Point de vue - Commission d’appel d’offres : la grande oubliée de la réforme des marchés publics ?

Actrice notable du processus de passation des marchés publics des collectivités territoriales, la commission d’appel d’offres (CAO) semble pourtant voir son rôle réduit à peau de chagrin par la réforme 2015-2016 du droit de la commande publique. Explications par Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d’Or.

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Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d'Or

Totalement absente des dispositions du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, la CAO n’est désormais citée que dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Ce qui, il est vrai, n’est pas forcément inapproprié s’agissant d’une commission spécifique à cette catégorie d’acheteurs publics.

Choix de l'attributaire

En vertu du nouvel article L.1414-2 du CGCT, résultant de l’article 101 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, « Pour les marchés publics dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure aux seuils européens mentionnés à l’article 42 de l’ordonnance susmentionnées, à l’exception des marchés publics passés par les établissements publics sociaux ou médico-sociaux, le titulaire est choisi par une commission d’appel d’offres composée conformément aux dispositions de l’article L.1411-5. »

Relevons au passage une erreur manifeste de terminologie puisque les dispositions de l’article L.1414-2 évoquent le choix « du titulaire ». Il s’agit en réalité du choix « de l’attributaire », puisque le terme « titulaire » désigne l’opérateur économique attributaire qui, dans un second temps, a reçu notification du marché signé par le représentant légal de l’acheteur public.

Avenants

Par ailleurs, selon les termes de l’article L.1414-4 du même code, « Tout projet d’avenant à un marché public entraînant une augmentation du montant global supérieure à 5 % est soumis pour avis à la commission d’appel d’offres. Lorsque l’assemblée délibérante est appelée à statuer sur un projet d’avenant, l’avis de la commission d’appel d’offres lui est préalablement transmis. Toutefois ces dispositions ne sont pas applicables lorsque ces avenants concernent des marchés publics qui ne sont pas soumis à la commission d’appel d’offres. »

Le lecteur averti n’aura pas manqué de relever que ces dispositions font référence à la notion d’ « avenant », laquelle a pourtant disparu du corpus juridique du droit de la commande publique au profit de la notion de « modification » : faut-il en déduire que la CAO n’a vocation à être saisie que des modifications apportées aux marchés concernées par la voie contractuelle ?

Il convient également de noter que la compétence de la CAO est définie, non par les procédures de passation utilisées pour l’attribution des marchés – les procédures formalisées, par analogie avec les dispositions du Code des marchés publics abrogé – mais par l’estimation de ceux-ci.

Ainsi, et de façon assez paradoxale, la CAO ne serait pas compétente pour choisir l’attributaire d’un marché passé selon l’une des procédures formalisées définies par le décret du 25 mars 2016, mais dont l’estimation serait inférieure aux seuils européens. Or, il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école dans la mesure où, alors même que l’intérêt d’une telle démarche mérite d’être débattu, certains acheteurs ont recours aux procédures formalisées quand bien même ils n’y sont pas tenus.

Décisions sans CAO

Il est en outre admis que la CAO ne bénéficie que de compétences d’attribution qui lui sont confiées expressément en vertu d’un texte, le CGCT au cas présent. Par conséquent, elle ne dispose d’aucune compétence ou prérogative générale de principe dans le cadre de la passation des marchés publics.

Dès lors, « cantonnée » au choix de l’attributaire et ne pouvant se voir confier d’autres compétences que celles que la loi lui confie, les décisions suivantes quittent l’escarcelle des attributions de la CAO pour les procédures formalisées supérieures aux seuils européens :

- décision de rejet des candidatures incomplètes, faisant l’objet d’une interdiction de soumissionner ou ne présentant pas des garanties techniques, professionnelles et financières suffisantes ;

- décision sollicitant des soumissionnaires des précisions ou des compléments quant à la teneur de leur offre (il s’agissait là d’une pratique largement répandue alors même que les dispositions du Code des marchés publics n’attribuaient pas expressément cette compétence à la CAO) ;

- détection des offres potentiellement anormalement basses et invitation des soumissionnaires concernés à justifier leur prix en conséquence ;

- décision de rejet des offres anormalement basses, irrégulières, inappropriés ou inacceptables.

Ces compétences méritent dès lors d’être exercées par les organes de l’acheteur investis légalement du pouvoir décisionnel : l’exécutif ou l’assemblée délibérante (sans préjudice des délégations de compétences autorisées par la loi). Ces derniers ne peuvent s’en décharger au profit de la CAO. Tout au mieux celle-ci pourrait être sollicitée pour avis préalable.

Faut-il se satisfaire de cette nouvelle redistribution des rôles, s’interroger, le déplorer ? Chacun aura son opinion sur la question. Toujours est-il que le fait de déplacer le terrain décisionnel, jusque là occupé par une instance collégiale, représentative de la pluralité politique et garantissant un minimum de débat contradictoire, peut surprendre.

Extension à tous les types de marchés publics

Toutefois, la CAO semble également investie d’un nouveau champ de compétence non négligeable et, disons-le, assez inédit.

En effet, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, la notion de « marchés publics » englobe les marchés que l’on peut qualifier de « classiques », les accords-cadres ainsi que les marchés de partenariat.

Or, l’article L.1414-2 du CGCT confie à la CAO l’attribution des marchés publics supérieurs aux seuils européens dans leur ensemble, sans distinguer ceux qui relèvent de l’ordonnance de ceux qui sont exclus de son champ d’application.

Par voie de conséquence, s’agissant spécifiquement des marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs, la CAO se retrouve investie de la compétence d’attribuer les contrats visés aux articles 14 (exclusions diverses), 17 (quasi-régie) et 18 (coopération entre pouvoirs adjudicateurs) de l’ordonnance du 23 juillet 2015.

En effet, bien qu’exclus par lesdites dispositions du champ d’application de l’ordonnance, l’ensemble des contrats visés par ces articles n’en restent pas moins qualifiés de marchés publics, à la différence des contrats de travail, des subventions et des transferts de compétences exclus de cette qualification par l’article 7 de l’ordonnance.

Choix délibéré ou maladresse de plume, résultant du fait que l’article L.1414-2 du CGCT n’a pas précisé que la CAO était compétente pour l’attribution des seuls marchés publics supérieurs aux seuils européens et relevant de l’ordonnance, cette réforme du droit des marchés publics pourrait bien s’avérer plus conséquente qu’annoncée.

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