Pour espérer l’emporter lors du premier appel à projets innovants Réinventer Paris, lancé par la ville sur 23 sites de la capitale en 2014, il fallait cocher une longue liste de cases : la transformation heureuse d’un site complexe, l’excellence de la qualité architecturale, évidemment la rentabilité financière mais encore l’originalité de la programmation et la vertu écologique. Ce mardi 17 mai, sur le boulevard Morland, dans le IVe arrondissement, l’heure est donc à la vérification alors que s'achève le chantier de transformation d'une des pièces maîtresses de la consultation, l'ancienne cité administrative de Paris.
Belle affiche
Les principaux représentants de l’équipe constituée par Emerige et déclarée lauréate en 2016 pour ce vaste projet est réunie autour de Laurent Dumas, le président du conseil de la société de promotion. L’architecte britannique David Chipperfield et son directeur de projets en charge de l’opération, l’architecte allemand Christoph Felger, sont là, de même que l’agence française Calq, en charge notamment de la maîtrise d’œuvre d’exécution ou encore le paysagiste Michel Devisgne. Une belle affiche qui rappelle combien la compétition Réinventer Paris 1 avait attiré de concepteurs de renom. Sans pour autant tous les désigner lauréats.
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En cette matinée, il s’agit notamment de remettre les clefs au dernier des trois investisseurs de l’opération, Nuveen Real Estate qui a acquis les volumes tertiaires. Mais alors que l'inauguration officielle est fixée au 22 juin prochain, c’est surtout l’occasion pour l’assistance de pouvoir juger, sur pièces, comment cette forteresse grise de la paperasse s’est muée en un ensemble de 11 programmes différents : des logements (essentiellement) et des bureaux (un peu moins) ainsi que des programmes hôteliers. Ce à quoi il faut encore ajouter une crèche, une piscine, un marché alimentaire, une galerie d’art, mais aussi des jardins intérieurs au rez de la ville et une petite exploitation agricole en toiture. Autant d'éléments qui avaient été répertoriés et inscrits noir sur blanc, devant notaire, comme devant être réalisés.

Pour souligner l’amélioration significative du site, Laurent Dumas rappelle que « c’était l’immeuble où nous venions chercher nos autorisations, puisque la direction de l’Urbanisme s’y trouvait. On pouvait y avoir de bonnes comme de mauvaises nouvelles. Mais c’était surtout un immeuble mal-aimé des Parisiens. »
Construit entre 1957 et 1967 sous la direction de l’architecte Albert Laprade, l’immeuble, ou plutôt le complexe, avait de la tenue - « une intégrité et une substance », souligne David Chipperfield – mais il était trop grand (quelque 40 000 m² de surfaces), trop haut avec son IGH central de 16 étages, trop terne, trop minéral... Et il n'était pas à sa place dans cette frange du Paris historique, en bord de Seine. Enfin, il représentait un monde à part, clos, celui de la toute puissante bureaucratie. On l'aurait détesté à moins.
Changement de physionomie
Depuis, quatre ans de travaux se sont écoulés, effectués par Bouygues Bâtiment Ile-de-France, et ils seront prochainement totalement achevés. Et la physionomie a changé. Morland, comme l’appelaient ceux qui le fréquentait, est toujours là avec sa tour et ses ailes en H, mais on redécouvre d'abord qu’il n’est pas gris, mais blond. La pierre qui recouvre toutes les façades des édifices en béton d’origine, a été nettoyée et si nécessaire remplacée.

On retrouve aussi le site plus accueillant, plus ouvert sur son environnement. « Notre équipe s’est concentrée sur deux objectifs, réhabiliter le bâtiment mais aussi redéfinir sa position dans la ville », explique David Chipperfield. Pour cela, les concepteurs ont étendu le bâti vers le boulevard Morland, pour gommer la sensation de vide que pouvait générer l’ancienne cour d’entrée. Désormais, au droit de la voie se dresse l’immeuble neuf d'une auberge de jeunesse. L’endroit n’est pourtant pas clos. Perchée sur des colonnes et des arcs en béton massif, cette aile contemporaine laisse l’accès – permanent - au jardin conçu par Michel Desvigne comme un petit extrait des forêts urbaines dont il défend le principe.
Arguments alléchants
Pour découvrir l’autre changement majeur du site, il faut suivre l’élégante colonnade alors qu'elle s’échappe du jardin, se glisse sous l’IGH central, se prolonge sous un deuxième immeuble neuf réalisé au sud-ouest du complexe et aboutit enfin en bord de Seine, sur le quai Henri-IV. « Nous avons ainsi créé un axe public vers le fleuve », poursuit David Chipperfield. Sous cette voûte, le Parisien en balade ou les visiteurs de la capitale trouveront l’un des éléments marqueurs de la nouvelle destination des lieux, la concrétisation d’un de ces arguments très alléchants du projet lors de la consultation : le petit marché alimentaire couvert.

Pour voir l'autre icône du Morland nouveau il faut lever les yeux vers le sommet de l’IGH. Au-dessus de bureaux et des chambres d'un hôtel 5 étoiles, les 15e et 16e étages sont occupés par un restaurant et un bar. Ils permettront au public – à tous les publics et en accès libre – d’y découvrir les installations artistiques spectaculaires du Studio Other Spaces du plasticien Olafur Eliasson. Mais surtout d'embrasser la vue à 360°, réellement extraordinaire, sur Paris et son fleuve. « En revanche, je ne vous parle pas du prix du Martini », a glissé David Chipperfield.
Malgré cette pointe d'ironie, l’architecte n'a pas manqué de saluer la procédure même de la consultation Réinventer Paris, qui a, selon lui, permis une franche collaboration entre la Ville et Emerige. Avec ses logements allant du plus social à l’accession, son auberge de jeunesse à 29 € la nuit et son 5 étoiles certes plus onéreux, ses commerces, ses espaces ouverts à tous, Morland représente une mixité tous azimuts. De son point de vue de Britannique, l'architecte en est persuadé : sans la demande expresse d’une institution publique, jamais le marché privé ne ferait un si grand effort.
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Société parisienne du Nouvel Arsenal (SPNA) représentée par Emerige,
Investisseurs : Nuveen Real Estate (espaces tertiaires), I3F et Perl (logements sociaux et intermédiaires), acquéreurs des logements en accession,
Maîtrise d’œuvre : David Chipperfield Architects (Berlin) avec BRS Architects et Calq (Moex); RDAI, Notoire et Olivier Lekien, architectes d’intérieur (programmes hôteliers) ; Michel Desvigne, paysagiste ; Studio Other Spaces, interventions artistique,
BET et consultants : 8’18’’ lumières, Acceo Elévation, Accotec, Altetia, Ava, Arcadis, Artelia, Barbanel, Bollinger+Grohmann, Chatillon, CSD Faces, Dal, Dynamo, Encore Heureux, Etamine, Hacs, Lhirr, LM3C, MDS, Socotec, Somete, Sous les fraises,
Entreprise : Bouygues Bâtiment Ile-de-France,
Surfaces : 43 621 m² SP dont logements, 15 359 m²; bureaux, 9 167 m²; auberge de jeunesse, 4 151 m² et hôtel, 10 597 m²,
Coût global de l'opération : 450 M€ HT.