Interview

Logement : « Des promoteurs pourraient disparaître », Olivier Colonna d'Istria (Socfim)

Le président de la banque immobilière du groupe BPCE analyse l'actualité du marché et relève les défis auxquels les professionnels vont devoir faire face.

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Olivier Colonna d’Istria, président du directoire de la Société centrale pour le financement de l’immobilier (Socfim).

Permis de construire et mises en chantier en chute libre, production de HLM en berne, remontée brutale des taux d'intérêt… Anticipez-vous une recomposition du secteur du logement ?

En effet. Le secteur subit de fortes mutations, et des regroupements ou des disparitions d'acteurs sont à craindre, car il y a sans doute trop d'opérateurs sur un marché qui va se réduire. Ceux dont le développement est basé sur un marché en croissance - volumes et prix - et qui portent des engagements financiers élevés sont plus menacés que les petits promoteurs. Ces derniers connaissent parfaitement leur territoire, ont peu de charges de structure ou financières et ne se positionneront pas sur un foncier trop cher. Les majors, elles, sont en capacité d'investir pour réinventer leur modèle.

Quelles opérations présentent le plus de risques ?

Celles conçues avant la crise, qui n'ont pas été calibrées pour le marché actuel. Les fonciers ont été achetés à un certain montant, en prévision d'un prix de sortie donné qui est perçu comme trop élevé aujourd'hui, alors que les coûts techniques et financiers se sont accrus. Si un promoteur est tenté de baisser les prix de sortie pour accélérer l'écoulement, nous en discutons avec lui, pour veiller à ce que l'équilibre économique du programme ne soit pas mis à mal. D'où une surveillance très serrée des rythmes de commercialisation. Mais le mot d'ordre reste de déstocker au plus vite en raison de frais financiers qui deviennent lourds.

Justement, alors que le taux de désistement atteint 50 %, faut-il relever le niveau de précommercialisation qui déclenche l'octroi de la garantie financière d'achèvement et donc la mise en chantier ?

Traditionnellement, une fois le taux de précommercialisation de 35 à 40 % atteint, nous considérons que le programme est proposé au bon prix et que son écoulement est assuré sur la durée du chantier. Si un acheteur sur deux se rétracte, cela signifie que, dans les faits, le taux de précommercialisation oscille plutôt autour des 20 % que des 40 % ! Aujourd'hui, ce niveau reste d'actualité, mais nous veillons désormais à ce que la moitié au moins des candidats à l'accession aient obtenu un financement. Les promoteurs immobiliers doivent faire preuve d'une plus grande vigilance et renforcer l'accompagnement de leurs clients vers le crédit.

La Socfim en chiffres

  • 11,7 Mds € d'encours gérés : 60 % fléchés sur le résidentiel.
  • 58 500 logements financés, en démarrage, en travaux ou en livraison imminente.
  • 3,3 Mds € de crédits accordés en 2022, 3 Mds € prévisionnels en 2023.
  • 15 à 20 % de parts de marché.

Les marges des promoteurs sont-elles attaquées ?

Elles l'ont été en 2022 sur les prix des travaux. Cela se normalise, mais les frais financiers ont pris le relais. Le taux d'intérêt appliqué au promoteur est calculé sur l'Euribor [taux d'intérêt interbancaire européen pour les crédits immobiliers, NDLR] à trois mois - qui est passé de 0 à 3 % en quelques mois.

Il faut y ajouter la marge de l'établissement bancaire, d'environ 2,5 %. Jusqu'en 2022, les promoteurs consommaient très peu leurs lignes de crédit car les logements se vendaient rapidement. Le rythme de vente ayant ralenti, les frais financiers ont plus que doublé. En parallèle, les frais publicitaires et les baisses de prix consenties, sous forme de frais de notaire offerts par exemple, augmentent.

En conséquence, la marge moyenne du promoteur recule, pour passer de 7 à 5 % environ, moins encore si des ventes en bloc sont réalisées. Nous observons d'ores et déjà des opérations qui s'achèvent sans marge, quand le promoteur décide de vendre son stock en bloc. L'objectif est de se désendetter, de clôturer au plus vite les dossiers déséquilibrés, pour être en capacité de rebondir le moment venu.

Finalement, il faudrait baisser les prix du foncier pour baisser les prix de vente. Comment y parvenir ?

Il faut effectivement calmer la surenchère sur le foncier car c'est le seul ingrédient pour contenir la hausse du prix de l'immobilier, mais nous ne l'observons pas encore.

Les aménageurs publics peuvent donner l'exemple, en mettant un terme au système d'enchères qui revient à céder le terrain au plus offrant. Nous sommes favorables au développement d'opérations à prix encadrés, à la fois sur ceux du foncier et des ventes. L'autre marge de manœuvre est fiscale. Actuellement, le propriétaire n'est pas incité à céder un terrain rapidement : plus il le garde, moins il sera imposé sur la plus-value.

« Nous observons d'ores et déjà des opérations qui s'achèvent sans marge, quand le promoteur décide de vendre son stock en bloc. »

Dans ce contexte, allez-vous fermer le robinet à crédit ?

Bien sûr que non ! Socfim a traversé ces trente dernières années toutes les phases de marché aux côtés des opérateurs, sans logique de « stop-and-go ». Au regard du contexte macroéconomique, nous anticipons un ralentissement de l'activité « promotion logement » qui devrait capter 40 à 50 % des 3 Mds € de nos nouveaux crédits, contre 60 à 70 % habituellement.

Nos clients, majors et opérateurs interrégionaux, représentent 70 % du marché et restent très dynamiques dans les grandes ZAC des métropoles et dans le Grand Paris, où la demande des particuliers demeure élevée et les ventes en bloc se réalisent encore. Dans l'immobilier d'entreprise, les rares lancements seront en gris [quand le promoteur conditionne le lancement du chantier à la signature d'un bail, NDLR].

Avec l'objectif de zéro artificialisation nette, les promoteurs se positionnent sur des fonciers déjà artificialisés, les friches… Quelles sont les évolutions à venir ?

Il faut développer une expertise technique et administrative - le parcours est long - tout en étant capable de mobiliser beaucoup de fonds propres, de l'ordre de 50 % du coût global de l'opération, contre 10 % pour des opérations « traditionnelles ».

Ce qui explique l'augmentation des coopérations entre opérateurs et grands investisseurs. Enfin, pour que le maire ait envie d'accorder un permis de construire, l'opération à lancer doit être beaucoup plus ouverte sur la ville et plus servicielle.

Les promoteurs devront donc développer des filiales ou nouer des partenariats pour gérer les espaces de services associés à leurs programmes. En restant actif sur l'opération après sa livraison, il s'engage implicitement sur sa qualité.

Comment la taxonomie européenne, qui classe les activités vertes, impactera les projets financés ?

Toutes les banques ont été réunies par l'Institut du financement des professionnels de l'immobilier [présidé par Olivier Colonna d'Istria, NDLR] pour développer une grille d'analyse partagée par tous, y compris l'Association française des sociétés d'expertise immobilière et l'Observatoire de l'immobilier durable [qui ont publié leur propre grille, NDLR].

Elle sera constituée d'une cinquantaine de questions basées sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) - contre environ 10 dans les formulaires actuels - et fera le lien avec la taxonomie. Elle permettra de rendre lisible et mesurable la qualification ESG des opérations de promotion et d'investissement, ce qui est actuellement complexe, faute de données homogènes et disponibles. A titre d'illustration, la BCE a demandé aux banques de calculer la part de leur portefeuille concernée par la montée des eaux et le recul du trait de côte… une donnée bien entendu non disponible dans nos systèmes d'information ! Cette question pourrait donc bientôt être posée aux opérateurs. A l'avenir, un établissement bancaire financera plus volontiers une opération dont le questionnaire est dûment rempli. Les professionnels devront donc générer et maîtriser plus de données.

Après la tempête de 2023, l'éclaircie est-elle pour 2024 ?

L'année 2024 sera certainement plus lisible. Le plus dur est passé en ce qui concerne la hausse des taux et l'inflation. Le chômage devrait rester à un niveau bas. Une bonne nouvelle, puisqu'il faut un travail pour décrocher un crédit immobilier.

Les ménages devraient également ressentir, courant 2023, les effets des hausses de salaires décidées par les entreprises, ce qui devrait contribuer à faire remonter leur moral et, donc, leurs intentions d'achat. Le gouvernement vient d'annoncer la prolongation du PTZ en 2024, c'est une bonne chose. Reste à assouplir les normes du Haut conseil de stabilité financière [qui impose un endettement maximum de 35 %, NDLR] qui freinent les secundo-accédants dans leurs projets d'investissement.

Enfin, il faut trouver une solution de financement pour les ménages solvables mais difficilement finançables, faute d'avoir un CDI. Côté tertiaire, les mois à venir seront marqués par une baisse du prix des actifs, un pourcentage pouvant atteindre deux chiffres dans les secteurs où la vacance est importante, comme en périphérie de La Défense ou dans le nord de Paris.

Ces cessions seront l'occasion de remettre à niveau ces immeubles ou, plus vraisemblablement, d'en transformer les usages.

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