Un chiffre éloquent : la France est le troisième importateur de carrelage de la planète, après les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Ainsi, en 2013, ce sont 96 millions de m², soit 82,8 % de la consommation, qui ont été importés depuis les pays voisins du Sud. La France est le premier débouché pour les industriels italiens, espagnols et, dans une moindre mesure, portugais. Et ce n’est pas près de changer. La production intérieure annuelle de notre pays, qui se situe aux alentours de 25 millions de m² (exportations comprises), n’a que peu profité de l’engouement pour le carrelage qui ne se dément pas depuis une quinzaine d’années.
De véritables « clusters » de la céramique
Il faut dire que les industries céramiques italiennes et espagnoles sont des secteurs d’excellence. Avec, dans les deux cas, une très forte concentration au sein de régions spécialisées. La production italienne provient à 90 % d’Émilie-Romagne, notamment de Sassuolo. En Espagne, la province de Castellón, sur la côte Est, regroupe une centaine d’industriels de toutes tailles. Dans ces deux pays, les équipementiers et les fournisseurs de matières premières sont installés à proximité, si bien que ces céramistes forment un écosystème de type « cluster », et tirent parti d’une main-d’œuvre qualifiée, tandis que l’hypercompétition favorise des taux d’investissement élevés. Ces zones s’affirment comme les centres névralgiques de la logistique du carrelage en Europe. Résultat, pour les acheteurs de la distribution, les salons Cersaie, à Bologne, et Cevisama, à Valence, sont des rendez-vous obligés.
Si l’on excepte le numéro un du secteur, Marrazzi, racheté en 2012 par le groupe américain Mohawk, numéro un mondial des revêtements de sols et murs, les principaux acteurs italiens sont, dans l’ordre, Gruppo Concorde, Fiandre-Iris, Finfloor, Panaria, Castalgrande Padana, Cooperative d’Imola, Emil Ceramica, selon le classement Tiles International 2014. Côté espagnol, les négoces connaissent bien Pamesa, Roca et Porcelanosa.
En dépit de l’effondrement de leurs marchés intérieurs ces cinq dernières années, les champions du Sud ont rebondi grâce à l’export. En 2014, avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 4,8 Mds€, la production italienne s’est élevée à 380 millions de m², en progression de 4,5 % par rapport à 2013, dont 311 millions sont exportés (+ 3 %). L’Espagne, elle, a façonné 425 millions de m² l’an dernier (+ 1,2 %), 80 % partant à l’export, pour un chiffre d’affaires de 2,3 Mds€. Le pays est le premier producteur et exportateur d’Europe, mais l’Italie conserve son leadership sur les exportations vers l’Union européenne, en particulier la France.
Grès « porcelainé »
D’après les données douanières d’août 2015, 53 % des importations françaises provenaient d’Italie (48 millions de m²), 24 % d’Espagne (22 millions de m²), le reste du Portugal ou de Turquie.
Pour la production italienne, selon des statistiques locales, 86,4 % des produits fabriqués en 2013 sont destinés à la pose au sol, et 13,6 % aux revêtements de murs. Dans le détail, 93 % des carreaux de sol (311,5 millions de m²) sont des grès porcelainés (« grès porcellanato »). Ces produits haut de gamme en termes de performance technique se sont substitués aux céramiques monocuissons, plébiscités en Italie avant les années 2000. Cette situation montre une volonté de se spécialiser sur les produits à forte valeur ajoutée, notamment en sol. « Les industriels italiens ont laissé à l’Espagne et au Portugal la faïence, utilisée pour les murs », observe un distributeur.
Le déclin de l’industrie française du carrelage, qui employait un peu plus d’un millier de salariés en 2012, s’est accompagné de restructurations et de rachats par des groupes étrangers. Par exemple Cerabati, spécialiste historique du grès cérame et marque emblématique de la période faste du bâtiment des années 1960-1970.
La renaissance d’une production en France ?
S’il y a lieu d’en parler à nouveau aujourd’hui, c’est que Groupe Cerabati vient de réapparaître en tant que nom de société, se substituant à l’ex-Marrazzi France. Son siège est à Lyon (69), et sa production sise à Paulhaguet et Couteuges (42). Ce changement d’appellation fait suite à sa reprise, il y a un an, par Dorcas Ceramics.
Deux autres groupes italiens produisent en France. Gambini, société familiale de taille moyenne, avec depuis 1993, Parfeuille Provence à Fournès (30) et Meg Céramique à Oiry (51), soit au total 200 salariés et une production annuelle de 6,5 millions de m². Depuis 2000, Gruppo Concorde a pour filiale Novoceram à Saint-Vallier (26), qui produit 4 millions de m² par an.
De grands formats et l’impression numérique
Au nord de la Loire, Desvres, filiale du groupe belge Koramic, qui est aussi présent dans les produits de mise en œuvre avec Cermix, emploie 200 personnes pour un chiffre d’affaires total de 100 M€. Ces trois dernières années, Desvres a concentré sa production sur le seul site de Sous-le-Bois, à Maubeuge (59), où il a réalisé des investissements pour plus de 10 M€ : grands formats, rectification et impression numérique. « Cette dernière technique, qui offre fiabilité et flexibilité, concerne désormais 80 % de la production », annonce Pascal Bouckaert, PDG. Si l’esthétique se veut conforme aux grandes tendances, inspirées par l’Italie, des « possibilités de différenciation existent », insiste Pascal Bouckaert, « en conciliant modernité et art de vivre ». Desvres met également en avant son label OFG (Origine France garantie).
Quelques PMI indépendantes
Parmi les autres interlocuteurs du négoce, VB Fliesen (dont l’actionnaire principal est le groupe turc Eczacibasi, en « joint-venture » avec Villeroy & Boch) dispose d’une usine à La Ferté-Gaucher (77). Sa directrice mène une stratégie orientée design, avec le soutien de la région Ile-de-France.
Les distributeurs peuvent également compter sur des PMI indépendantes, comme le groupe JCSK dirigé par Jean-Claude Kergoat (Emaux de Briare, Carré, CeraFrance, Aurum Céramique), ou encore Winckelmans, implanté à Lomme (59), et spécialiste de la mosaïque et des carreaux de petits formats en grès cérame.
Ces différents acteurs sont positionnés sur des fabrications spéciales, l’artisanat d’art, le marché haut de gamme, voire de luxe, avec parfois de belles réussites internationales, notamment en ce qui concerne Winckelmans. Des fabrications anciennes comme les carreaux et les tomettes en terre cuite ont plus de mal à perdurer. Entre autres exemples, les Terres cuites de Rairies (49) se réorientent vers le marché de la façade, en parement d’isolation thermique par l’extérieur (ITE) notamment. Une réorientation opportune face à un marché moins demandeur pour le sol.