Peu d'occidentaux mesurent l'effarante dimension du réaménagement en cours de Shanghai. Les banlieues de cette mégapole de plus de 13 millions d'habitants se couvrent de lotissements et de grands ensembles pour accueillir, entre autres, les populations évacuées par la rénovation de la ville centre, mais ce mouvement classique est loin d'être unique : certes, on urbanise les franges de Shanghai, mais, surtout, depuis moins de dix ans (disons 3 000 jours), on en redimensionne totalement le territoire tout en renouvelant en profondeur (brutalement ?) l'hypercentre et les districts qui bordent le périphérique.
Redimensionnement du territoire, d'abord. En rupture complète avec l'ancien schéma directeur de 1986, qui prônait encore un développement « tout à l'Ouest » sur les axes des concessions d'avant-guerre, le plan directeur de 1995 intègre désormais comme élément structurant les quelque 600 km2 de la zone du Pudong, à l'est du fleuve, qui deviendra l'axe central de l'agglomération à long terme. Pudong, lancé par Zhu Rongji en 1990, quelques mois avant son arrivée au pouvoir, cadré par un schéma directeur vanté en 1993 par une habile consultation internationale sur le quartier d'affaires de Lu Jia Zui, face au boulevard du Bund - conseil technique : Iaurif -, érigé en district spécial l'année d'après, est entré en vraie grandeur en 1995 avec la « Perle de l'Orient », tour de télévision haute de 350 m. La zone offre aujourd'hui l'incroyable spectacle d'un territoire trois fois grand comme les Hauts-de-Seine, passé en moins de dix ans d'une activité industrialo-portuaire en franges et rurale dans l'intérieur à une structure largement urbaine et viabilisée par des infrastructures surdimensionnées. Simple idée en 1993, l'aéroport de Pudong accueille désormais, à 40 km du centre-ville, tous les vols internationaux, reléguant celui de Hongqiao à une simple vocation interrégionale. Le quartier d'affaires de Lu Jia Zui a vu croître des dizaines de tours (dont la « Jin Mao », haute de 450 m) uniquement tertiaires et un centre d'exposition de 45 000 m2, bordés par un parc urbain en front de rivière. Il est depuis 1999 relié au coeur de la zone par l'avenue du Siècle, routière puis piétonne - conception : Arte/Charpentier, avec l'Epad (Etablissement public d'aménagement de la Défense) -, menant à un parc de plus de 100 ha au carrefour des deux axes majeurs de Pudong, et par la ligne no 2 du métro dont l'extension à long terme vers l'aéroport passerait par un secteur qui accueillerait... une exposition universelle en 2010 - les Ateliers d'été de Cergy se sont déroulés à Shanghai sur ce thème en novembre.
60% des bureaux sont vides
Mais, en parallèle, s'opère aussi un total basculement de l'hypercentre, tandis que se préparent des renouvellements en profondeur de part et d'autre du périphérique. Autour de l'axe commercial de la rue de Nankin, où se situaient les plus fortes densités de population de Shanghai, près de 100 ha ont muté depuis huit ans au profit de tours de bureaux ou d'hôtels (Sofitel), ainsi que d'équipements majeurs (opéra, hôtel de ville et... centre d'exposition sur l'urbanisme !). La rue de Nankin, mise partiellement en voie piétonne en mai 1999 et desservie par la nouvelle ligne de métro, remporte un succès incontestable parmi une population attirée par sa débauche d'enseignes commerciales internationales et de restaurants. Les nouveaux logements, milieu de gamme, sont très rares et rejetés sur les franges nord et sud du quartier, mais on remarque - fait nouveau - des opérations de réhabilitation sur des immeubles dont la qualité constructive (à défaut d'architecturale) les permet.
La multiplication des chantiers du centre-ville cartographiés par l'Iaurif depuis 1998 laisse aisément imaginer quel pourrait être le rythme du renouvellement dans les quartiers plus proches de la rocade, ainsi que dans les quatre pôles de croissance retenus pour la banlieue extérieure (Xujiahui au sud-ouest, Zhenlu au nord-ouest, Jiangwan au nord et Huamu à l'est du fleuve), même s'ils sont à dominante de logements. Cette frénésie de l'immobilier tertiaire connaît pourtant actuellement un fort étiage, tant autour de la rue de Nankin que dans Pudong : on parle d'au moins 60 % de bureaux vides, et certains loyers demandés ont été divisés par 10 ou 15 depuis 1992. Un constat à nuancer par le fait que le coût du portage foncier est ici sans commune mesure avec celui connu dans les métropoles occidentales, et que les immeubles changent de mains aussi facilement qu'un paquet d'actions.
Plus qu'une explosion, c'est donc finalement un véritable « renouvellement métropolitain » qui saisit Shanghai à tous ses étages depuis huit ans, à un niveau spatial et immobilier dont on ne connaît guère d'équivalent ailleurs dans le monde.
PHOTO : Gilles Antier, directeur international de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France (Iaurif), vient d'aider à l'établissement d'un bilan intermédiaire du schéma directeur à Shanghai.
* L'Iaurif (Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France) opère des missions d'études et de conseil depuis 15 ans en Chine, notamment à Shanghai.