Tapis noir évoquant l’univers industriel de la fonderie de poêles, la place réaménagée devant les bâtiments classés du Familistère de Guise crée d’emblée la surprise. « On revient aux origines. Jean-Baptiste André Godin avait conçu une place forum qui a été peu à peu morcelée en petits espaces car les gens avaient peur de la force de son expérience unique », expose Frédéric Panni, conservateur du Familistère. En livrant une place nue, faite d’un seul matériau, la brique anthracite, les architectes d’h2o et le paysagiste Michel Desvigne renouent ainsi avec l’histoire du site.
L’aménagement de la place constitue un pas décisif dans le programme Utopia, démarré en 2000 pour restaurer et valoriser l’unité culturelle, administrative et architecturale du lieu. Michel Desvigne aime ce vide unitaire qui relie naturellement les fonctions du Familistère : appartements, théâtre, écoles, accueil des touristes, espaces de musée, parcs, travail. Un vide qui redonne son échelle grandiose au site, tel que Godin l’avait créé quand il parlait du Palais social, bâti sur le plan de Versailles. Désormais, la place est nettoyée des éléments parasites, des réseaux, des panneaux de signalisation. L’uniformité du traitement des surfaces amplifie la géométrie du quadrilatère.
L’exemple hollandais
« Pour restaurer l’unité de lieu au premier coup d’œil, nous avons aussi élargi le périmètre du concours vers l’usine, jusqu’au musée de l’hygiène et aux deux parcs », précise l’architecte Jean-Jacques Hubert d’h2o. La concertation avec l’administration et les associations a permis de choisir des briques au relief podotactile pour alerter les chiens d’aveugle, et de souligner la chaussée et les passages piétons par des briques plus claires. Mais la voie circulée n’est pas formalisée, même si celle-ci supporte des camions de 45 tonnes. Maître d’ouvrage et maître d’œuvre se sont rendus aux Pays-Bas et en Belgique pour analyser des sites et sélectionner des briques larges, rectangulaires, résistant au gel, à l’humidité et à la charge.
« Le fabricant CHR Clay Solutions, basé aux Pays-Bas, nous a fourni des briques en terre noire de la Meuse composée de manganèse. Pour augmenter leur stabilité et leur solidité, elles sont posées en chevrons avec un joint large en sable. Sur la chaussée, leur épaisseur atteint 8 cm, ailleurs 6 cm. Elles sont posées sur un sable spécial, qui renforce l’assise au-delà des normes », détaille Frédéric Panni. La mise en œuvre devait être minutieuse. L’entreprise ISS a soigné les finitions, choisi des coupes qui évitent les brisures. « L’innovation de Godin impose la rigueur : il a surélevé les bâtiments sur cave pour pallier les crues de l’Oise. Nous nous sommes astreints à un calepinage complexe pour absorber la pente de la place entre le théâtre et le Palais social et avons calibré les caniveaux et regards de manière à absorber les eaux de ruissellement », ajoute l’architecte.
Pour le confort des habitants et visiteurs, des bosquets de chênes et de frênes tempèrent le climat minéral de la place, ponctuée de mâts d’éclairage à hauteur de toiture. « Guise est une cité industrielle dans les champs, pas besoin de végétaliser », défend le conservateur. Prochaine étape : l’extension du musée, la réfection des joints de façade du Palais social puis l’installation d’un hôtel « multistandard » dans l’aile gauche.
