Les concessions autoroutières sortent du non-dit

Dans la décennie 2030, 8000 km de concessions autoroutières arriveront à échéance, sur les 9310 km gérés sous ce régime : « Un sujet brûlant, dont personne ne parle », constate Louis Nègre, coprésident de Transport développement intermodalité environnement (TDIE). Ce think-tank spécialisé dans les infrastructures de mobilité a brisé le silence le 5 décembre, avec la publication d’une note scientifique et un petit-déjeuner débat.

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Concessions autoroutières
Sur 9310 km d'autoroutes concédées, 8000 arriveront à échéance dans la décennie 2030.

Un suspens très relatif plane sur le renouvellement des concessions autoroutières. « L’Etat n’a pas l’intention de se séparer d’une manne annuelle de 14 Mds€ dont près de 5 lui reviennent », annonce Thierry Coquil, directeur de la Direction générale des infrastructures de transport et des mobilités (DGITM) au ministère des Transports.

Il rappelle l’ampleur des besoins d’investissements requis par la mise à niveau environnementale des infrastructures, leur adaptation au changement climatique et leur décarbonation.

Sujet radioactif

La question qu’il se pose porte plutôt sur l’extension possible du périmètre. « Comment finance-t-on la route en général » ? Dans le cadre du combat de l’Etat contre l’artificialisation des sols, le DGITM voit une vertu au financement concessif : en rendant plus cher les déplacements ville-campagne, les péages freinent l’étalement urbain. « Si l’Etat les supprimait, il aurait besoin de mettre encore plus d’argent dans le ferroviaire », souligne-t-il.

« Vos travaux tombent à point pour rendre le sujet moins radioactif », ajoute Thierry Coquil à l’intention du think-tank Transport développement intermodalité environnement (TDIE), qui a convié les principaux acteurs des concessions autoroutières à un petit-déjeuner débat, le 5 décembre à Paris. Coïncidence du calendrier : le ministre des Transports Clément Beaune réunira au début 2024 une commission d’experts appelée à se prononcer sur l’avenir des concessions. Il se fixe l’échéance de 2027 pour arbitrer.

Discrimination sociale

La discrimination sociale vient en tête des arguments opposés aux partisans du statu quo, comme le rappelle Patrick Vieu, vice-président de l’autorité de régulation des transports : « Le système instaure une discrimination au profit des usagers les plus fortunés », rappelle-t-il. Comme Thierry Coquil, il voit dans le renouvellement des concessions l’occasion de lister toutes les questions que pose le transport en général : « Cherchons-nous à faciliter les déplacements ? A les décarboner ? A renforcer les recettes de l’Etat ? Ou celles des entreprises » ?

Ce dernier point d’interrogation justifie le qualificatif de « radioactif », introduit dans le débat par l’économiste des transports Yves Crozet, membre du conseil scientifique de TDIE et auteur d’un état des lieux publié par le Think-Tank à l’occasion du petit-déjeuner débat.

L’utopie du service public marchand

L’allergie d’une partie de l’opinion aux profits générés par les concessions justifie le premier des cinq scénarii qu’il imagine pour l’avenir, avec un fort degré de vraisemblance : la fin des contrats et des péages, voie suivie par l’actuel gouvernement espagnol, au risque de créer un appel d’air vers la voiture individuelle.

Par ordre de probabilité, l’économiste classe en deuxième position un scénario inverse : au-delà de l’entretien, les péages plus élevés financeraient l’électrification du réseau. L’idéal de l’économiste déroule le système le plus improbable à ses yeux : la transformation de la route en un service public marchand, facturé au km, y compris pour les véhicules électriques. Le péage s’imposerait alors à l’ensemble du réseau routier et autoroutier, avec une surfacturation pour ce dernier. Les scénarii trois et quatre décrivent des visions intermédiaires entre les deux premiers, avec pour variable l’impact de la transposition de la directive Eurovignette.

Financements stables

Dans les presque six décennies passées depuis la loi du 18 avril 1955 qui a débudgétisé le financement des autoroutes, Yves Crozet voit une manifestation du génie national : « une mesure prise dans la plus grande improvisation, avec un effet d’impact majeur ». Ce bilan inspire fournit à Pierre Coppey, vice-président de l’association des sociétés françaises d’autoroutes (Asfa), de rappeler l'ambition du président Pompidou : « apporter la prospérité à l'ensemble des territoires ».

Le coup de chapeau qu’il adresse au législateur et au président qui symbolise l’âge d’or de la construction autoroutière tricolore découle d’une réalité atypique : « Dans un système français caractérisé par le pouvoir absolu de Bercy, les concessions sanctuarisent des recettes et des modes de financements stables. Les péages constituent la seule taxe carbone jamais mise en œuvre dans le pays ».

La caravane passe

Alors que TDIE justifie le débat du 5 décembre par l’actualité « brûlante » de l’échéance proche de la majorité des concessions autoroutières, l’Asfa situe au contraire ces dernières dans un temps long : « Les 13 ans qui nous séparent de l’échéance des concessions les plus récentes ouvrent une période presque aussi longue que celle qui s’est écoulée depuis leur lancement », rappelle le vice-président.

Surtout, Pierre Coppey nie toute vraisemblance à l’hypothèse d’un report modal massif : « Même avec les 100 milliards d'investissements dans les RER métropolitains (...), la route restera dominante, à raison des trois quarts ou des quatre cinquièmes. L’ignorer, c’est ignorer la réalité économique ». Il souligne la « dette grise colossale » qui résulterait d’une dégradation des ouvrages, « avec un risque politique majeur ».

Vent debout contre la taxe sur les péages prévue au projet de loi de finances, les concessionnaires autoroutiers entonnent l’air de « Circulez, il n’y a rien à voir », ou de « Les chiens aboient, la caravane passe », pour dessiner un avenir décarboné à mobilité constante, voire croissante.

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