Un sans-faute pour l’établissement public du palais de justice de Paris (EPPJP) : les deux motifs sur lesquels il avait assis le choix du contrat de partenariat pour la conception, la construction, le financement, l’entretien et la maintenance du futur palais de justice sur la ZAC de Clichy-Batignolles ont été admis par la justice administrative en appel. Comme lemoniteur.fr l’indiquait le 3 avril, la requête en annulation déposée par l’association « La Justice dans la Cité » et un avocat au barreau de Paris a été rejetée, et le chantier devait « reprendre immédiatement » selon Bouygues, mandataire du groupement titulaire du contrat (lire notre article). Au-delà des enjeux liés à l’envergure du projet, l’arrêt rendu par la CAA de Paris le 3 avril présente un intérêt sur le plan juridique en ce qu’il décortique les notions de complexité et d’urgence.
Avis positif de la Mappp
Rappelons que les trois motifs (complexité du projet, caractère d’urgence, efficience économique) permettant, selon , de justifier la passation d’un contrat de partenariat par dérogation au droit commun de la commande publique, sont alternatifs : il en suffit d’un. L’évaluation préalable réalisée par l’EPPJP en a retenu deux pour fonder le choix du contrat de partenariat pour la réalisation du nouveau TGI. Evaluation préalable sur laquelle la Mission d’appui aux PPP (Mappp) a d’ailleurs rendu un avis favorable le 5 février 2010 (1) - sans qu’un tel avis puisse toutefois avoir une influence déterminante sur l’appréciation par les juges du bien-fondé des motifs invoqués. Ainsi le contrat de partenariat passé par la Ville de Commentry (Auvergne) pour la réalisation d’une piscine municipale avait-il été annulé en ce début d’année, le juge écartant la notion de complexité pourtant reconnue par la Mappp (lire notre article).
Urgence à mettre fin à une situation grave et préjudiciable
En l’espèce, la CAA de Paris, réunie en formation plénière, se penche successivement sur les motifs d’urgence et de complexité, contestés par les requérants. Elle estime tout d’abord qu’il y avait bien « urgence à mettre fin à une situation particulièrement grave et préjudiciable à l’intérêt général affectant le bon fonctionnement du service public de la justice à Paris ». Pour ce faire, elle reprend les éléments mis en avant dans l’évaluation préalable de l’EPPJP : le TGI actuel est dispersé sur neuf sites différents, et « la configuration et la vétusté du Palais de justice de l’Ile de la Cité ne permettent pas un fonctionnement normal de cette juridiction » en termes de conditions matérielles de travail, d’accessibilité et de sécurité des personnes et des biens. Une appréciation in concreto, pas forcément transposable à d’autres projets. Mais la cour souligne aussi que cette urgence n’est pas infirmée « par la circonstance que d’autres solutions que celle retenue auraient été envisageables pour tenter de remédier [à la gravité de la situation]», argument susceptible d’être, lui, réutilisé…
La CAA de Paris emboîte ainsi le pas au Conseil d’Etat, qui retient une conception plutôt large de la notion d’urgence en matière de contrat de partenariat. Ainsi dans l’arrêt du 23 juillet 2010 relatif au collège de Villemandeur (lire notre article), les Sages du Palais-Royal avaient admis le motif d’urgence, précisant notamment que le fait que le retard d’équipement à rattraper soit imputable ou non à la personne publique importait peu. En revanche, avaient-ils ajouté, l'urgence ne peut être caractérisée par « de simples difficultés ou inconvénients ».
Complexité liée à l’envergure exceptionnelle du projet
Outre l’urgence, la CAA de Paris reconnaît aussi la complexité (2) du projet de nouveau TGI, à grands renforts de détails. Elle pointe d’une part « les dimensions exceptionnelles de l’ouvrage à réaliser » (60 000 m2, 90 salles d’audience, une fréquentation attendue de 9 000 personnes par jour dont le personnel de justice mais aussi les détenus, journalistes, grand public, etc). Le choix du site (construction à Paris, dans une zone en cours d’aménagement sur d’anciennes emprises ferroviaires non viabilisées, d’une tour de 160 mètres de haut) et les contraintes d’exemplarité en matière de performance énergétique et de développement durable accroissent de plus cette complexité. Au final, les difficultés à résoudre en termes de sécurité, de performance acoustique et thermique, d’insertion de l’édifice dans son environnement, de maîtrise des risques du chantier et de maintenance et d’entretien sont si vastes que la nécessité de « recourir à un contrat global pour assurer la parfaite cohérence des solutions architecturales et techniques proposées [par tous les intervenants]» doit être admise. La suite des événements a d’ailleurs donné raison à l’EPPJP, estime la cour, puisque le dialogue compétitif mené pour conclure le contrat de partenariat a permis d’apporter des réponses à certaines de ces difficultés (choix des matériaux permettant l’isolation acoustiques de certaines salles, par exemple). « Il est ainsi établi que l’EPPJP était dans l’impossibilité de définir seul et à l’avance, y compris en recourant aux moyens mis à sa disposition par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), qui n’a jamais conduit une opération de telle ampleur, les moyens techniques permettant la réalisation du projet envisagé », conclut la cour. Elément qui justifie par ailleurs, selon l’arrêt, le choix du dialogue compétitif plutôt que d’un appel d’offres.
L’association requérante décidera lors de sa prochaine réunion le 13 mai de saisir ou non le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation, a indiqué son avocat au moniteur.fr.
Pour consulter l’arrêt CAA Paris, 3 avril 2014, n° 13PA02769, cliquez ici
A lire aussi : la fiche technique de la Mappp « Urgence, complexité et efficience économique »