Entre activité erratique et LME
Après tant d’années de croissance régulière, il faut bien reconnaître que la visibilité s’est fortement réduite sur le marché du bricolage.
L’activité est devenue même erratique. Il suffit d’examiner l’indice mensuel d’activité des grandes surfaces de bricolage de la Banque de France (qui représente 80 % des ventes du secteur). Après un début d’année 2010 dans la douleur (- 10,7 % en valeur et - 14,4 % en volume sur les trois premiers mois), et un rebond au second trimestre, avec notamment une belle embellie en avril ( 5,5 % en valeur et 4,2 % en volume), il ne cesse depuis de jouer aux montagnes russes - un mois de hausse, un mois de baisse -, avec des pics qui font toutefois plus que compenser les creux. Résultat, sur l’ensemble de l’année, le volume des ventes reflue très légèrement (- 0,6 %) alors que le chiffre d’affaires progresse de 0,5 %.
Mais voilà, aux difficultés conjoncturelles (ralentissement de la consommation, crise financière, météo capricieuse, baisse des mises en chantier…) s’ajoute un boulet supplémentaire : la loi de modernisation de l’économie. Et ses conséquences sont nombreuses. La plus médiatique fut l’assignation par le gouvernement de Castorama (et de huit autres enseignes), accusé par l’État de pratiques abusives à l’égard de ses fournisseurs, puis sa condamnation à une amende de 300 000 euros. « La plus contraignante », selon l’expression du Pdg de Mr. Bricolage, Jean-François Boucher, revient à la réduction progressive des délais de paiement aux fournisseurs. Un bouleversement qui affecte la gestion des stocks et la logistique de l’ensemble des distributeurs. « Cela nous a contraint à réfléchir aux rendements sur stock, une donnée qui a été très longtemps absente chez nous, explique Erik Haegeman, directeur général de Bricorama. Et à mettre en place des outils d’optimisation de la rotation du stock et de logistique. » Sur le plan financier, les enseignes accusent le coup.
Chez Bricomarché, on estime que cette réforme a coûté « 110 millions d’euros de besoin de trésorerie supplémentaire, soit 200 à 300 000 euros par point de vente ». Chez Bricorama, si l’on ne communique pas de chiffres, on observe « un arrêt net des investissements et un abandon des projets chez les franchisés ». Même son de cloche chez Mr. Bricolage. « C’est un véritable tremblement de terre pour les indépendants, commente Jean-François Boucher. Au point de mettre en péril la pérennité de certaines affaires. » Résultat, quelques enseignes observent déjà une demande accrue de reprise.
Décoration, outillage et quincaillerie : les moteurs
Malgré ce contexte plutôt délicat, les grandes surfaces de bricolage (GSB) ont su capter de la croissance. Les indicateurs d’Unibal sont unanimes : 3 % et, à surface constante, 1,4 %, une première depuis quatre ans. Des résultats pour lesquels le responsable des études et des statistiques d’Unibal, Rémy Dassant, s’est livré à une analyse. « Sur un marché flat, les GSB ont réalisé une année satisfaisante. En misant majoritairement sur la décoration, elles ont su traverser la crise mieux que le négoce et les autres circuits. » Un constat qui s’observe au niveau des derniers résultats des enseignes et des groupes de distribution. Ainsi, Kingfisher a annoncé sur le quatrième trimestre une hausse de ses ventes de 2 % avec un bond de 4,7 % pour Castorama contre un recul de 1 % pour Brico Dépôt, davantage orienté vers le marché de la construction.
L’autre raison du succès des GSB : le positionnement prix sur l’outillage, la quincaillerie, la plomberie, électricité… bref, sur son cœur de métier. « Nous avons modifié nos gammes et amélioré notre positionnement prix. En 2006, nous étions de 5 à 10 % plus cher que la moyenne du marché, explique Erik Haegeman. Résultat, Bricorama s’en sort plutôt bien. Alors que pendant les années fastes, l’enseigne était en dessous du trend marché, nous avons enregistré une performance supérieure au marché. » L’enseigne a effet annoncé, à surface comparable, une augmentation des ventes de 2,6 % sur les trois derniers mois de 2010 après les 5,7 % et les 6,5 % des deuxième et troisième trimestres. Phénomène identique pour BricoPro, l’enseigne grand public du groupe Cofaq. « Nous avons accru notre vigilance prix afin de ne pas être déconnectés du marché tout en réajustant notre offre en développant des gammes mixtes bricolage semi-pro conditionnées en vrac sur ces rayons incontournables, développe le directeur de l’enseigne, Patrick Jacobs. Et nous avons enregistré une hausse de notre CA de 3 %. »
La bataille du prix
Au vu de ces tendances, le marché du bricolage va-t-il sortir de crise ? Rares sont les professionnels du secteur à se risquer au jeu des prévisions chiffrées. « Le marché va poursuivre son redressement, assure Jean-François Boucher. La consommation des ménages est là et le bricolage est une valeur refuge. Néanmoins, il faut rester prudent. L’environnement économique est instable. Nous tablons sur une croissance de 1 % pour 2011. » Une prévision que partage Erik Haegeman de Bricorama. Mais avec un bémol. « Ce que je crains, c’est l’évolution des prix. Je trouve que les répercussions des hausses des prix des matières premières par les fournisseurs sont exagérées. Elles sont supérieures à celles des matières premières. » Même son de cloche de Cofaq. « Nous ne pouvons pas accepter des hausses à deux chiffres de la part des industriels, constate Patrick Jacobs. Car l’augmentation annoncée des prix pourrait bien décourager les consommateurs. » D’autant que les grandes surfaces se sont fortement appuyées sur le hard selling pour asseoir leur croissance. Ainsi, d’après l’indicateur A3Distribution/LSA, Castorama, Leroy Merlin, Brico- marché, Weldom et Brico Dépôt ont augmenté leur pression promotionnelle au troisième trimestre 2010 par rapport à la même période de 2009. Résultat, les distributeurs sont quasi unanimes : la conjoncture les contraint à trouver de nouveaux relais de croissance. Et vite.





