« On a appris récemment que "Raum" peut être le nom d'un démon destructeur des villes », s'amusent Julien Perraud et Thomas Durand qui, avec Benjamin Boré, forme le trio nantais ainsi baptisé. De façon plus évidente, le nom renvoie à l'allemand « pièce, espace ». Et encore plus précisément, « étymologiquement, ce mot veut dire élaguer la forêt pour y ménager une clairière... en somme créer de l'espace », expliquent les architectes. De bien jolies définitions « mais qui ne sont pas centrales, glissent-ils. Nous travaillons avec beaucoup de gens différents alors nous souhaitions avoir un nom plutôt abstrait ». Cette petite touche de vague sied bien à cette jeune équipe qui se distingue par la diversité de ses centres d'intérêt. Apparue en 2007, l'agence qui vient de remporter le prix d'architecture de la Première œuvre pour un petit bâtiment en Bretagne assurant la double mission de hangar ostréicole et de lieu de repos, cultive en effet une pratique assez touche à tout.
Hasards
On se prend à imaginer que c'est parce qu'aucun des trois garçons n'avait au départ vraiment envisagé de devenir architecte. Né en 1982 à Saint-Nazaire, Julien Perraud pensait plutôt à la mer. Habitué des compétitions, comme le Tour de France à la Voile, il se voyait bien architecte naval. Il a entamé le tronc commun à l'Ecole d'architecture de Nantes avant de choisir finalement la filière plus traditionnelle. A l'école de Nantes, il a rencontré Benjamin Boré, né la même année que lui à Villeneuve-Saint-Georges et qui s'était engagé sur cette voie « un peu par hasard ». Quant au troisième, Thomas Durand, il était parti pour faire des études d'économie. Né en 1977, lui a fini par rentrer chez Raum l'an dernier après avoir travaillé avec Julien pour l'agence nantaise Roulleau. Avec Benjamin, ils ont fait connaissance via la musique. Pas très étonnant sans doute: Thomas joue du rock et Benjamin organise des concerts. Ainsi les Raum se sont croisés, recroisés et ont partagé les mêmes goûts musicaux, avant même d'occuper le même espace. Ou du moins les mêmes projets puisque Benjamin Boré vit à Bruxelles et entre deux voyages à Nantes, passe des heures sur Skype à discuter avec ses comparses.
Expériences
Le trio est donc réuni autour de l'architecture avec, ces temps-ci, dans la ligne de mire le lancement en mars d'un petit chantier de logements à Quiberon. Mais, pour eux, il y a aussi la sérigraphie, des scénographies notamment pour des festivals de musique ou encore des installations, telle la cylindrique « Erika » pour la biennale d'art contemporain Estuaire, entre Nantes et Saint-Nazaire en 2007. Sans oublier un travail de recherche sur de nouveaux matériaux fabriqué à partir de la récupération, par exemple, de tubes de dentifrice. D'ailleurs, l'agence déménage le 15 février pour enfin pouvoir loger les machines dont elle a besoin pour ses expériences.
« C'est une saine dispersion », estime Catherine Lenoble, de l'association Ping. Cette structure nantaise spécialisée dans l'accompagnement de projets multimédias, travaille parfois avec Raum qui leur fera ainsi prochainement une scénographie d'exposition. Catherine Lenoble poursuit : « C'est justement bien parce qu'ils font différentes choses que nous avons eu des occasions de nous croiser et que nous avons maintenant des projets en commun. Mais cela n'empêche que tout cela est très sérieux. »
Habitudes
Professionnels donc, les Raum, mais alors avec une petite touche de « non-conventionnel ». « Nous aimons les situations particulières, un peu incongrues », dit en effet Julien Perraud, qui, lui, est aussi AJAP de la promotion 2009-2010. En somme, l'équipe - récemment rejointe par l'architecte Julie-Marine Prigent - aime bien bousculer un peu l'espace dans sa stabilité et les gens dans leurs habitudes. Elle aime à mener des projets qui dénotent et étonnent. Ainsi l'an dernier, pour la Biennale d'Art contemporain de Bourges, Raum a fabriqué un morceau de « Ville molle », un sol pavé mouvant qui obligeait les passants à revoir tout ce qu'ils croyaient savoir de l'équilibre. Quant au petit bâtiment pour l'ostréicultrice du Morbihan, avec son programme si singulier, il ne pouvait que tenter Raum.