68 bâtiments publics et privés entièrement détruits, 450 partiellement détruits et plus de 2 000 dégradés : le bilan des émeutes du début de l’été, qui ont touché quelque 500 communes, est lourd, selon les chiffres communiqués en Conseil des ministres le 13 septembre. « Le coût estimé par les assureurs s’élève à 730 millions d’euros, dont presque 30 % concerne le patrimoine des collectivités », relève le compte-rendu. Qui ajoute que « si la plupart des bâtiments dégradés ont pu être remis en état et si les magasins ont pu rouvrir, les réfections des bâtiments détruits sont encore en cours ». Outre les congés d’été qui ont probablement ralenti le lancement de certaines opérations, la complexité des procédures et les freins juridiques expliquent aussi la situation.
Pour y remédier, les pouvoirs publics ont adopté un triptyque de mesures exceptionnelles, sur le fondement d’une loi promulguée le 25 juillet. Si une première ordonnance simplifiant temporairement les règles de la commande publique a été adoptée dès le 26 juillet, il a fallu près de deux mois pour disposer enfin de ses pendants en matière de financement et d’urbanisme – ce qui n’a pas permis au premier texte de produire son plein effet pendant l’été. Le « Journal officiel » du 14 septembre livre ainsi les deux nouvelles ordonnances. En voici le détail.
Mobiliser toutes les ressources financières
L’ « ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 » vient autoriser des dérogations aux règles du Code général des collectivités territoriales.
► Le FCTVA anticipé : les attributions du fonds de compensation de la TVA seront versées de manière anticipée dès l’année d’exécution des dépenses réalisées pour « réparer les dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre [les dates précitées] ». En principe en effet, les droits au FCTVA sont attribués deux ans après le règlement des dépenses (art. L. 1615-6 du CGCT).
► Subventions jusqu’à 100 % : pour le financement des projets d’investissement visant à réparer ces mêmes dommages, l’obligation de participation minimale du maître d’ouvrage s’efface. Le coût pourra ainsi être couvert intégralement par des subventions. Le rapport de présentation de l’ordonnance rappelle en effet qu’« en principe, sauf dérogation expresse prévue par la loi [pour la réalisation du PNRU, par exemple, NDLR], toute collectivité territoriale ou groupement, maître d'ouvrage d'une opération d'investissement, doit assurer une participation minimale au financement de ce projet fixée à 20 % du montant total des financements apportés par les personnes publiques » (art. L. 1111-10 du CGCT).
► Déplafonnement des fonds de concours : les règles de mobilisation des fonds de concours qui peuvent être versés entre les EPCI à fiscalité propre et leurs communes sont assouplies. Pour la réparation des dommages résultant des émeutes, le montant total des fonds de concours, destinés au financement d'un équipement ou de son fonctionnement, pourra exceptionnellement excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours. L’ordonnance déroge ici aux articles L. 5214-16, L. 5215-26 et L. 5216-5 du CGCT.
Accélérer et simplifier les procédures d’urbanisme
L’autre ordonnance, « n° 2023-870 du 13 septembre 2023 tendant à l'accélération de la délivrance et la mise en œuvre des autorisations d'urbanisme permettant la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 », précise dans son article 1er que la reconstruction ou la réfection, à l'identique ou avec des adaptations ou améliorations, des bâtiments dégradés ou détruits est soumise aux dispositions du Code de l'urbanisme, sous réserve de certaines dérogations aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux autorisations d'urbanisme.
► Reconstructions différentes du bâtiment d’origine : première dérogation, la reconstruction ou la réfection de ces bâtiments peut être réalisée même si une disposition d'urbanisme, le PLU ou la carte communale s'y oppose (dérogation à l’article L. 111-15 du Code de l’urbanisme). L’ordonnance permet des reconstructions différentes du bâtiment d'origine,« dans la limite d'une diminution ou d'une augmentation de 5 % de son gabarit initial », ou de modifications justifiées par l'amélioration de la performance environnementale, de la sécurité ou de l'accessibilité du bâtiment concerné. Dans ces derniers cas, la diminution ou l’augmentation « peut dépasser 5 % du gabarit initial, à proportion des modifications du bâtiment nécessaires à la réalisation du ou des objectifs invoqués ».
A noter toutefois que les adaptations et améliorations ne devront pas modifier la destination ou la sous-destination initiale du bâtiment. Et que la reconstruction ou la réfection ne sera pas autorisée si elle contrevient aux règles applicables aux risques naturels, technologiques ou miniers, « et, le cas échéant, sous réserve des prescriptions de sécurité dont l'autorité compétente peut assortir le permis. »
► Début des travaux sans attendre l’autorisation : l’ordonnance donne aussi la possibilité au maître d'ouvrage de débuter les travaux préliminaires dès le dépôt du dossier. Il s’agit, précise le rapport accompagnant l’ordonnance, « de permettre au constructeur de lancer, notamment, les éventuelles opérations de démolition et les opérations et travaux de préparation du chantier (terrassements, fondations, etc.) sans attendre l'obtention de l'autorisation d'urbanisme ou le caractère exécutoire de la déclaration ». En revanche, ce dernier devra solliciter et obtenir les autorisations requises par les autres législations, notamment en matière d'occupation du domaine public et de la voirie publique.
Le dossier devra préciser que le projet est soumis au régime dérogatoire et, le cas échéant, contenir une motivation spécifique des adaptations de la construction initiale envisagées. Le texte prévoit également des adaptations procédurales (publicité de l’avis de dépôt de la demande et du récépissé).
► Des délais d’instruction divisés par deux, voire par trois : autre dérogation qui devrait permettre de gagner du temps, le délai d’instruction de la demande de permis de construire, d'aménager ou de démolir est limité à un mois (contre trois en temps normal). Celui de la déclaration préalable, à quinze jours (contre un mois).
Dans ce même esprit, les majorations et prolongations de délais requises pour le recueil des différents avis, accords ou autorisations au titre d’autres législations sont réduits à quinze jours et soumis au principe de silence vaut acceptation. « La durée totale d'instruction ne pourra pas, sauf cas très exceptionnels, dépasser un mois et demi, à comparer aux délais de droit commun, qui sont souvent de plusieurs mois notamment lorsque des consultations sont requises », note le rapport.
► Exit l’enquête publique : lorsque la réalisation des travaux requiert l'accomplissement préalable d'une procédure de participation du public, l'autorité compétente pourra exempter le projet d'enquête publique et recourir à une participation par voie électronique (art. L. 123-19 du Code de l'environnement).
Ce régime dérogatoire en matière d’urbanisme s’appliquera aux dossiers éligibles, déposés dans les 18 mois à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit jusqu’au 14 mars 2025.