Le projet de réforme du CCAG travaux vient d'être mis en consultation publique jusqu'au 31 mai par la Direction des affaires juridiques de Bercy. Il apporte trois innovations visant à réduire les délais de production et de validation du décompte général définitif (DGD) en marchés publics :
- Les trois délais entrant en compte dans le cadre de la réalisation du DGD seraient diminués. Ainsi, après réception des travaux, l'entreprise bénéficierait de 30 jours (et non plus 45) pour transmettre son projet de décompte final simultanément au maître d'oeuvre et au maître d'ouvrage. Le texte aurait ensuite 30 jours (au lieu de 40) pour être discuté et avalisé par les maîtrises d'oeuvre et d'ouvrage, après quoi l'entreprise aurait 30 jours (au lieu de 45) pour signer ce document qui deviendrait ainsi le décompte général définitif.
- Le DGD deviendrait tacite en cas de non-respect des délais impartis. Le nouvel article 13.4.4 prévoit ainsi que "si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés [c'est-à-dire dans les trente jours à compter de la réception par les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage du projet de décompte final], le projet de décompte final transmis par le titulaire devient le décompte général." La chose fonctionne également en sens inverse, lorsque le titulaire du marché n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur dans le délai de trente jours, ou s'il n'a pas motivé son refus ou expliqué précisément ses réserves en précisant le montant de ses réclamations.
- Le délai de trente jours laissé au pouvoir adjudicateur pour notifier le décompte général partirait, selon ce projet, du jour de la réception du projet de décompte par ce dernier, et non plus du jour de son acceptation.
Une "petite révolution" pour la Fédération française du bâtiment
Du côté de la Fédération française du bâtiment (FFB), on évoque une "petite révolution" si ce texte est validé en l'état. "Ce projet correspond à nos attentes. J'espère qu'il ne sera pas saboté à l'issue des concertations publique et interministérielle", expose un responsable de la FFB. "Le point majeur, c'est celui qui introduit un DGD tacite. C'est une bonne chose dans la mesure où le rapport économique est en faveur des entreprises : elles sont les créancières." Selon la fédération, cette mesure est à situer dans le cadre des récents propos de François Hollande sur le principe que "le silence vaudra acceptation" dans tous les domaines de l'administration.
Pour Philippe Touzet, fondateur du cabinet d'avocats Touzet, Bocquet & Associés, ce DGD tacite permettra de "lever des facultés de petits chantages. L'évolution est mineure dans les mots, mais dans les principes cela change la donne. Ce genre de mesures va dans le bon sens : nous prenons conscience du fait que les entreprises ont besoin de cash."
Arnaud Marchand, avocat associé du cabinet Carakters, est aussi d'avis que "l’apport principal de ce projet de texte est la possibilité d’obtenir un décompte général tacite". La rédaction actuelle soulève cependant, selon lui, une difficulté : "Le projet de décompte final transmis par l’entreprise au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage ne comporte pas la récapitulation des acomptes versés ni, par conséquent, l’état du solde" (calculé par le maître d’œuvre lors de l’élaboration du projet de décompte général ). "Si ce projet de décompte final devient décompte général de façon tacite du fait du dépassement des délais, ce document est donc incomplet puisque ne comportant pas le montant des sommes restant dues à l’entreprise… Gageons que cela sera rectifié au cours de la concertation publique, ou ensuite au stade de l’interministériel."
"Le maître d’ouvrage public risque de devoir payer des sommes indues"
Arnaud Marchand s'étonne par ailleurs de la réduction du délai de 45 à 30 jours pour que l'entreprise remette son projet de décompte final : "Il est un peu curieux qu’un texte qui se veut en faveur des entreprises réduise le délai qui leur est imparti pour remettre leur projet de décompte final, rendant ainsi leur tâche un peu plus ardue."
Pour Denis Le Bossé, président du cabinet de recouvrement de créances ARC, même si ce projet représente une avancée nécessaire, il ne devrait pas modifier la situation en profondeur. "Le processus de validation des opérations reste très complexe et difficile à maîtriser, avance-t-il. Il comprend, par ailleurs, des éléments incompressibles. Au quotidien, les délais de paiement réglementaires sont rarement respectés." Dans le même ordre d'idées, Philippe Touzet estime que l'on peut avoir "un petit doute sur la capacité des collectivités territoriales, vu l'état de leurs finances, à payer à temps".
Plus sceptique encore est Jean-Marie Héron, président de l’Association des acheteurs de collectivités territoriales (AACT), qui s’insurge surtout contre l’introduction du décompte général tacite. "Lorsque le retard de transmission sera imputable au maître d’œuvre, le maître d’ouvrage public risque de devoir payer des sommes indues (travaux supplémentaires non justifiés, travaux réalisés sans ordre de service…) faute de pouvoir rectifier le projet présenté par l’entreprise. Le but poursuivi est juste : les entreprises doivent être payées dans les temps, mais pas à n’importe quelle condition ! Il faut préserver la règle du « service fait », seule à même de déclencher un paiement."