révision du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires offre l’occasion de distiller Biodiv’Est dans l’urbanisme réglementaire : la région profitera de l’occasion pour affiner le dessin de sa trame verte et bleue.
La déclinaison en aménagement du territoire se manifestera également dans le partenariat avec les six parcs naturels régionaux (PNR) qui quadrillent le Grand Est. Le partage des bonnes pratiques a déjà commencé : « En cas de conflit d’usages entre préservation et fréquentation, le PNR du Jura montre l’exemple qui inspire les autres en matière d’information du public », cite Benoît Grandmougin. La création de 10 nouvelles réserves naturelles régionales figure parmi les mesures phare de Biodiv’Est.
La preuve par le tétras
Le massif vosgien illustre la plus-value régionale, et pas seulement pour le lynx boréal : « Entre le commissaire de massif, les deux régions, les deux PNR et les sept départements, le Grand Tétras ne choisit pas. Mais la région Grand Est présente l’avantage de sa vision globale, quand elle parle de ce sujet avec les stations de ski ou avec les motards qui sillonnent la route des crêtes », explique Jean Rottner.
Concerné par des commandes dans lesquelles la création de noues l’emportera sur la pose d’enrobés, le BTP peut s’attendre à un renouvellement de ses approvisionnements : « Biodiv’Est s’appuiera sur le Business Act de la région Grand Est, qui accorde une importance cruciale au sourcing des matériaux, et notamment le bois, le chanvre et le lin pour la construction », confirme Pascale Gaillot, présidente de la commission Environnement.
Futaies irrégulières, mais productives
Pour garantir la compatibilité entre l’exploitation forestière et le respect des milieux, le Grand Est s’appuie sur Futaie irrégulière école, émanation du parc national des Forêts adossé au syndicat intercommunal de gestion forestière de la région d’Auberive (Haute-Marne).
En aval, le soutien à la filière hêtre – essence dominante de la région - implique l’adaptation des compétences des menuisiers et des charpentiers, qui entreront ainsi dans le champ de Biodiv’Est : le calcul des impacts sur l’emploi fera partie intégrante de l’évaluation du projet.