La rénovation du parc existant est une nécessité à la fois sociale, sanitaire et environnementale. Elle est indispensable pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Jusqu’à présent, l’effort porte principalement sur la construction neuve, mais celle-ci concerne moins de 1% du parc, avec des consommations 5 à 10 fois inférieures à celles des maisons existantes. Un tel effort est insuffisant au regard des ambitions affichées. Il est impératif de réorienter les priorités vers l’existant.
Par ailleurs, la rénovation énergétique est encore trop souvent focalisée sur le confort d’hiver et la réduction des consommations de chauffage, au détriment du confort d’été. A l’heure des extrêmes climatiques, la santé et le bien-être des habitants imposent d’intégrer cette dimension estivale, en s’appuyant sur les qualités intrinsèques des constructions existantes.
Un constat
Absence de conseil structurant
Trop de rénovations s’effectuent sans l’intervention d’un architecte, à même de proposer une vision globale, performante et coordonnée, avec le soutien de bureaux d’études et d’entreprises compétentes.
Absence de diagnostic global et multicritères
Les interventions ponctuelles, sans diagnostic approfondi et pluridisciplinaire, engendrent des pathologies et limitent les possibilités ultérieures d’amélioration. Le diagnostic multicritères reste méconnu, jugé trop technique ou trop coûteux. Il est pourtant décisif pour garantir la qualité d’un projet, valoriser un bien, voire révéler un potentiel d’évolution.
Précarité sociale et énergétique persistante
Pour les ménages les plus modestes, les aides actuelles ne suffisent pas à rendre envisageable une rénovation globale forcément plus coûteuse.
Manque de lisibilité et de continuité des politiques publiques
Le manque de stabilité et de visibilité des dispositifs d’aide à la rénovation nuit à leur développement. Professionnels ou particuliers peinent à s’engager dans un projet sans vision stable à long terme. Le gel récent des aides à la rénovation globale en est l’illustration…
Standardisation des solutions techniques
Les politiques actuelles tendent à favoriser des solutions technologiques souvent installées sans considération du contexte. Dans bien des cas, une bonne orientation avec protection solaire, un matériau gardé perspirant ou une ventilation naturelle bien conçue suffiraient, pour un coût moindre, un entretien réduit et une meilleure appropriation par les usagers. La climatisation conventionnelle, souvent choisie par défaut, génère un fort impact carbone à l’installation, se révèle énergivore et aggrave les îlots de chaleur urbains. Ces équipements ne doivent pas devenir la norme, au détriment de solutions passives, simples et durables.
Sous-estimation de l’usage réel
Les solutions techniques sont trop souvent pensées indépendamment des usages concrets. Or, les habitants développent une intelligence d’usage, trop souvent négligées et pourtant essentielle à la réussite d’un projet. Ainsi, des combles peuvent sembler secondaires dans un calcul thermique global, mais deviennent essentiels s’ils servent de chambre ou de bureau.
Oubli des solutions bioclimatiques dans l’existant
Les dispositifs bioclimatiques passifs ou semi-passifs sont souvent réservés au neuf, alors qu’ils sont tout aussi pertinents en réhabilitation. Les négliger revient à limiter la performance réelle et la pérennité des transformations.
Négligence du confort d’été
Il est essentiel de préserver, voire renforcer, la capacité des logements à résister aux fortes chaleurs. Beaucoup de rénovations dégradent cet équilibre, au lieu de valoriser les qualités initiales du bâti.
Invisibilisation de l’impact carbone de la rénovation
L’impact environnemental de la rénovation n’est que rarement évalué. L’usage de matériaux bio ou géosourcés, en circuit court n’est pas assez encouragé.
Les freins à une rénovation de qualité sont d’abord socio-économiques. Sans l’accompagnement et les financements adaptés, les maîtres d’ouvrage ne peuvent assumer les investissements nécessaires. L’intervention d’artisans non formés à l’approche globale ou aux techniques bas carbone renforce ces difficultés. Par ailleurs, les délais administratifs ou opérationnels sont souvent dissuasifs. S’ajoute un cadre réglementaire trop focalisé sur le confort d’hiver. L’actuel DPE, dans sa plus récente version, ne permet pas d’appréhender les spécificités du bâti, ni d’orienter finement les travaux selon l’usage.
Architectes et conseillers environnementaux proposent des solutions qui articulent adaptation de l’existant et dispositifs innovants. L’usage du préfabriqué hors-site, par exemple, permet d’optimiser coûts, délais, nuisances et conditions de travail. Plus largement, leur expertise permet d’intégrer les aspects réglementaires, urbains, économiques, d’usage, d’ambiance (acoustique, lumière, matériaux, etc.). Leur rôle est de redonner du sens à la rénovation : créer un cadre de vie qui donne envie d’être habité, en toute saison, en articulant confort, projet de vie, économie, et environnement, tant dans la sobriété que la durabilité. Ils savent repérer un potentiel spatial ignoré, éviter les erreurs, valoriser l’inertie des matériaux, anticiper les transformations d’usage ou proposer des dispositifs simples mais efficaces.
Pour une rénovation de bon sens : une feuille de route
Ce manifeste invite à réinterroger les méthodes de rénovation, à renforcer la formation des acteurs, et à structurer des outils adaptés. Pour réussir la massification de la rénovation des maisons individuelles, il est indispensable de :
- Donner la priorité à l’approche globale et à son accompagnement financier, comme recommandé dans le rapport Ademe de 2021, repris dans le rapport annuel 2025 du Haut-conseil pour le Climat ;
- Refondre l'actuel DPE pour en faire un véritable outil de pilotage des rénovations ;
- Encourager les solutions passives à faible impact ;
- Appuyer les interventions d’équipes pluridisciplinaires travaillant en synergie (architectes, BET, entreprise générale de travaux…) ;
- Former les professionnels aux méthodes passives et bioclimatiques, aux matériaux biosourcés, bas carbone ;
- Partager la culture architecturale avec le grand public, notamment autour du confort et de la santé.
La rénovation doit répondre aux urgences climatique et sociale, tout en étant profondément sensible, culturelle, enracinée dans les modes de vie d’aujourd’hui et de demain. Elle ne peut se réduire à une somme de solutions techniques.
Les signataires
Atelier Franck Boutté (atelier d’ingénierie et de conception environnementale), Cécile Boulogne-Martine (architecte HMONP, contributrice du Studio A+U innovation dans le logement et matériaux biosourcés), Cveta Sourtcheva (Architecte DPLG, enseignante en Ensa et créatrice de la coopérative Cveto Scop), Maria Lopez-Diaz (directrice du collectif architecture et environnement, rénovation bioclimatique), Tatiana Sau (fondatrice de Studio A+U - Architecture et solutions sur mesure), Macoretz Scop (coopérative du bâtiment, entreprise générale tous corps d'état).