Avec un budget de 127 M€ sur douze ans en tranche ferme, le projet de territoire intelligent porté par Angers Loire Métropole (Maine-et-Loire) est incontestablement le plus important de France. « C’est aussi celui qui rassemble le plus de fonctions et de métiers », complète le consultant Jacques Priol, président du cabinet Civiteo, qui a coordonné pour le gouvernement le rapport « De la smart city à la réalité des territoires connectés » lequel dresse un panorama de quelque 200 initiatives déjà menées en France.
A l’issue d’une phase de dialogue compétitif, un marché global de performance confié à Ineo, devenu filiale d’Equans France (1), a été lancé en mars 2020. Cinq ans après, « plus de la moitié du marché a été consommée », indique Constance Nebbula, vice-présidente d’Angers Loire Métropole, chargée de la transition numérique (lire ci-dessous), en précisant que « 70 % des montants engagés l’ont été au bénéfice d’entreprises du département [comme Luc Durand TP, Sturno, BTEP, TPPL, Santrac, EHTP…, NDLR] ».
Le socle du projet, composé d’un centre de pilotage et d’un jumeau numérique, est pleinement opérationnel et huit premiers champs d’application ont commencé à être déployés (lire ci-contre). « Nous avons fini de nous occuper du hardware, nous allons pouvoir nous concentrer sur le software », résume Christophe Béchu, président de l’agglomération et maire d’Angers. Des arbres aux bâtiments, en passant par les candélabres, les poubelles ou les canalisations, quelque 56 000 équipements publics, sur les 70 000 prévus, sont aujourd’hui connectés au centre de pilotage, appelé « hyperviseur ». « C’est le cœur du réacteur, explique Constance Nebbula. Il regroupe dans un même lieu les informations remontées d’une dizaine de superviseurs métiers répartis dans les différents services. »
Paramétrer les outils.
Dans cette salle, trois gigantesques écrans affichent, en temps réel, les données des milliers de capteurs disséminés sur le territoire. Avant d’en arriver là, il a fallu recueillir les besoins des usagers, des communes et des directions métiers de l’agglomération afin de paramétrer l’ensemble des outils digitaux. « Nous sommes avant tout un service support et nous travaillons en complémentarité avec les directions, qui restent les experts dans leur domaine », insiste Guillaume Cesbron, responsable du centre de pilotage où neuf agents tournent pour assurer une présence 7 j/7 et 24 h/24. Au cours du premier semestre 2026, les effectifs seront doublés et le centre de pilotage s’installera, avec le centre de supervision urbain de la police municipale, dans les anciens locaux de la Banque de France qui ont été rachetés 2,6 M€ par Angers Loire Métropole.
L’hyperviseur est adossé à un jumeau numérique qui reproduit en 3D les 29 communes de l’agglomération (soit 667 km2 ), avec un niveau de détail allant jusqu’à la texture des bâtiments dans les centralités. Conçu par la société rennaise Siradel et mis à la disposition des communes en janvier 2024, il s’enrichit progressivement de toutes sortes de données. Ce double digital est principalement utilisé comme outil d’aide à la décision pour étudier et partager les implantations d’infrastructures ou d’immeubles.
« En incrémentant dans le jumeau la maquette BIM d’un projet, nous pouvons visualiser l’impact qu’aurait une construction sur le quartier, jusqu’aux ombres portées ou aux variations de température », détaille Constance Nebbula. Il permet aussi, en se basant sur les prévisions de Vigicrues, de simuler la montée des eaux et de mieux s’organiser et communiquer en cas d’inondation.
La prochaine étape portera sur l’implication des citoyens. « Dans le cadre du marché, au printemps 2026, nous ouvrirons le Forum du territoire intelligent dans l’immeuble Métamorphose [inauguré mi-juin dans le quartier Saint-Serge, NDLR]. Ineo y créera le quatrième Lab de sa division Villes & Territoires connectés, qui sera ouvert aux écoles et au public », annonce Thomas Leroy, directeur du projet chez Inéo. Sur près de 300 m2, on y trouvera un démonstrateur du projet, mais aussi un espace de médiation scientifique (L’Ecole de la planète) et une galerie de solutions innovantes pour la ville.
(1) Avec Suez (environnement, assainissement, espaces verts, déchets), La Poste (stockage des données via Docaposte) et le groupe mutualiste VYV (données anonymisées sur la santé).
« La technologie doit rendre le service public plus efficient »
« Le territoire intelligent est un projet politique, une ambition pour le territoire. C'est à la fois un outil de transition écologique, par les économies réalisées, et de modernisation de la collectivité en optimisant notre manière de délivrer un service au public et en permettant à nos organisations de mieux s'adapter aux usages et à leurs évolutions. C'est un marché global de performance, mais un euro investi ne veut pas obligatoirement dire un euro économisé. Car nous sommes avant tout dans un processus de modification profonde de la collectivité, de ses services et de ses métiers.
L'idée n'est pas de miser sur la technologie à tout prix en truffant la ville de capteurs, mais plutôt de réfléchir à comment elle peut nous aider à rendre le service public plus efficient.
La même question se pose avec l'intelligence artificielle. Dans ce domaine aussi, nous souhaitons faire les choses dans l'ordre. De la même manière que nous nous sommes donné une feuille de route avec nos stratégies du numérique responsable et de la donnée, nous avons commencé à sensibiliser et à former les agents sur l'IA et nous travaillons à l'élaboration d'une charte, un document politique et stratégique qui fixera notre doctrine. »
Huit premiers champs d'application
Eclairage public
Objectif : économiser l'énergie. Faciliter la maintenance et ajuster à distance l'intensité lumineuse selon la fréquentation du lieu et de l'heure de la nuit.
Chiffres clés : plus de 23 000 candélabres ont déjà été remplacés par des modèles à leds. A terme, 31 800 le seront, sur les52 000 que compte l'agglomération.
Plus de 15 millions de kWh économisés sur la consommation d'électricité depuis 2020. 2 800 points lumineux polluant le ciel nocturne supprimés.
Bâtiments publics
Objectif : économiser et maîtriser les consommations énergétiques en fonction de l'occupation des lieux et des usages tout en assurant un pilotage à distance.
Mesurer en temps réel la température, l'hygrométrie, le taux de CO et du radon pour assurer une qualité de l'air optimale dans les écoles et les crèches.
Centraliser les accès et les alarmes.
Chiffres clés : 3 450 capteurs (eau, électricité, gaz, température, luminosité, CO ) ont été installés dans 178 bâtiments publics de l'agglomération. Au total, 4,5 millions de kWh économisés en 2024.
Stationnement
Objectif : connaître en temps réel le taux de remplissage des parkings et alimenter l'Observatoire du stationnement.
Chiffres clés : 48 capteurs installés sur 16 zones de stationnement gratuit à durée limitée. Le temps de stationnement a diminué de 50 % sur les places supervisées, doublant le taux de rotation.
Espaces verts
Objectif : préserver la ressource en eau et assurer un meilleur suivi hydrique des arbres grâce à des sondes d'humidité couplées à des données météo et un système d'arrosage centralisé.
Chiffres clés : plus de 60 parcs, jardins et complexes sportifs équipés d'un système d'arrosage intelligent, dont les 30 plus gros consommateurs d'eau. 250 arbres d'alignement et arbres « signaux » (qui doivent marquer durablement le paysage) surveillés. 27 000 m3 d'eau économisés malgré les sécheresses en 2022-2023, soit l'équivalent de 10 piscines olympiques.
Le taux de mortalité des arbres plantés a reculé de 60 % en moyenne.
Sécurité et prévention
Objectif : améliorer la qualité du service de vidéosurveillance avec une centralisation de l'information.
Chiffres clés : 450 caméras intégrées ; 180 bâtiments surveillés en intrusion ; 21 bâtiments, dont 6 sensibles, sous contrôle d'accès.
Eau et assainissement
Objectif : expérimenter, dans les communes de Bouchemaine et Briollay, la régulation automatisée de la pression d'eau dans les canalisations afin de diminuer le volume des fuites et la fréquence de renouvellement des canalisations.
Chiffres clés : l'expérimentation, lancée en 2025, vise à réduire de 20 % le taux de fuites.
Déchets
Objectif : optimiser les tournées de collecte et sécuriser les flux de véhicules sur les plateformes.
Chiffres clés : 90 000 badges d'accès délivrés aux usagers, 70 sondes de remplissage installées sur les conteneurs de verre. Lors de l'expérimentation, le taux de remplissage entre tournées des conteneurs de verre a été optimisé de 30 %.
Signalisation lumineuse tricolore
Objectif : mieux connaître les flux de déplacements pour pouvoir adapter les plans de feux.
Chiffres clés : rénovation de 132 carrefours à feux intégrant les besoins des vélos, piétons et PMR (41 réalisés à ce jour).
