La toute première fois, Sylvain Massonneau, directeur général (DG) de TradiMaisons et vice-président du Pôle Habitat FFB, s'en souvient fort bien. Il avait jeté son dévolu sur une bâtisse délabrée des années 1930 implantée en bordure du tissu urbain de Clermont-Ferrand. « C'était en 2020, raconte-t-il. En acquérant cette maison, l'objectif était de former nos équipes à la rénovation. Faire émerger des compétences en mettant à nu ses parties structurelles, en la démontant comme on le ferait d'un vieux réveil, pour en découvrir les failles tout en essayant d'en conserver le plus possible les matériaux d'origine. »
Constructeur de maisons individuelles depuis 2002, le dirigeant a créé en 2019 une structure spécifique dédiée à la rénovation « pour séparer les risques ». « Dès 2016, j'ai compris que l'étalement urbain n'avait plus d'avenir et que la rénovation de maisons permettrait de proposer une offre complémentaire », ajoute-t-il, en précisant qu'à ce jour, et après quatre réalisations, il poursuit sa « phase expérimentale ». A l'instar de Rémi Fromaget, président du groupe Inca (Demeures Côte d'Argent, Rouquié Constructions, etc.), basé à Artigues-près-Bordeaux (Gironde), pour qui la crise profonde que traverse le secteur de l'habitat individuel incite à accélérer la diversification vers la rénovation. « Depuis l'origine du groupe en 1954, nous avons réalisé 20 000 maisons, indique le constructeur. En mai 2023, nous avons créé la société REnO2 pour offrir une “mise à jour énergétique” des maisons déjà livrées avec l'idée, à terme, de proposer des rénovations globales clé en main. » Cette analyse, le groupe Hexaôm l'a récemment mise en pratique : « Hors des franchisés de la branche dédiée (Illico Travaux, Camif Habitat…), quelques filiales du groupe ont réalisé depuis une dizaine d'années des projets au travers de la marque Rénovert, rachetée en 2007, explique Loïc Vandromme, directeur général du groupe. En 2023, nous avons lancé une nouvelle organisation permettant à chaque marque de porter à la fois la construction neuve et la rénovation. »
Une meilleure maîtrise des coûts. Ces professionnels assurent avoir une longueur d'avance dans le domaine particulier de la réhabilitation lourde. Pour Miguel Gomes, président d'Yvelines Tradition, dont 10 % des dossiers concernent ce type de projets, « les artisans n'ont que rarement les compétences nécessaires dans le domaine de l'amélioration énergétique liée à d'importants travaux. Nous nous démarquons également d'une entreprise générale et d'un architecte en appliquant la loi de 1990 pour réaliser un logement neuf à partir de la structure ancienne. L'avantage est de conserver aussi l'emprise au sol de l'ouvrage existant, à un moment où le foncier se raréfie. » Les constructeurs revendiquent également une progression dans la maîtrise des coûts relatifs à la rénovation : « Dans la construction neuve, nous avons toujours le souci de l'économie en détaillant l'ensemble des dépenses, alors qu'en rénovation l'approche au forfait favorise les glissements, estime Sylvain Massonneau, qui intervient en tant que contractant général sur ces chantiers spécifiques. Mais aujourd'hui, nos compétences techniques nous permettent d'appliquer une culture du contrôle des coûts sur chaque poste. » Loïc Vandromme abonde : « Tout le monde parle de rénovation, mais il s'agit souvent de petits chantiers, avec des pompes à chaleur, pas de réhabilitation globale. Dans ce domaine, nous n'avons pas de concurrence à ce jour. »
Mobiliser des équipes spécifiques. Pour autant, mobiliser des équipes avec bureaux d'études et conducteurs de travaux nécessite un budget minimal pour le chantier : le DG d'Hexaôm estime le panier moyen à 100 000 €, tandis que son homologue de TradiMaisons l'envisage entre 100 000 et 150 000 €. Miguel Gomes le compare même à celui d'une maison neuve, « entre 500 000 et 700 000 € », dès lors que l'on parle de restructuration lourde. C'est à ces tarifs que les constructeurs peuvent assembler des équipes spécifiques.
Hexaôm compte aujourd'hui 30 vendeurs « rénovation » sur un effectif de 350, et le groupe Inca multiplie les qualifications d'une partie de ses effectifs avec l'obtention acquise ou en cours de QualiPV Bâtiment, QualiPV 36 (compétence électricité d'une puissance inférieure ou égale à 36 kVA), QualiPAC ou Certi Renov. « Il s'agit d'assurer la maîtrise des services proposés à nos clients tout en leur ouvrant les droits aux aides », précise Rémi Fromaget.
De son côté, Miguel Gomes a formé une équipe interne composée de trois commerciaux, un administratif, un bureau d'études, un responsable travaux et trois conducteurs de travaux. L'offre en rénovation globale n'apparaîtra pas cependant en un claquement de doigts. « Il faut assimiler les règles du jeu, souvent mouvantes, analyse Rémi Fromaget, en déduire l'intérêt pour l'entreprise, créer le process, les outils de productivité, se former, prioriser les prestations à proposer, les chiffrer, les concevoir, motiver les compagnies d'assurances, etc. Nous partons quasiment d'une feuille blanche. »
Difficultés de financement. Ces différents facteurs expliquent, pour partie, la lente montée en puissance de la rénovation dans les entreprises. Avec 20 M€, et même si Loïc Vandromme estime qu'elle permettra à terme « de juguler la chute du secteur neuf », cette activité ne représente aujourd'hui que 3 % du CA d'Hexaôm (hors franchises). Du côté de TradiMaisons, elle ne compte que pour une faible part des chantiers de rénovation de la structure dédiée, qui se déploie plus largement dans le secteur tertiaire : « Les particuliers rencontrent les mêmes difficultés de financement pour les projets de rénovation globale que pour le neuf », regrette Sylvain Massonneau, qui attend du gouvernement de « vraies solutions incitatives ».
L'un des freins à lever, évoqué par Grégory Monod, président du Pôle Habitat FFB, « réside dans les clauses des cahiers des charges de lotissements construits dans les années 1970 et 1980 empêchant la subdivision de parcelles. Leur modification faciliterait la construction neuve tout en permettant aux propriétaires actuels de dégager le financement nécessaire à la rénovation de leur propre maison. » Se lancer dans la rénovation ne semble donc pas la panacée. « Que ce soit une source de diversification, pourquoi pas, mais avant que cela devienne le plat de résistance, il se passera des années, prévient Sylvain Massonneau. Et la crise ne laisse pas de temps. » La poule aux œufs d'or attendra.
« Il faut bien structurer l'offre et la rendre la plus attractive possible », Grégory Monod, président du Pôle Habitat FFB.
« L'objectif des pouvoirs publics est de réaliser 700 000 rénovations énergétiques chaque année. Il ne s'agit toutefois que d'un segment d'un marché plus vaste, qui comprend l'embellissement, l'agrandissement, la restructuration lourde et la démolition-reconstruction. Et la rénovation ne peut pas se substituer à la construction de logements !Depuis 2008, certains constructeurs ont développé une activité de rénovation au travers de structures dédiées.
Celle-ci diffère de l'activité du neuf en matière de forces commerciales comme en termes de conception puisque la rénovation nécessite des études préalables. Entre un budget moyen hors foncier de 192 000 € (TTC) pour faire construire une maison, et un coût qu'on peut estimer entre 60 000 et 70 000 € pour une rénovation globale, ce n'est pas le même modèle économique.
Il faut donc bien structurer l'offre et la rendre la plus attractive possible. En juin 2021, le Pôle Habitat FFB a intégré le métier de rénovateur global. Nous mettons à disposition un cadre contractuel sécurisant pour les clients et avons négocié une couverture globale d'assurance pour les accompagner. Ce relais de croissance est intéressant, mais aussi fortement plombé que le neuf par les conditions actuelles de financement des particuliers. »