Urbanisme - Agrivoltaïsme : le soleil entre dans le champ

Les règles qui doivent permettre de faire cohabiter agriculture et énergie sont précisées dans un décret du 8 avril 2024. Un dispositif complexe et soumis à des conditions strictes.

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Agrivoltaïsme
Agrivoltaïsme

L' relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite « Aper » ou « EnR », marque la naissance légale de l'agrivoltaïsme dont l'objectif est de faire cohabiter énergie solaire et agriculture. Le cadre réglementaire qui doit permettre de mettre en œuvre le dispositif est précisé par le . Ce texte, âprement discuté entre l'administration, les énergéticiens et le monde agricole (la Confédération paysanne a déposé un recours à son encontre le 6 juin), est l'aboutissement de plusieurs mois de concertation et est révélateur des craintes de voir se multiplier des « projets alibis » susceptibles d'entraîner un renchérissement du foncier agricole. Pour parfaire le dispositif, sont également attendus plusieurs arrêtés.

La définition de l'agrivoltaïsme figure dans le Code de l'énergie, à l'article L. 314-36-I. Une installation agrivoltaïque est « une installation de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole ».

Code de l'urbanisme. La loi Aper modifie également de façon plus profonde les modalités d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels et forestiers. Avant son adoption, cette question était pour l'essentiel réglée par le Code de l'urbanisme (C. urb.). Celui-ci subordonnait en effet l'installation d'équipements collectifs dans les espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) à la condition qu'elle ne soit pas incompatible avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elle est implantée (art. L. 151-11 pour les communes dotées d'un plan local d'urbanisme [PLU] ; art. L. 161-4 pour les communes dotées d'une carte communale ; art. L. 111-3 et L. 111-4 pour les communes sous règlement national d'urbanisme [RNU]).

Un équilibre modifié

La loi Aper modifie cet équilibre en créant deux régimes : - l'un, l'agrivoltaïsme, destiné à faciliter l'implantation d'installations photovoltaïques dans les Enaf. En vertu du nouvel , ces installations « sont considérées comme nécessaires à l'exploitation agricole, pour l'application des articles L. 111-4, L. 151-11 et L. 161-4 du présent code » ; - l'autre, destiné à encadrer, et en réalité à fortement contraindre les autres installations photovoltaïques - non agri-voltaïques - dans les Enaf. Ces installations ne pourront en effet être autorisées qu'à condition qu'elles soient compatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière.

Document-cadre. L'implantation de ces dernières est restreinte aux surfaces identifiées dans un document-cadre arrêté par le préfet, sur proposition de la chambre départementale d'agriculture et après consultation de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), des organisations professionnelles intéressées et des collectivités territoriales concernées. Les chambres départementales d'agriculture ont jusqu'au 9 janvier 2025 pour transmettre leur proposition de document-cadre au préfet.

Outre les 14 types de surfaces aux caractéristiques particulières listées par le décret (sites pollués, friches industrielles…) que le préfet doit y inclure (), seuls pourront y figurer les sols réputés incultes ou non exploités depuis au moins dix ans (art. et du C. urb.). Est considéré comme inculte un sol dont « l'exploitation agricole ou pastorale [...] est impossible au regard du territoire environnant en raison de ses caractéristiques topographiques, pédologiques et climatiques » notamment ( ). A noter que les sols ainsi identifiés seront intégrés en tout ou partie dans les zones d'accélération prévues à l'. En revanche, rien n'est dit sur l'articulation du document-cadre avec le PLU.

Un cadre légal précis et exigeant

La volonté des pouvoirs publics étant de donner, sur les terrains exploités, la priorité à la production agricole sur la production d'énergie, on comprend dès lors que la qualification d'installation agrivoltaïque réponde à des conditions précises et exigeantes. Celles-ci ont d'emblée été posées par la loi Aper (art. L. 314-36, II, III et IV du Code de l'énergie).

   Le décret est révélateur des craintes de voir se multiplier des « projets alibis » susceptibles d'entraîner un renchérissement du foncier agricole

Conditions positives. L'installation doit apporter directement à la parcelle agricole au moins l'un des quatre services suivants, en garantissant à l'agriculteur une production agricole significative et un revenu durable en étant issu :

- l'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques ;

- l'adaptation au changement climatique ;

- la protection contre les aléas ;

- l'amélioration du bien-être animal.

Conditions négatives. Par ailleurs, ne peut pas être considérée comme agrivoltaïque une installation qui porte une atteinte substantielle à l'un de ces services « ou une atteinte limitée à deux de ces services ». Ne peut pas davantage être considérée comme agrivoltaïque une installation qui, soit ne permet pas à la production agricole d'être l'activité principale de la parcelle, soit n'est pas réversible. Eu égard à la complexité de cette définition, on comprend aisément que l'entrée en vigueur du dispositif soit subordonnée aux textes réglementaires d'application.

Services rendus à l'agriculture

Le décret du 8 avril vient préciser les termes introduits par la loi. Ainsi, les quatre types de services précités que l'installation agrivoltaïque doit apporter directement à la parcelle agricole sont définis aux articles à du Code de l'énergie.

Le service d'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques « consiste, d'une part, en une amélioration des qualités agronomiques du sol et, d'autre part, en une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, au maintien de ce rendement ou au moins à la réduction de la baisse tendancielle du rendement qui est observée au niveau local » (art. R. 314-110).

Le service d'adaptation au changement climatique vise une limitation des effets néfastes du changement climatique (régulation thermique de la structure en cas de canicule ou de gel précoce ou tardif, limitation du stress hydrique des cultures ou des prairies, amélioration de l'efficience d'utilisation de l'eau par irrigation ou diminution de l'évapotranspiration des plantes ou de l'évaporation des sols, etc.) « se traduisant par une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, à la réduction, voire au maintien, du taux de la réduction tendancielle du rendement qui est observée au niveau local, ou par une amélioration de la qualité de la production agricole » (art. R. 314-111).

Le service de protection contre les aléas « s'apprécie au regard de la protection apportée par les modules agrivoltaïques contre au moins une forme d'aléa météorologique, ponctuel et exogène à la conduite de l'exploitation et qui fait peser un risque sur la quantité ou la qualité de la production agricole, à l'exclusion des aléas strictement économiques et financiers » (art. R. 314-112).

Enfin, l'amélioration du bien-être animal « s'apprécie au regard de l'amélioration du confort thermique des animaux, démontrable par l'observation d'une diminution des températures dans les espaces accessibles aux animaux à l'abri des modules photovoltaïques et par l'apport de services ou de structures améliorant les conditions de vie des animaux ».

Le décret n'apporte en revanche pas de précision à la notion d'atteinte substantielle à ces services pour l'application du III de l'.

Production agricole et revenus garantis

L'installation doit garantir à l'agriculteur « une production agricole significative et un revenu durable en étant issu » (art. à du Code de l'énergie).

Installations hors élevage. Le critère est particulièrement strict pour les installations agrivoltaïques hors élevage. Il oblige en effet à se référer à une zone témoin - dont les modalités sont détaillées dans le décret - ou à « un référentiel en faisant office » pour évaluer le caractère significatif de la production agricole : la moyenne du rendement par hectare observé sur le terrain supportant le projet d'installation agrivoltaïque doit être supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé sur la zone témoin.

Il est néanmoins possible de déroger à la zone témoin dans les conditions définies à l'article R. 314-115 : taux de couverture de l'installation inférieur à 40 % et incapacité technique à créer une zone témoin ; taux de couverture inférieur à 40 % et existence d'une installation agrivoltaïque similaire au niveau départemental et comportant une zone témoin ; utilisation de l'une des technologies agrivoltaïques éprouvées figurant sur une liste qui sera établie par arrêté ministériel.

Elevages. En comparaison, le critère est bien plus sommaire pour les installations agrivoltaïques sur élevage : « Le caractère significatif de l'activité agricole peut être notamment apprécié au regard du volume de biomasse fourragère, du taux de chargement ou encore du taux de productivité numérique » (art. R. 314-116).

   L'installation agrivoltaïque ne doit pas conduire à ce que la production agricole ne soit pas l'activité principale de la parcelle

Activité agricole principale garantie

Rappelons qu'aux termes de l'article L. 314-36, IV du Code de l'énergie, l'installation agrivoltaïque ne doit pas conduire à ce que la production agricole ne soit pas l'activité principale de la parcelle agricole. Les articles R. 314-118 et R. 314-119 définissent les modalités d'application de cette condition en se référant à deux critères cumulatifs : - la superficie qui n'est plus exploitable du fait de l'installation agrivoltaïque ne doit pas excéder 10 % de la superficie totale couverte par l'installation agrivoltaïque ; - la hauteur de l'installation agrivoltaïque et l'espacement inter-rangées doivent permettre une exploitation normale et assurer notamment la circulation, la sécurité physique et l'abri des animaux ainsi que, si les parcelles sont mécanisables, le passage des engins agricoles.

En outre, pour les installations de plus de 10 MWc n'utilisant pas l'une des technologies agrivoltaïques éprouvées qui figureront sur un arrêté ministériel, le taux de couverture du terrain ne doit pas excéder 40 % (art. R. 314-118-II). Ce taux de couverture est défini comme le rapport entre la surface maximale projetée au sol des modules photovoltaïques dans des conditions normales d'utilisation et la surface de la parcelle agricole.

Autorisation et mise en œuvre des projets

Le décret donne compétence au préfet de département pour statuer sur les demandes d'autorisation d'urbanisme concernant les installations présentées comme agrivoltaïques ().Les documents et pièces démontrant que le projet (agrivoltaïque ou installation photovoltaïque sur des terrains agricoles) répond bien aux critères et conditions fixés devront figurer dans le dossier de demande d'autorisation de construire ().

L'autorisation est délivrée après avis conforme de la CDPENAF sauf pour celles, non agrivoltaïques, implantées dans une zone identifiée par le document-cadre, soumises à un avis simple (art. et du C. urb.). Dans tous les cas, l'avis est réputé favorable à l'issue d'un délai de deux mois. Les autorisations sont délivrées pour quarante ans, prorogeables pour dix ans « lorsque l'installation présente encore un rendement significatif ».

Démantèlement et garanties financières

Le décret prévoit des obligations de démantèlement et la faculté pour l'autorité compétente en matière d'urbanisme d'imposer la constitution de garanties financières, largement empruntées au régime des ICPE (art. à du C. urb.). On aboutit ainsi à un résultat original au sein des énergies renouvelables : les parcs éoliens terrestres et les parcs solaires répondent désormais à des contraintes proches en relevant de législations différentes. A noter que cette obligation de démantèlement pèse sur le propriétaire du terrain et non sur l'exploitant ().

Contrôle et sanctions

Enfin, le décret met sur pied un dispositif de contrôle - préalable à la mise en service puis durant l'exploitation - et de sanctions afin de garantir que les caractéristiques imposées aux installations seront respectées. Ce dispositif porte à la fois sur les obligations issues du Code de l'énergie (contrôle de l'installation et de la zone témoin) et celles issues du Code de l'urbanisme (notamment travaux de démantèlement et de remise en état du site), avec un pouvoir de mise en demeure spécifique dévolu à l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme ().

Ce nouveau cadre juridique s'applique aux installations agrivoltaïques dont la demande d'autorisation est déposée à compter du 9 mai 2024. En revanche, pour les installations non agrivoltaïques, le décret ne produira ses effets qu'un mois après la publication du document-cadre départemental.

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