Décryptage

Mayotte : le détail des dérogations en urbanisme que les députés s’apprêtent à examiner en séance

Lors de son passage en commission en début de semaine, le projet de loi d’urgence, largement inspiré de l’ordonnance du 13 septembre 2023 adoptée pour faciliter la reconstruction post-émeutes de l’été 2023, s’est enrichi de plusieurs amendements notamment sur les dispositions en urbanisme. Réduction des délais d’instruction, enquête publique, anticipation des travaux… Panorama des dérogations aux règles d’urbanisme qui s’appliqueront pendant deux ans.

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Mayotte
Le projet de loi d'urgence pour Mayotte prévoit plusieurs dérogations au droit de l'urbanisme, largement inspirées de celles adoptées pour les émeutes en 2023.

C’est une « loi spéciale dont la dimension politique n’est pas à négliger », commente Grégory Kalflèche, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole et spécialiste de l’Outre-mer. « Les parlementaires veulent, avec ce texte symbolique, montrer la solidarité nationale envers les Mahorais ». Après un vote en commission des affaires économiques les 13 et 14 janvier, le projet de loi d’urgence pour Mayotte, dont la procédure accélérée a été engagée et qui sera débattu le 20 janvier en séance publique à l’Assemblée, entend répondre aux conséquences dramatiques du cyclone Chido qui s’est abattu sur l’archipel le 14 décembre 2024. A cet effet, il comprend plusieurs dérogations aux règles d’urbanisme (chapitres II et III) et entend garantir la maîtrise foncière pour la reconstruction (chapitre IV).

Relogement d’urgence

Son article 3 facilite l’implantation en urgence de constructions temporaires destinées au relogement d’urgence des personnes victimes du cyclone. Il dispense ainsi de toutes formalités au titre du Code de l’urbanisme les travaux, constructions et aménagements, dès lors que leur durée d’implantation est limitée à deux ans. « Pour tout bâtiment ou aménagement à visée plus pérenne, à l’issue de cette durée, il conviendra de les régulariser par une autorisation d’urbanisme, ou de les retirer », précise l’exposé des motifs.

En commission, les députés ont souhaité que les projets soient soumis à l’avis préalable des communes concernées. Elles devront répondre dans un délai de dix jours à compter de la réception du dossier. Passé ce délai, le silence gardé vaut avis favorable (amendement CE151). Pour Grégory Kalflèche, « cette disposition n’a rien d’innovant : elle est déjà inscrite dans le Code de l’urbanisme à l’article R. 421-5, seul le délai - un an en droit commun - change. »

Exit l’habitat informel

S’inspirant de l’ordonnance de 2023 sur les émeutes, le textepose ensuite le principe de la reconstruction ou de la réfection, à l’identique ou avec des adaptations ou améliorations, pour les constructions, les aménagements ou les installations dégradés ou détruits en raison du cyclone (art. 5). Les députés sont venus préciser en commission que l’ensemble des dérogations aux règles d’urbanisme ne peuvent pas s'appliquer à l'habitat informel à Mayotte (amendement CE254). Pour le professeur, cette disposition signifie que « Chido ne doit pas servir de justification à la pérennisation de l'habitat informel. Et puis, indirectement, c’est aussi une façon de lutter contre l’immigration clandestine ».

Par dérogation à l’article L. 111-15 du Code de l’urbanisme, les projets pourront être autorisés même s’ils ne respectent pas les règles prévues par les documents d’urbanisme locaux ou les normes en vigueur (art. 6). Le texte permet des reconstructions différentes du bâtiment d'origine, « dans la limite d’une diminution ou d’une augmentation de 5 % de son gabarit initial. » Cette diminution ou cette augmentation peut dépasser ces 5 % si la reconstruction poursuit un objectif d’intérêt général, comme « l’amélioration de la performance énergétique, de l’accessibilité, de la sécurité de la construction ainsi que l’exercice d’une mission de service public » (amendement CE258). « Cet article donne l'occasion de construire mieux, d’édifier des constructions anti-cycloniques par exemple, comme à la Réunion, relève le spécialiste de l’Outre-mer, mais elle n’a en réalité pas grand intérêt « puisqu’elle ne fait que reprendre ce que dit la jurisprudence sur les reconstructions à l’identique et les extensions limitées ».

Reconstruire le réseau de téléphonie mobile

Autres dérogations, issues d’un amendement gouvernemental (CE235) en vue de reconstruire dans les meilleurs délais le réseau de téléphonie mobile (art. 6 bis) : outre une réduction des délais pour les permissions de voirie sur le domaine public routier, le texte précise que par dérogation à l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme, les décisions d’urbanisme autorisant ou ne s’opposant pas à l’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile ne pourront pas être retirées.

Délais d’instruction réduits

Copie conforme de l’ordonnance sur les émeutes, le projet de loi prévoit d’accélérer l’instruction des demandes d’autorisation (art. 7), l’objectif étant de ne pas dépasser un mois et demi, contre plusieurs mois dans le droit commun, notamment lorsque des consultations sont requises », indique l’exposé des motifs.

Ainsi, le délai pour les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir est d’un mois (contre trois en temps normal). Celui de la déclaration préalable est de quinze jours (contre un mois). Dans ce même esprit, les majorations et prolongations de délais requises pour le recueil des différents avis, accords ou autorisations au titre d’autres législations sont réduits à quinze jours et soumis au principe de silence vaut acceptation.

Aider les instructeurs

Nouveauté par rapport à l’ordonnance sur les émeutes, le projet de loi prévoit la possibilité pour les services instructeurs de se faire aider par des services « homologues d’autres collectivités territoriales, métropolitaines ou ultramarines. » (amendement CE199 et sous-amendement CE248). Cette instruction conjointe, intervenant dans le cadre d’une convention, doit permettre aux services d’étudier tous les dossiers, la commission souhaitant éviter une situation où « le silence entraîne acceptation tacite mènerait à une augmentation de demandes ne répondant pas aux critères ».

Pour Grégory Kalflèche, la réduction des délais d’instruction est à la fois « utile et pourrait être envisagée plus globalement dans le cadre d’une prochaine réforme des autorisations d’urbanisme à laquelle la DHUP semble s’intéresser. Vingt ans après la dernière refonte d’importance du régime des autorisations d’urbanisme (issu de l’ordonnance du 8 décembre 2005, NDLR), il serait intéressant de tirer les conséquences de cette mesure et réfléchir à réduire les délais dans le droit commun. »

Participation du public par voie électronique

Par ailleurs, lorsqu’une procédure de participation du public par voie électronique (PPVE) est requise, la majoration du délai d’instruction est de 45 jours. Le texte issu de la commission aménage en outre jusqu’au 1er juillet 2025 - « échéance à laquelle le gouvernement prévoit un retour à une couverture internet satisfaisante » - les procédures relevant de cette PPVE (amendement CE166). Le dossier doit pouvoir être « consultable sur support papier, à tout moment aux horaires d’ouverture » au sein des administrations qui sont tenues de les mettre à disposition (préfecture, mairie, espaces France services…). Un registre permettant le recueil manuscrit des observations et propositions du public qui ne pourraient pas être transmises par voie électronique doit également être à disposition.

Enquête publique maintenue

L’article 8 du projet initial, qui écartait l’obligation de réaliser une enquête publique, a été totalement réécrit pour maintenir l’enquête publique lorsqu’elle est obligatoire tout en réduisant l’ensemble des délais liés à la procédure (amendement CE31). « La participation par voie électronique, que le gouvernement désire substituer à l’enquête publique, […] n'est en aucun cas assimilable à l’enquête publique », arguent les députés. Il s’agit « en quelque sorte d'une plateforme dématérialisée d’information tandis que l’enquête publique est une aide à la décision prenant en compte l’ensemble des tiers concernés et assortie d’un ensemble d’éclairages nécessaires à bonne réalisation du projet. […]. Le gouvernement semble oublier qu’à l’heure actuelle, un tiers des foyers mahorais sont toujours sans électricité. En temps normal, seuls 10 % des habitants ont un équipement en accès à internet. […]. En l’état, cet article occulte non seulement la réalité des circonstances dans lesquels vivent réellement les Mahorais mais aussi toutes les préoccupations environnementales pourtant capitales à Mayotte ».

Anticipation des travaux

Dernière mesure dérogatoire au droit de l’urbanisme : l’anticipation des travaux préalables à la reconstruction (art. 9). « Les travaux de démolition, déblaiement, reconstruction à l’identique sans modification de surface peuvent être engagés dès le dépôt, selon le cas, de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable. » A noter que la nature des travaux pouvant être anticipés a été restreinte par la commission « afin de protéger les entreprises en évitant qu’elles engagent des frais et débutent des travaux conséquents (de fondations ou terrassement notamment) pour finalement voir le permis rejeté » (amendement CE135). Le texte initial permettait l’anticipation des « opérations et travaux de démolition, de terrassement, de fondation ».

Des dérogations à l’expropriation : éviter le risque d’une censure par le juge suprême

Enfin, l’article 10 du projet de loi vise à adapter « jusqu’au 31 décembre 2025 » les règles relatives à l’expropriation afin de s’ajuster à la situation de Mayotte, « où il est souvent difficile d’identifier formellement les propriétaires de terrains », relevait le compte rendu du Conseil des ministres le 8 janvier.

Le texte prévoit donc une habilitation à légiférer par ordonnance pour garantir que « les opérations structurantes et indispensables de reconstruction » (ouvrages publics, opérations d’aménagement, d’équipement, de démolition, relogement, travaux nécessaires à l’extraction des matériaux de construction) ne seront pas mises en danger par les incertitudes juridiques qui affectent de nombreuses parcelles, tout en s’assurant que les dispositions adoptées soient garantes des droits fondamentaux des personnes.

L’ordonnance pourra ainsi prévoir :

  • des adaptations des règles en matière d’identification des propriétaires des emprises devant faire l’objet d’une expropriation ;
  • une occupation provisoire et réversible, moyennant indemnisation, d’emprises appartenant à des propriétaires privés nécessaires à la réalisation des ouvrages, opérations et travaux précités.

Le recours à une ordonnance pour déroger au droit de l’expropriation n’étonne pas Grégory Kalflèche. « L’expropriation est un droit constitutionnel très précis, les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen l’évoquant directement. Il est à mon sens très difficile de déroger à ce droit. Le gouvernement veut éviter une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. En renvoyant les dérogations à une ordonnance, il se laisse plus de temps, notamment pour permettre au Conseil d’Etat de donner un avis sur la constitutionnalité des dérogations qui seront envisagées ».

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