Ils ont décidé de prendre le problème par le haut. Depuis qu'ils ont créé la start-up Roofscapes en 2021 (de l’anglais roof : toit et scape : paysage), les architectes Olivier Faber, Tim Cousin, Eytan Levi - respectivement 29, 27 et 26 ans - entendent persuader que la lutte contre le phénomène de surchauffe en milieu urbain passera aussi par les toits. Ils s’attaquent là à un tabou : même dans une ville historique comme Paris, ils sont convaincus qu'il faut agir aux sommets des immeubles et les couvrir de végétation.
Domaine intouchable
Alors qu’au sol, on fourmille d’idées pour casser le bitume des cours d’école, végétaliser les trottoirs et multiplier le nombre d'arbres dans le but de créer des îlots de fraîcheur, le domaine des toitures est pourtant encore considéré comme intouchable. Les immeubles aux toits terrasses construits à partir du XXe siècle, offrent bien une platitude compatible avec des plantations «mais à Paris comme dans beaucoup d’autres centres en Europe, 4/5 des bâtiments présentent des toitures en pente», constatent les architectes. Celles-ci sont forcément moins propices à l’accroche de quoi que ce soit. Et surtout, leur couverture en zinc est jugée tellement caractéristique que d’aucuns plaident pour leur classement par l’Unesco.
«Nous aussi trouvons ce paysage de toitures très beau. Et il n’est pas du tout question de détruire, ni même d’altérer quoi que ce soit», lance le trio de Roofscapes. Mais pour autant, pourquoi s’interdire de réfléchir à atténuer leur impact néfaste ? «En centre urbain il fait jusqu’à 8°C de plus qu'en périphérie notamment en raison de la minéralité des matériaux, facteur d’accumulation de chaleur, rappellent les architectes. La surchauffe des toits en zinc peut non seulement rendre les derniers étages des immeubles inhabitables mais elle participe à aggraver le phénomène de dôme de chaleur à l’échelle de la ville.» Une étude canadienne de 2005 à l'appui, ils assurent qu’à l’inverse «en ville, végétaliser 50 % des toits permet de faire baisser sa température de 2 °C.»
Immense jachère
Roofscapes a donc décidé de s’emparer de cette immense jachère. Pour commencer, la start-up est allée regarder du côté des précédents historiques de l’altana vénitienne, en Italie ou jardins de toits (Dachgärten) de Zürich, en Suisse, pour proposer un dispositif équivalent de petites terrasses posées au faîte des constructions existantes. La start-up a ainsi conçu des modèles de plateformes en bois à déployer au-dessus des bâtiments.

Le système aurait un double effet fraîcheur : en plus de jouer un rôle d’ombrelle, cette surface végétalisée à 70 % permettrait de tirer parti du phénomène d’évapotranspiration des plantes. Enfin, Olivier Faber, Tim Cousin et Eytan Levi, tirant les enseignements des périodes de confinements de la crise sanitaire et de la forte demande d’espaces extérieurs qui s’était alors exprimée, ont pensé ces espaces pour qu’ils soient accessibles.
Faisable techniquement
Les architectes ont déjà validé la faisabilité technique de leur projet, notamment dans le cadre de l’incubateur du MIT de Boston, aux Etats-Unis, où deux d’entre eux ont achevé leur parcours d’études. Depuis mars dernier, ils se consacrent tous trois à plein temps à leur start-up et poursuivent une phase de recherche et développement rendue possible par l'obtention de bourses de recherches ou de subventions fléchées sur l’innovation.
Mais ils approchent du stade du lancement de projets pilotes. Des possibilités sont à l'étude avec des institutions publiques, mais pas seulement… «En réalité, toutes les semaines, nous sommes contactés par des copropriétés intéressées par le concept », constatent-ils. Sans pouvoir en dire beaucoup plus, ils confient : «Nous espérons que notre première toiture soit opérationnelle à l’été 2024.»
Pour l’heure, sensibiliser les acteurs demeure une priorité. Les trois architectes frappent à toutes les portes : à la ville de Paris, à la région et jusqu’au gouvernement. Et souvent, ils constatent une même réaction, comme un « déclic » chez leurs interlocuteurs lorsqu’ils comprennent que là où ils pensaient que rien n’était possible, une solution existe.