Après un cyclone sur l'île de La Réunion, la commune du Port a confié l'évaluation des dommages à une entreprise, la société Expertises Melloni Océan Indien. La société a saisi le tribunal administratif de Saint-Denis afin de faire condamner la commune à lui verser les honoraires correspondant à sa mission. Elle a fondé sa demande à titre principal sur le terrain contractuel, c'est-à-dire sur le marché public et à titre subsidiaire, sur l'enrichissement sans cause, dans le cas où le marché aurait été entaché de nullité.
La société a été prévoyante car effectivement, le tribunal a jugé le contrat nul, a il rejeté les conclusions fondées sur la responsabilité contractuelle. Il a en revanche fait droit en partie à ses conclusions sur le terrain quasi-délictuel en condamnant la commune à lui verser une partie de la somme qu'elle réclamait.
Statuant en appel, la Cour de Bordeaux a tout d'abord considéré que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il lui incombe de faire application du contrat qui fait la loi des parties. En revanche, si le marché public s'avère frappé d'un vice tel que celui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou un vice d'une particulière gravité relatif notamment au consentement des parties, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
Le mode de rémunération retenu ne permettait pas de vérifier le respect des seuils
Dans l'affaire qui était à juger, les stipulations du contrat prévoyaient que les honoraires seraient calculés sur les sommes correspondant aux pertes susceptibles d'incomber aux compagnies d'assurances à raison de la procédure amiable prévue d'après barème. Mais cette méthode de rémunération du titulaire du marché ne permettait pas d'apprécier le respect du seuil de l'article 28 du Code des marchés publics, et la cour a jugé que cette constatation entachait de nullité le marché. Elle en a déduit que le tribunal avait eu raison de considérer que l'absence de mise en concurrence était de nature à vicier le contrat. Toutefois, ce vice, imputable uniquement à la commune qui ne s'en était prévalu que pour refuser de payer la société requérante, ne concernait, ni le contenu du contrat, ni les conditions dans lesquelles les parties avaient donné leur consentement. Dans ces conditions, puisqu'il s'agissait de régler un différend financier relatif à l'exécution du contrat, celui-ci pouvait être tranché sur le terrain contractuel.
La cour fait ici une application de la jurisprudence "Commune de Béziers", qui a introduit une brèche dans la frontière, a priori étanche, séparant les litiges contractuels des litiges non contractuels. Dans cette décision, le Conseil d'Etat a jugé que l'absence de transmission du marché au contrôle de légalité entachait celui-ci d'un vice du consentement rédhibitoire, mais qu'en l'espèce, l'exigence de loyauté des relations contractuelles justifiait qu'on fasse malgré tout application du contrat (CE 28 déc. 2009, "Commune de Béziers", req. n° 304802, "Contrats Publics", n° 96, février 2010, p. 16). En d'autres termes, bien que le marché public soit déclaré nul, la commune devra payer ce qui était prévu au marché, comme si celui-ci avait existé.
En lisant ces deux arrêts, on se dit que le juge administratif s'approprie d'une certaine manière un adage bien connu en droit privé : "Nemo auditur suam propriam turpitudinem allegans" (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude).
CAA Bordeaux 16 décembre 2010, "Société Expertises Melloni et Associés", req. n° 09BX02266.