Loi Asap : quand la simplification fragilise les projets

Environnement - Délais supplémentaires de mise en conformité, exécution anticipée des travaux… Les mesures prises pour faciliter les implantations industrielles pourraient nourrir de nouveaux contentieux.

 

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La d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « Asap », a été publiée au « Journal officiel » le 8 décembre. Elle est le fruit, selon l'exposé même des motifs de la loi, des attentes majeures des Français exprimées lors du grand débat national de 2019 en matière de transformation de l'action publique, de simplification et de leur relation avec l'administration et d'accompagnement de leurs projets.

Son titre III (articles 34 à 66) vise à simplifier les procédures applicables aux entreprises. Traduction législative du rapport du député Guillaume Kasbarian remis au Premier ministre le 23 septembre 2019, ce titre III n'est en réalité, pour beaucoup d'observateurs, qu'une régression de plus du droit de l'environnement, mouvement amorcé il y a plusieurs années, et qui pose aussi des difficultés du point de vue de la sécurité juridique due aux usagers du droit (1).

Conformité à la Constitution. Quoi qu'il en soit, par une , le Conseil constitutionnel a validé la plupart de ses dispositions, notamment les articles 34, 44 et 56 intéressant et mettant en cause le droit industriel de l'environnement.

Le titre III contient également un grand nombre de nouveautés intéressantes, comme le renouvellement de la durée de validité d'une autorisation ICPE (art. 35), l'aménagement des règles applicables en matière d'archéologie préventive (art. 36), l'actualisation des études d'impact (art. 37), le transfert partiel d'une autorisation environnementale (art. 56) ou encore la sécurisation de la dépollution des friches industrielles (art. 57), qui ne manqueront pas de retenir l'attention.

Trois articles de la loi suscitent la controverse car ils remettent en cause le droit industriel de l'environnement

Mais compte tenu de la controverse qui s'est développée à l'égard des articles 34, 44 et 56 de la loi, il est apparu utile de concentrer dès maintenant l'analyse sur ces trois textes très représentatifs de l'esprit de la réforme, pour en éclairer sa logique, sa complexité et finalement, sa fragilité.

Des règles aménagées pour des ICPE en cours d'instruction

L'article 34 de la loi, tout d'abord, contient deux séries de dispositions. En premier lieu, il modifie les articles , et du Code de l'environnement. Rappelons qu'en application de ces derniers, le ministre compétent peut fixer par arrêté les règles générales et les prescriptions techniques déterminant les mesures propres à prévenir et à réduire les risques d'accident ou de pollution de toute nature ainsi que les conditions d'insertion dans l'environnement de l'installation et de remise en état du site après arrêt de l'exploitation.

Sont concernées les ICPE soumises à autorisation, enregistrement et déclaration : ces dispositions sont applicables de plein droit aux installations nouvelles et dans des conditions déterminées par le ministre pour celles existantes. Jusqu'ici, une ICPE était considérée comme existante à compter de la décision d'autorisation ou d'enregistrement, l'existence d'une installation déclarée étant constatée immédiatement par la déclaration effectuée en préfecture par l'exploitant.

Autrement dit, une installation dont la demande était en cours d'instruction et qui n'avait pas encore été autorisée ou enregistrée pouvait se voir appliquer sans délai tout changement de prescriptions. L'article 34 de la loi Asap étend les conditions d'entrée en vigueur relatives aux installations existantes aux projets d'installation « ayant fait l'objet d'une demande d'autorisation [ou] d'enregistrement complète à la date de publication de l'arrêté ». Et « la demande est présumée complète lorsqu'elle répond aux conditions de forme prévues par le présent code ».

Forme et fond. Pour le Conseil constitutionnel, il ne s'agit pas uniquement de répondre aux conditions de forme mais aussi de fond : « Lorsqu'il se prononce sur cette demande, le préfet doit prendre en compte l'ensemble des règles de fond prévues par le Code de l'environnement au regard desquelles cette autorisation peut être délivrée » (Cons. constit. , DC n° 2020-807, 3 décembre 2020, considérant 13). Concrètement, le préfet devra avoir réalisé l'instruction complète du dossier de demande - notamment de l'évaluation environnementale relative au projet -pour considérer la demande comme complète.

Exceptions. Cette possibilité est toutefois écartée lorsqu'y fait obstacle un « motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l'Union européenne ». A noter que l'absence de la protection de l'environnement avait été avancée par des parlementaires comme motif permettant d'écarter l'application de ces dispositions. Mais le gouvernement a jugé que les termes de protection de l'environnement étaient sources de fragilité juridique, alors même qu'elle est reconnue par la Charte de l'environnement. Cette référence a disparu, mais il n'en reste pas moins que la protection de l'environnement relève en tout état de cause des engagements communautaires et internationaux de la France.

Droit acquis. Si ces dispositions font bénéficier les installations en cours de demande d'une sorte de droit acquis, les industriels prudents envisageront nécessairement l'application des nouvelles dispositions à leur installation, d'autant plus que le préfet pourra édicter, en tant que de besoin, pour chaque projet, des « prescriptions particulières complétant ou renforçant les règles et prescriptions générales fixées par arrêté ministériel » (considérant 14).

Gros œuvre. En second lieu, la loi consacre le principe de non-rétroactivité des dispositions constructives nouvelles affectant le gros œuvre. L'article 34 écarte ainsi leur application aux ICPE soumises à autorisation ou enregistrement existantes ou ayant fait l'objet d'une demande complète à la date de publication de l'arrêté et aux ICPE soumises à déclaration existantes.

Cette exception est issue de la jurisprudence. Cette dernière a considéré que les modifications importantes affectant le gros œuvre ou entraînant un changement considérable dans le mode d'exploitation ne s'appliquaient pas à ces installations, qui bénéficient ainsi du principe d'antériorité (). Elle avait été intégrée à l' dans la partie relative aux « installations fonctionnant au bénéfice des droits acquis ». Elle est désormais insérée dans les dispositions « communes » aux ICPE ( ).

Ici encore, cette exception est valable « sauf motif tiré de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques ou du respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l'Union européenne ».

Des modalités de consultation du public entre les mains du préfet

L'article 44 de la loi modifie les articles , et du Code de l'environnement portant sur la consultation du public réalisée sous le contrôle de commissaires-enquêteurs. Désormais, lorsqu'un projet est soumis à autorisation au titre du régime des ICPE ou de la loi sur l'eau mais dispensé d'une évaluation environnementale, le préfet peut choisir entre l'enquête publique et une participation du public par voie électronique « en fonction de ses impacts sur l'environnement ainsi que des enjeux socio-économiques qui s'y attachent ou de ses impacts sur l'aménagement du territoire ».

Critères imprécis et généraux. Le caractère imprécis et général de ces critères revient à laisser au préfet le choix des conditions de participation du public. Le risque d'atteinte à la démocratie environnementale est ici majeur, dès lors que la consultation électronique n'apporte évidemment pas les mêmes garanties qu'une enquête publique organisée par un commissaire- enquêteur. A noter que 12 % des Français ne disposaient d'aucun accès à Internet depuis leur domicile et 17 % étaient frappés par l'illectronisme en 2019 (2).

Par ailleurs, selon la loi, une consultation électronique pourra désormais suffire, même si un projet - non soumis à évaluation environnementale - est situé dans une aire protégée pour laquelle est requise une autorisation spéciale intégrée dans l'autorisation environnementale (évaluation d'incidences Natura 2000, site classé, dérogation espèces protégées et parc naturel marin).

Exécution anticipée de certains travaux de construction

En outre, l'article 56 de la loi Asap modifie l' qui disposait jusqu'à présent que les permis de construire, d'aménager et de démolir ainsi que les décisions de non-opposition à déclaration préalable requis en application du Code de l'urbanisme ne pouvaient recevoir exécution avant la délivrance de l'autorisation environnementale.

Désormais, le préfet peut autoriser, par dérogation, à la demande du pétitionnaire et à ses frais et risques, l'exécution anticipée des permis et décisions requis pour commencer certains travaux de construction. Cette dérogation est subordonnée à une décision motivée, et cette possibilité doit être préalablement portée à la connaissance du public. En outre, elle ne peut concerner que les travaux dont la réalisation ne nécessite pas l'une des décisions exigées au titre des législations spéciales couvertes par l'autorisation environnementale (autorisation d'émissions de gaz à effet de serre, de défrichement, dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, etc. ).

Gestion administrative rendue complexe. Comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans un avis rendu le 30 janvier 2020 (n° 399408), la procédure de dérogation mise en place introduit une complexité dans la gestion administrative du projet. Cette décision entraînera inévitablement des recours contentieux en cas de démarrage de travaux. En outre, dans le cas où l'autorisation environnementale serait finalement refusée, les conséquences sur la biodiversité de travaux commencés se-raient irréversibles.

Référé-suspension. Quoi qu'il en soit, cette disposition vise de façon indirecte à paralyser de fait une éventuelle procédure de référé-suspension jointe à un recours au fond contre l'autorisation principale, puisque l'une de ses conditions de recevabilité présuppose qu'au moment où le référé-suspension est présenté, les travaux ne soient pas réalisés (voir par exemple, , mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Ce n'est pas ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel. Il considère en effet que cette décision préfectorale « peut être contestée devant le juge administratif dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir ou d'un référé-suspension » (considérant 27), écartant ainsi l'atteinte au droit à un recours effectif (considérant 28). Ce qui, à notre sens, laisse le débat ouvert… peut-être devant une autre juridiction, celle de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) au titre de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit à un procès équitable…

Une réforme qui fragilise les projets

A la lecture de ces dispositions législatives, il émerge l'impression d'une certaine complexité du système mis en place à laquelle s'ajoute celle d'une certaine fragilité.

Risque de contentieux. Sur le premier point, la complexité est évidente, les dérogations prévues pour accélérer la procédure et la réalisation des travaux font appel dans tous les cas à une nouvelle procédure administrative soumise à des conditions de forme mais aussi de fond comme l'a énoncé le Conseil constitutionnel (voir supra, art. 34).

Alors que l'objectif du législateur était de simplifier les procédures, la loi ajoute finalement de la complexité et renforce le risque de développement de contentieux supplémentaires (deux recours possibles au lieu d'un). Une situation paradoxale à l'heure où les acteurs (industriels, usagers, associations et collectivités territoriales) sont demandeurs de sécurité juridique.

Juridictions européennes. Dans ce contexte, et comme déjà évoqué, le risque est grand de voir les plaignants, industriels comme associatifs, se tourner vers les juridictions européennes de Luxembourg (Cour de justice de l'Union européenne [CJUE]) ou de Strasbourg (CEDH) pour obtenir cette sécurité. En effet, chacune de ces juridictions a sa propre conception du recours effectif et de l'obligation d'une certaine effectivité du principe de participation (3), beaucoup plus aiguë que celle du Conseil constitutionnel, qui ne s'est d'ailleurs pas prononcé sur la portée effective du principe de non-régression du droit de l'environnement.

Finalement, il faut bien se rappeler que le droit de l'environnement français forme un tout avec le droit de l'Union européenne et même à certains égards, avec le droit international. L'ignorer, c'est effectivement prendre des risques et lorsque l'on veut faire simple, comme dirait Monsieur de La Palice, il faut éviter de faire compliqué…

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