Interview

Logement : « Le crédit n'occupe pas une place centrale dans la crise actuelle », Agnès Bénassy-Quéré (Banque de France)

Les difficultés des ménages à se loger ne sont pas exclusivement liées à la rapide remontée des taux d'intérêt, selon la Banque de France.

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Agnès Bénassy-Quéré, seconde sous-gouverneure de la Banque de France.

Quelle place la difficulté d'accès au crédit occupe-t-elle dans la crise du logement actuelle ?

Je vais vous surprendre : il n'y a pas de problème d'offre de crédit. Quand les taux d'intérêt montent, mécaniquement, la demande diminue. Les banques ont la liquidité pour prêter plus, même sur une durée d'endettement supérieure à vingt-cinq ans [jusqu'à vingt-sept ans pour un achat sur plan ou dans l'ancien à la suite d'importants travaux, NDLR]. Elles ne le font pas car la demande de la part des emprunteurs a faibli. Le crédit n'occupe pas une place centrale dans la crise actuelle.

Où se situe le problème alors ?

Il ne fait aucun doute que de nombreux ménages ont du mal à se loger. Ce n'est pas nouveau, mais un facteur conjoncturel - la hausse des taux - s'ajoute aujourd'hui à des problèmes structurels. La France a des logements disponibles, mais pas forcément au bon endroit. Il y a plus de logements vacants que dans les autres pays européens, trop de résidences secondaires… Dans les villes attractives, en particulier sur la côte Atlantique, des ménages peinent à se loger et des entreprises, à recruter. Par ailleurs, le manque de mobilité au sein du parc social et les difficultés à construire en hauteur, au bon endroit et à reconvertir les friches ne datent pas d'aujourd'hui. Ce qui est nouveau, c'est la hausse des taux.

En quoi cette crise est-elle différente des précédentes ?

Les permis de construire et les mises en chantier sont certes en train de chuter, mais nous ne faisons que revenir aux moyennes d'avant 2015. Ce cycle bas n'est pas aberrant par rapport aux précédents. Il faut relativiser la chute.

Nous sortons d'une période exceptionnellement faste pour la construction et le logement, en termes de transactions et de recettes fiscales. Les prix augmentaient sans interruption et le crédit ne coûtait rien. Les taux d'intérêt aujourd'hui [autour de 4 % pour un emprunt sur vingt-cinq ans, NDLR] sont du même ordre de grandeur que ceux de 2015.

Malgré ces blocages, pourquoi les prix du marché n'ont-ils pas commencé à baisser ?

A Paris ou à Lyon, les prix baissent mais ne se sont pas encore ajustés à la réalité du marché. Dans certains endroits, ils continuent même à augmenter. Globalement, le pouvoir d'achat des acquéreurs a diminué, alors qu'il avait progressé ces dernières années grâce aux taux bas.

Mais attention : le recul du pouvoir d'achat date de 2020, donc avant la remontée des taux. Ceux-ci ont augmenté tellement vite en un an et demi que des ménages rechignent à vendre leur logement pour en acheter un autre car ils devraient rembourser leur crédit à 1 % et en contracter un autre à 4 %. Par le passé, les hausses des taux étaient plus graduelles, donc plus faciles à digérer. Cette rupture peut nuire à la fluidité du marché. Aux vendeurs d'accepter des décotes, et le marché repartira.

Qu'est-ce qui justifie votre optimisme, à contre-courant des acteurs du secteur ?

Le climat global des affaires dans le bâtiment n'est pas particulièrement dégradé, selon nos enquêtes mensuelles, même si les différents segments traversent des conjonctures différenciées. C'est douloureux pour les entreprises spécialisées dans la construction de maisons individuelles qui ne se sont pas diversifiées et pour les promoteurs immobiliers qui ont acheté cher des terrains et peinent à écouler leurs programmes aujourd'hui.

Des ménages de la classe moyenne ne peuvent pas emprunter, alors que leur reste à vivre serait confortable, selon la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Pourquoi ne pas relever le taux d'effort, limité à 35 % des revenus, assurance incluse ?

Attention lorsque nous parlons de la classe moyenne. Le salaire net moyen dans le secteur privé étant d'environ 2 500 euros à plein temps, le reste à vivre s'élève à 1 625 euros pour une personne seule. Le taux d'effort est une norme professionnelle, basée sur l'expérience des banquiers. Des dérives ont été pointées du doigt par le Conseil européen du risque systémique, avant la remontée des taux. Le fait d'avoir limité ce taux d'effort à 35 % permet de protéger le système de financement du logement et de protéger les ménages contre l'inflation. Une famille modeste, dont les remboursements représenteraient 50 % du revenu, n'aurait aucune marge pour absorber la hausse des prix énergétiques, alimentaires… Les ménages ont-ils vraiment moins de besoins qu'avant pour leur vie quotidienne ? Je n'en ai pas vu la démonstration.

« Par le passé, les hausses des taux étaient plus graduelles, donc plus faciles à digérer. Cette rupture peut nuire à la fluidité du marché. »

Lors d'un débat dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, vous aviez estimé le besoin annuel de nouveaux logements en France à 300 000 maximum. Moins de 320 000 logements ont été lancés ces douze derniers mois. Finalement, la crise n'est pas si problématique ?

Durant ce débat, j'avais en effet cité l'estimation réalisée en 2012 par le Commissariat général au développement durable - de l'ordre de 300 000 logements par an à l'horizon 2030 -, pour un chiffre global de construction oscillant entre 300 000 et 400 000 par an ces deux dernières décennies, parfois au-delà de 400 000. On le voit, c'est moins un problème de volumétrie globale que de types de constructions et de localisation.

Quelles solutions sont envisageables à court terme ?

Plus d'un an après le début de la hausse des taux d'intérêt, les prix commencent à s'ajuster à cette nouvelle donne. Cela va permettre de rétablir le « pouvoir d'achat immobilier » et ainsi de faire redémarrer le marché. Un tel délai n'est pas inédit : la première réaction du marché est l'attentisme, avant que les vendeurs ne consentent des baisses de prix. Celles-ci amélioreront aussi le rendement de l'investissement locatif.

Le coût de construction s'est stabilisé après une montée en flèche en 2022. Peut-on espérer une décrue en 2024 sur fond de baisse d'inflation ?

Les prix des entreprises du bâtiment ont augmenté à cause de la cherté des matières premières. Puis les salaires, portés par l'inflation, ont également augmenté. Or, le bâtiment peine à recruter alors qu'il a besoin de beaucoup de main-d'œuvre. En outre, selon les professionnels, les normes s'accumulent. Les prix ne devraient pas reculer.

L'ancien ministre du Logement Olivier Klein et maintenant son successeur Patrice Vergiete appellent les banques à financer davantage la décarbonation du parc existant, en particulier des copropriétés. Comment les inciter ?

Les banques vont être encouragées à verdir l'ensemble de leurs portefeuilles - pas seulement leurs prêts à l'habitat -par les nouvelles obligations déclaratives, à partir du 1ᵉʳ janvier 2024, et par les stress tests climatiques qui seront réalisés en 2024 par la Banque centrale européenne (BCE).

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