Vous travaillez depuis longtemps sur une approche temporelle de l’aménagement. Qu’est-ce qui a changé depuis lors ?
Pendant longtemps, l’idée a été d’organiser l’espace pour gagner du temps. L’exemple type de cette volonté a été le développement du TGV. En revanche, on a rarement envisagé l’inverse, c’est-à-dire de travailler sur le temps pour gagner de l’espace.
Aujourd’hui, nous affrontons cependant deux problèmes. D’abord notre société devient majoritairement urbaine et ce phénomène de métropolisation est facteur d’étalement. Se pose ensuite la question de la rencontre. En effet, la ville est le lieu des possibles, des hasards heureux, mais quand elle est de plus en plus étendue et, qui plus est, organisée en archipels fonctionnels en raison du zoning, les interactions deviennent difficiles.
Quelle peut être la solution ?
La solution que je formule depuis de nombreuses années est de travailler sur le « chrono-urbanisme ». Pour resserrer la ville, on peut en effet imposer des règles temporelles. On peut très bien, par exemple, stipuler dans un Scot ou un PLU qu’il sera interdit de bâtir du logement à plus de 10 minutes d’un pôle de services. Seulement, en France, nous avons encore de la place, si bien que nous nous conduisons toujours comme des prédateurs d’espace.
Ville malléable
On peut aussi user de la dimension du temps pour rendre la ville plus malléable. La politique du zoning, héritée de la charte d’Athènes, a spécialisé les lieux : un espace correspondait à une seule fonction. Ainsi, en France, à chaque fois qu’un nouveau besoin est apparu, on lui a dédié un bâtiment célibataire, souvent en périphérie. Un lieu doit au contraire correspondre à plusieurs usages. Ainsi on peut établir des rotations pour pouvoir utiliser par exemple les écoles le soir, après la fin de la classe, ou les universités, l’été quand les étudiants sont en vacances. La ville, ses quartiers doivent devenir une salle polyvalente.
Il faut donc apprendre mieux répartir les fonctions dans le temps…
Prenons l’exemple d’une autoroute surchargée : plutôt que de créer une voie supplémentaire, on peut réfléchir à décaler les horaires de prise de postes dans les entreprises. Aujourd’hui, le temps est un paramètre du développement durable.
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Mais il aurait aussi pu être envisagé comme un outil de gestion de la crise du Covid-19. Aujourd’hui, il est conseillé de se tenir à 1,50 m les uns des autres, ce qui signifie s’étaler dans l’espace mais on aurait pu inciter les gens à s’étaler dans le temps en encadrant leur afflux. D’ailleurs, en imposant un couvre-feu, le gouvernement mène une politique temporelle. Mais avec cet effet qu’en étant ainsi contraints à des horaires restreints, nous sommes plus nombreux en même temps à l’extérieur.
Dimension sensible
L’intérêt du temps est qu’il est de la compétence de tout le monde : il renvoie à une dimension sensible, pas à des notions techniques. Cela représente un avantage quand il est question de dialoguer et de rechercher des compromis.
Quel est l’apport de la théorie de « la ville du quart d’heure » développée par Carlos Moreno ?
Carlos Moreno a réussi à opérer la synthèse d’un certain nombre de problèmes et à proposer des clés de résolutions. Surtout, il a formulé son concept à un moment où il entrait en résonance avec l’agenda politique, les enjeux du changement climatique mais aussi la crise sanitaire. Ce qui aurait encore pu paraître des délires utopistes et bobos il y a peu, est alors devenu central.
Ensuite, il a d’indéniables qualités pédagogiques qui lui permettent d’être compris de tous les publics. Et il a su trouver le mot qui exprime cette idée de la relation espace/temps. Si « ville du quart d’heure » me semble un terme un peu réducteur, Carlos Moreno est parvenu à créer une émulation autour de cette théorie.