
Comparés au négoce bâtiment, dont la structuration s’est amorcée il y a plus de trois décennies, les réseaux de distribution des produits de travaux publics restent relativement jeunes, en termes d’historique comme de développement. Frans Bonhomme est une exception notable, avec un maillage national entamé dès les années 60, qui lui permet de revendiquer aujourd’hui la position d’enseigne leader (environ 400 points de vente et 700 M€ de CA). La société a historiquement travaillé un positionnement produits, avec la distribution exclusive de canalisations et raccords et une forte spécialisation sur les produits plastiques. C’est également le choix de son challenger PUM Plastiques, qui vient d’atteindre les 200 PDV pour un CA de 466 M€. L’enseigne, membre du groupe Point. P depuis dix ans, vient de redéfinir son offre de services, avec un nouveau concept de LS accompagné, et un test de drive sur deux agences. D’autres spécialistes des canalisations et réseaux ont développé des maillages régionaux ou multirégionaux (H-Tube, Soval, Penet Plastiques).
Des enseignes régionales qui se développent
La plupart des autres acteurs significatifs du marché ont choisi un positionnement métier, imposant des plans de vente très larges pour couvrir l’ensemble des besoins des entreprises TP. La seule enseigne nationale sur ce segment, Point. P TP, a été constituée en 2008 à partir d’agences multispécialistes du leader de la distribution Bâtiment. Son réseau se compose aujourd’hui d’une soixantaine d’agences, avec l’objectif de densifier le maillage d’une vingtaine d’unités (voir page suivante).
On trouve ensuite des enseignes régionales en fort développement comme MTP sur un grand quart Sud-Ouest, Busca (ex-Buscaglia, groupe CRH) en Ile-de-France, ou J. Lamberton et Baurès-Prolians en Languedoc-Roussillon. Créé il y a 25 ans, MTP a ouvert en 2012 deux nouvelles agences à La Roche-sur-Yon (85) et Carcassonne (11), achevant en parallèle la rénovation de ses espaces libre-service dans ses 19 points de vente. L’enseigne Busca vient, elle, de créer ses septième et huitième dépôts à Bonneuil-sur-Marne (94) et Mézières-sur-Seine (78). «Nous envisageons l’ouverture d’une agence supplémentaire en région parisienne, ensuite le développement du réseau se fera en province, indique Philippe Taïeb, directeur opérationnel du réseau. L’ambition est de faire de Busca une enseigne multirégionale, voire nationale : le négoce TP est peu structuré à ce jour, il y a vraisemblablement la place pour plusieurs acteurs nationaux.» Symbole de cette ambition, la création au 1er janvier 2013 d’une entité distincte de l’activité Bâtiment, CRH TP Distribution, dont Busca est pour l’instant l’enseigne unique.
De nouveaux besoins pour les entreprises de TP
Dernière grande catégorie d’acteurs, les négoces multispécialistes ayant développé une spécialité TP. Le groupe Samse a construit au fil des années un réseau d’une quarantaine d’agences actives sur le marché des travaux publics, pour un CA cumulé de 120 M€ (voir page suivante). VM Matériaux a intégré en 2010 le spécialiste LNTP (cinq agences) et a nommé en début d’année un directeur commercial chargé des travaux publics, à l’égal de deux autres spécialités bien établies au sein du groupe, le carrelage et les bois-panneaux. Dans ces deux groupes, l’activité TP se partage entre agences spécialistes et agences multispécialistes proposant un service TP, avec une recherche de synergies entre les activités de distribution et de fabrication (produits béton, pierre naturelle).
La problématique est quelque peu différente pour les groupements, où le développement des TP repose sur la présence d’adhérents déjà positionnés sur le marché. La société Gedimat Lombard a créé en 2010 à Thonon (74) une agence TP de 5 000 m², destinée à servir un marché local très actif : «Dans une région montagneuse comme la Savoie, les maçons font un peu de TP dans chaque construction (terrassement, adduction d’eau…), ce qui crée des passerelles avec notre activité gros œuvre, relève Charly Lombard, directeur général de la société. Qui plus est, on constate que les entreprises de TP, qui ont longtemps eu la réputation d’intervenants nationaux payant mal et venant juste se dépanner en négoce, sont aujourd’hui des clients qui respectent bien la LME, avec une gestion logistique à outrance qui les conduit à ne pas avoir intérêt à gérer des stocks.»
Des majors en attente de services homogènes
L’évolution des comportements des entreprises de TP ces dernières années est un facteur déterminant du développement du négoce sur cette filière. «La part de l’activité réalisée en magasin s’accroît à mesure que les entreprises de TP se découvrent des besoins en termes de services et d’accompagnement», rappelle Hervé Biancarelli, directeur général de Point.P TP. Pour exploiter ce potentiel, la disponibilité produits est une première contrainte majeure. Là où le négoce Bâtiment cible une clientèle en diffus, les agences TP approvisionnent les entreprises sur des chantiers d’ampleur où, comme le souligne Eric Lotenberg, directeur d’activité TP du groupe Samse, «un retard de livraison se traduit par l’immobilisation de dizaines d’ouvriers et de machines».
Alain Grizaud, Président du syndicat Canalisateurs de France
"Notre secteur n’est pas épargné par la morosité ambiante, avec une baisse du CA estimée entre 3 et 3,5 % en 2012. Et malgré la stabilisation constatée au premier semestre 2013, nos adhérents ont peu de visibilité pour la fin d’année, et encore moins pour 2014. Si les niveaux de prix restent très bas, au moins constate-t-on ces derniers mois une stabilisation et même une légère hausse des carnets de commandes. Concernant la distribution, certains de nos adhérents privilégient encore le direct dans la mesure où les industriels proposent des réponses techniques adaptées aux besoins de nos entreprises, et ne cherchent pas à vendre des tonnages de produits. Le négoce a l’avantage de disposer d’un réseau de proximité mais il doit veiller à professionnaliser le choix de ses commerciaux et ses pratiques. Il est par exemple anormal que des négoces vendent à des collectivités à des tarifs inférieurs que ceux auxquels nos entreprises peuvent prétendre. Nous attendons des services proches de la profession et pour la profession."
L’expertise métier est un autre impératif. «La capacité à proposer des réponses techniques est décisive dans notre filière, où le commerce passe surtout par le montage d’affaires, en liaison avec les collectivités et nos entreprises clientes : il faut se positionner très en amont des projets et pouvoir apporter des solutions adaptées», résume Nicolas Ayache, directeur général MTP. Sur des chantiers s’étalant sur plusieurs années entre les études de faisabilité et la réalisation, « la qualité du relationnel fait la différence, insiste Damien Cugnet, directeur général de l’enseigne Célestin (groupe Samse, sept agences). «Y compris sur la question épineuse du crédit-client : vu la nature des chantiers, les encours deviennent vite très lourds, même pour des grosses PME locales.»
Le négoce tente de plus en plus de prévenir ces incidents en ayant recours aux contrats-cadres, un service longtemps réservé aux intervenants nationaux. La structure même de la clientèle, marquée par le poids des majors, impose en effet à la filière de professionnaliser ses pratiques. «Les grands comptes demandent de plus en plus un niveau de services homogène au plan national (prix, stocks, accompagnement chantier, proposition de variantes techniques…), précise Hervé Biancarelli pour Point. P TP. Ces acteurs représentent déjà une part significative de notre activité, et nous nous attendons à ce que cette part augmente avec la concentration à l’œuvre dans le secteur.» Avec une clientèle en attente de services et de stocks, le négoce TP semble avoir de beaux jours devant lui.
Là où le bât blesse, c’est sur la disponibilité de personnels qualifiés. «Nos projets de développement sont régulièrement freinés par le manque d’hommes, reconnaît Claude Arbaud, directeur TP de la Simc (cinq agences spécialisées). Les travaux publics sont un métier méconnu : on compte un dépôt spécialisé pour dix dépôts généralistes, et il est plus simple pour un ATC de débuter dans le négoce Bâtiment !» Formation et fidélisation des équipes sont deux axes de progression cités par les acteurs pour que le négoce TP finisse de légitimer sa place sur le marché.