Interview

«Les architectes sont à l’avant-garde des besoins de notre société», Rima Abdul Malak, ministre de la Culture

A l'occasion des Journées nationales de l’architecture, qui se sont déroulées du 13 au 15 octobre, la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, est revenue pour «Le Moniteur» sur les grands dossiers du moment : transition écologique, fonctionnement des Ensa, crise du logement, budget 2024 et les diverses initiatives «Réhab XX», «Réséda» et «Archi-Folies».

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Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, dans son ministère à Paris le 10 octobre 2023.

Les Journées nationales de l’architecture (JNA), qui ont eu lieu du 13 au 15 octobre, ont pour thème la transition écologique. Quel rôle jouent les architectes dans ce défi ?

Il est essentiel ! Pour penser la manière dont nous allons vivre dans le futur, dans quel habitat, dans quel environnement. Les architectes sont au cœur du sujet, que ce soit pour le choix des matériaux, des modes constructifs, de l'inscription des bâtiments dans leur contexte. Ils sont à l’avant-garde des besoins de notre société et sont force de propositions en matière d’innovation, d’expérimentation. Ils peuvent nous faire rêver et rendre désirable cette nécessaire transition écologique.

C’est le cas avec le programme « Engagés pour la qualité du logement de demain », lancé en 2021, porté par le ministère de la Culture et celui chargé du Logement. C’est aussi le cas avec «Réhab XX», un palmarès de réhabilitations exemplaires de l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle, annoncé en mars dernier. Il s’agit de valoriser des expérimentations appelées à faire école et rendre effective la transition écologique. Le palmarès sera annoncé le 21 novembre prochain, au Salon des maires et des collectivités locales, pour mobiliser les communes qui sont en première ligne sur ces questions.

Sur cette transition écologique, la formation dans les écoles d’architecture est-elle suffisante ?

Il faut reconnaître que nos Ensa se sont déjà bien saisies de ces enjeux. La formation, depuis plusieurs années, a évolué et elle peut être encore développée, ça fait partie des axes de travail que j’ai fixés à la nouvelle directrice de l'architecture, Hélène Fernandez, dans le cadre de la refonte de la Stratégie nationale pour l’architecture (SNA). Celle-ci sera mise à jour autour de nouvelles priorités (transition écologique, évidemment ; numérique et intelligence artificielle, etc.), des enjeux qui, en 2015, n'étaient pas aussi prégnants. Cette réflexion que la directrice de l’architecture mène sous forme de concertations avec l’ensemble des acteurs l’amènera à me remettre des premières propositions en janvier 2024. De mon côté, je poursuis mon tour des écoles, j’ai déjà réuni à plusieurs reprises leurs directeurs, leurs présidents. J’avais tenu aussi à rencontrer les représentants étudiants au printemps dernier.

La transition écologique est déjà prise en compte dans les cursus et une majorité de projets de fin d’études (PFE). C’est pourquoi j’ai choisi de le valoriser au travers de la résidence «Réséda» [pour RÉSidence Étudiante pour la Durabilité en Architecture] en mettant à l’honneur des PFE - un par école - qui portent une démarche intellectuelle et conceptuelle innovante, intégrant ces enjeux écologiques. Le palmarès sera dévoilé en fin d’année et la résidence se déroulera en mai 2024.

Les 20 lauréats se retrouveront à la Villa Médicis à Rome, dans le cadre du Festival des Cabanes, qui aborde les enjeux l'habitat éco-responsable. Il s’agit là de créer une émulation entre les jeunes diplômés, à un moment charnière de leur parcours. A la manière des générations d’Ajap (Albums des jeunes architectes et paysagistes) qui s’illustrent aujourd’hui au travers de projets emblématiques parmi lesquels l’IMVT que je viens d’inaugurer à Marseille, j’ai imaginé Réséda comme une pépinière des talents de demain.

Enfin je n’oublie pas les «Archi-Folies 2024», avec Bernard Tschumi pour parrain, pour lesquelles les étudiants concevront et réaliseront, pour les Jeux Olympiques et Paralympiques, 20 pavillons éphémères dans le Parc de La Villette, chacun dédié à une fédération sportive. Ce sont de véritables petits laboratoires dont j’ai pu découvrir les maquettes cet été à l’Ensa de Paris-Malaquais : les projets sont d’une inventivité incroyable, des pavillons conçus pour être réutilisés dans un objectif de durabilité. De vraies pépites !

L’interdisciplinarité propre à l’Institut méditerranéen de la Ville et des territoires que vous évoquiez à l’instant peut-il et doit-il faire école ?

L’IMVT, ce sont trois établissements qui regroupent leurs forces : Aix-Marseille Université via son Institut d’urbanisme et d’aménagement régional (IUAR), l’École nationale supérieure du paysage Versailles-Marseille (ENSP), et l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille (ENSA-M). Cette interdisciplinarité, j’en suis convaincue, sera de plus en plus présente dans toutes nos écoles. Elle existe déjà au travers de nos deux écoles d’architecture et de paysages mais aussi de partenariats de plusieurs Ensa avec des universités qui vont jusqu’à l’intégration au sein d’établissements publics expérimentaux (Université Gustave Eiffel) ou de grands établissements (Université Grenoble Alpes).

Mais cette interdisciplinarité ne se résume pas aux enseignements, elle doit se déployer au travers des activités de recherche, des projets, des voyages pédagogiques, etc. pour stimuler et ouvrir l'esprit des étudiants à un plus vaste champ des possibles et leur offrir des opportunités plus nombreuses pour leur futur parcours professionnel. Tout cela crée une vraie cohésion et une dynamique collective. Après, il faut conserver les spécificités de chaque école. A Marseille, le précédent campus de Luminy était relativement isolé. Avec l’implantation en cœur de ville, les étudiants seront en prise directe avec les enjeux urbains et en ouverture constante sur la Méditerranée. Sur un plan international, l’IMVT peut prendre une autre dimension. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé une «saison Méditerranée» pour 2026, lors de son dernier déplacement à Marseille. On peut imaginer là des échanges avec les écoles d'architecture du bassin méditerranéen.

Après la présentation du budget 2024 du ministère de la Culture, vous avez reçu les directeurs des écoles. Qu’ont-ils pensé de la rallonge budgétaire de 4,8 millions d’euros allouée, des dix équivalents temps plein créés et de l’annonce de l’autonomie d’une Ensa à La Réunion à l’horizon 2025 ? La crise des Ensa est-elle passée ?

Les Ensa sont la priorité des priorités. Pourquoi ? Parce que les étudiants sont les bâtisseurs de demain. Ce sont eux qui vont influencer nos villes et notre environnement. Il est important de les former du mieux possible. C’est pourquoi dès mon premier budget l'an passé, j'avais annoncé une hausse de 20% des moyens alloués aux Ensa, j’ai lancé la résidence «Réséda», «Réhab XX», j’ai revalorisé les enseignants-chercheurs et les doctorants, créé des postes, débloqué une aide d’urgence pour la vie étudiante, mais aussi des fonds d’investissement pour les bâtiments eux-mêmes, autant de signaux forts en direction des écoles et de l’architecture.

En ce qui concerne La Réunion, je trouvais anormal que, sur les territoires d’Outre-mer, il n’y ait pas une école à part entière, identifiée comme telle pour l’Océan Indien, avec des recherches et des enseignements adaptés à la réalité du contexte, climatique notamment. Toutes ces avancées sont majeures. Mais j’ai bien conscience qu’une crise ne se règle pas en trois mois, ni en six mois. Il y a des aspects structurels, des enjeux d'emploi, de vie étudiante, de santé, etc. Il y a des pratiques à changer, une lutte contre les violences sexuelles et sexistes à mener. Toutes ces dimensions doivent être prises en compte. Mais ça n’est pas qu’une question de postes et de moyens.

Les directeurs souhaiteraient par ailleurs pouvoir accueillir davantage d'étudiants. Nous pouvons y réfléchir, je n’y suis pas opposée. Certaines régions ne possèdent pas d'école d'architecture. Mais pour le moment je me concentre sur les établissements existants qui ont besoin d’être consolidés, et pour certains rénovés.

Comment utilisez-vous «L’observatoire de l’économie de l’architecture», mis en place en 2021 par Roselyne Bachelot ? Est-il en capacité de mesurer l’impact de l’actuelle crise du logement sur l’activité des agences d’architecture ?

L’observatoire organisera sa journée annuelle à la Cité de l'architecture et du patrimoine le 14 novembre prochain. L’architecture est très interministérielle par nature, et l’intérêt de cette instance est qu’elle réunit tous les ministères concernés aux côtés des acteurs de la filière. C’est un cadre de dialogue important, qui permet de remonter des analyses, des données et de formuler des préconisations. Pour le moment, les agences ont encore des projets programmés. Je suis néanmoins attentive aux premiers effets de la crise et reste vigilante face à l'inquiétude qui pourrait s’installer dans les prochains mois.

D’où l'importance de travailler sur la réhabilitation, de privilégier ce type de projets. Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé à Marseille un «Plan Quartiers 2030» où une dizaine de quartiers prioritaires de la politique de la ville seront identifiés en France, pour faire l’objet d’une rénovation et d'une renaturation après un concours d'architecture. La commande publique soutient l’activité des agences et elle ne va pas s’arrêter.

L'Etat demeure aux côtés des collectivités sur ces sujets. A l’international, nos architectes restent connus et reconnus. Il y a un réel appétit pour l'architecture française, on le voit au nombre et à la quantité des chantiers qui leur sont confiés. Je pense que l’approche française est très humaine, très culturelle, pas utilitaire ni «show off». Il y a une histoire qui est racontée, et les architectes savent très bien porter ce récit, cette narration liée aux habitants, au respect du contexte, etc. Au-delà du «geste architectural», il y a des vies, une approche qui convainc. C’est ce qui fait notre force à l’international.

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