Plantes exotiques invasives : VNF tente de sortir du piège

Elles ont de jolis noms mais ce sont des calamités : la jussie, l’élodée ou encore le myriophylle colonisent les voies d’eau, compliquant singulièrement la navigation, et faisant exploser le budget qui leur est consacré. En première ligne, VNF mène plusieurs expérimentations.

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VNF a testé des harkboots pour arracher le myriophylle sur ses canaux.

Mi-mars, la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité Bérangère Abba publiait son plan d’action contre les espèces exotiques envahissantes. Une stratégie plus que bienvenue pour Voies navigables de France (VNF) qui fait face à une véritable invasion de plantes aquatiques indésirables. En 2021, l’opérateur en a identifié sur 1 450 km de réseau, soit un peu plus de 20 % de sa totalité. « Le réseau est fortement connecté, ce qui facilite leur propagation », explique la responsable de l’environnement chez VNF, Christine Bourbon.

Et le problème s’est sérieusement compliqué avec l’arrivée du myriophylle hétérophylle voici quelques années. Ces longues tiges poussent jusqu’à 30 cm par semaine, si bien que lorsqu’elles apparaissent à la surface, « il est déjà trop tard ». La plante prolifère particulièrement dans le nord-est de la France, où elle impactait 300 km de canaux en 2020 contre 70 km en 2017. Dans le canal de Bourgogne, ce sont 600 km de voies qui sont touchés.

Invulnérable ?

Venu d’Amérique du Nord, le myriophylle hétérophylle servait de décoration dans les aquariums. Il s’est parfaitement acclimaté en France, mais aussi en Belgique, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas. Les canaux et les ports, avec leurs eaux calmes et riches en nutriments, lui offrent un milieu très favorable. La plante se répand d’autant plus facilement qu’elle ne craint ni le froid ni le gel. « Elle reste en place l’hiver et occupe l’espace des autres plantes aquatiques qui, elles, disparaissent pendant la saison froide », explique Elisabeth Gross, spécialiste du myriophylle à l’Université de Lorraine. On ne lui connaît pas de prédateur. Et elle s’autobouture très facilement : « un fragment d’un centimètre suffit », précise la chercheuse. 

Gêne pour la navigation

Les myriophylles forment ensuite des herbiers très denses qui affectent fortement la navigation. « Elles ralentissent le passage des bateaux, leur vitesse pouvant passer de 6 km/h à 2 km/h, elles augmentent leur consommation d’essence jusqu’à 30 % et peuvent même se coincer dans les hélices des moteurs jusqu’à la casse », détaille Christine Bourbon. La prolifération touche aussi les autres usagers des canaux, pêcheurs ou canoéistes, et réduit la biodiversité aquatique : « Nous l’avons constaté sur notre réseau : à certains endroits, il n’y a plus que du myriophylle », déplore la responsable environnement de VNF.

Campagnes de faucardage

La solution consiste, pour le moment, à faucher la plante sous l’eau grâce à des faucardeuses, embarcations spéciales équipées d’une lame. « Mais l’étape la plus cruciale est de récupérer tous les fragments pour éviter la création de nouveaux foyers, ce qui nécessite des opérations manuelles très pénibles pour les agents », précise Christine Bourbon. Une solution qui n’a rien de définitif car ce fauchage « stimule la croissance de la plante », souligne Hélène Groffier, qui effectue une thèse sur le sujet à l'Université de Lorraine.

Ces actions sont coûteuses : chez VNF, le budget consacré à la problématique des espèces exotiques envahissantes a quasiment doublé, passant de 1,5 à 2,8 millions d’euros entre 2020 et 2021. Sur le seul réseau Centre-Bourgogne, les dépenses de faucardage ont augmenté de 450 % en trois ans. VNF a également testé des « harkboots », des bateaux-râteaux créés aux Pays-Bas qui arrachent les plantes avec leurs racines. « C’est efficace, mais très lent et très cher », relève Hélène Groffier.

Détection rapide

Alors VNF cherche de nouvelles solutions. Détecter très rapidement pour intervenir aussitôt est une priorité, mais elle reste difficile à mettre en œuvre : « nous essayons de mettre en place un réseau de sentinelles pour surveiller les canaux, explique Christine Bourbon, que ce soient des personnes ou un réseau d’imagerie ». Le gestionnaire des voies navigables a également lancé plusieurs expérimentations : pour déterminer si des faucardages hivernaux pourraient ralentir le développement de la plante, deux bateaux ont « nettoyé » le canal de Bourgogne sur 20 km en janvier tandis que des opérations similaires étaient menées sur le canal du Centre et celui du Nivernais.

« On tâtonne »

Une autre expérimentation est en cours dans la gare d’eau de Saint-Jean-de-Losne, en Côte-d’Or. Ici, VNF combine l’injection d’un mélange de micro-organismes qui attaquent la capacité de la plante à se nourrir, d’un colorant de type alimentaire qui limite la photosynthèse et l’installation de rideaux de bulles qui réduisent l’apport de nutriments, contiennent la plante dans le port et, en brassant l’eau, compliquent son bouturage. « On tâtonne », résume Christine Bourbon. « La pérennité même de certains canaux est remise en cause », s’alarme le directeur général de VNF Thierry Guimbaud.

Tentative de valorisation 

VNF n’est pas le seul opérateur concerné, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) doit elle aussi faire face à ce type d’invasions. Si elles ne gênent pas la navigation sur le Rhône, dont la profondeur et le courant ne lui sont pas favorables, elles compliquent les opérations de dragage et la réhabilitation des bras morts. La CNR recourt, elle aussi, à l’arrachage et cherche ensuite à valoriser les plantes, soit par le compostage, soit par la méthanisation. « Nous tentons de monter des partenariats avec d’autres structures pour cela, explique Nicolas Rabin, ingénieur environnement chez le concessionnaire qui reconnaît cependant que « la plupart du temps, elles partent en décharge ».

Vivre avec

Malgré les initiatives en cours, l’éradication totale des espèces exotiques envahissantes est aujourd’hui inenvisageable. « Il faudra vivre avec », admet Christine Bourbon qui estime que « VNF ne s’en sortira pas seul ». « Les invasions biologiques sont un phénomène global lié à la mondialisation, aux échanges croissants et à la dégradation des milieux qui les rendent plus fragiles face à ces envahisseuses », rappelle Emmanuelle Sarat du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et coordinatrice du Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes. Un phénomène qui n’est pas près de ralentir, donc, d’autant que certaines plantes aquatiques invasives commencent à sortir de l’eau. Dans le parc de la Brière, en Loire-Atlantique, la jussie se développe maintenant dans des champs.

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