L’œuvre en mouvement de 35 m de haut devait « être à Nantes, ce que la Tour Eiffel est à Paris ». Il ne subsistera finalement qu’une branche prototype réalisée en 2007, un bestiaire de quelques animaux qui devaient habiter l’arbre… et une facture de plus de 8 millions d’euros, dont 3,2 millions d’euros avancés par une soixantaine d’entreprises mécènes.
Jeudi 15 septembre, Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, a annoncé sa décision de mettre fin au projet d’Arbre aux hérons, lancé par son prédécesseur Jean-Marc Ayrault mais qu’elle a longtemps soutenu, notamment contre une partie de sa majorité qui pointait l’incohérence de ce projet face aux urgences climatiques et sociales. Intégré au projet urbain du Bas-Chantenay, l’Arbre devait voir le jour dans la carrière Misery et constituer la dernière phase de l’aménagement du « jardin extraordinaire » conçu par Phytolab.
Un choix de la raison selon la Métropole
Alors qu’en juin 2021, elle avait pleinement assumé une hausse des coûts (passés de 35 à 52,4 millions d’euros), Johanna Rolland considère que la nouvelle estimation à plus de 80 millions d’euros n’est pas « compatible avec ce qui peut être compris ». « Le choix que nous faisons est celui de la raison » a-t-elle déclaré dans un exercice de communication parfaitement orchestré.
Deux facteurs ont influé sur l’explosion du budget prévisionnel. Sans surprise, une partie trouve son origine dans la crise de l’énergie et la hausse des coûts de construction. « Depuis la présentation du projet en juillet 2021 s’est déclenchée la guerre en Ukraine avec ses conséquences importantes sur les prix des matières premières et de l’énergie » rappelle la métropole. « Concrètement pour le projet, l’inflation et la hausse des coûts de la construction, en particulier du prix de l’acier qui a bondi de près de 56 %, représentent un surcoût de 15 millions d’euros HT entre la valeur du projet en 2020 et la valeur en 2022, sans même prendre en compte les conséquences pour l’avenir si l’inflation actuelle venait à perdurer ou s’accentuer ».
L’autre facteur de renchérissement des coûts est d’ordre juridique. « Fin août, nous avons reçu l’avis définitif de la préfecture qui conclut à la l’obligation de passer plusieurs marchés distincts pour distinguer ce qui relève de la création artistique et des travaux » explique Johanna Rolland. « Cette obligation a comme conséquences directes une plus grande complexité technique et d’exécution, une impossibilité pour les auteurs de garder la maîtrise totale de leur création et enfin un renchérissement important du projet à hauteur de 13 millions d’euros » poursuit-elle.
Deux projets en concurrence dans le Bas-Chantenay
Cet argument hérisse la compagnie La Machine qui porte le projet. « Pourquoi a-t-il fallu attendre l’été 2022 pour découvrir que l’on ne savait pas faire le montage proposé et pour découvrir les difficultés juridiques et financières dont il nous semble qu’elles auraient pu être pointées plus tôt et donc vraisemblablement solutionnées » s’interroge Catherine Saudray, directrice juridique de La Machine. Pour la compagnie, « le chiffre de 80 millions d’euros est avancé aujourd’hui sans avoir été concerté, sans recherche d’alternatives ». « L’inflation ajoutera un coût supplémentaire, c’est vrai mais c’est la vie économique et c’est le cas pour tous les projets de la métropole que ce soit le CHU, le pont Anne-de-Bretagne ou la Cité de l’imaginaire chiffrée également 52 millions d’euros » argumente Pierre Orefice, co-auteur et directeur des machines de l’Ile. Et d’ajouter : « la vérité est que Johanna Rolland a fait un véritable tour de passe-passe en faisant voter au début de l’été ce projet de la Cité de l’imaginaire qui doit voir le jour au même endroit dans le quartier du Bas-Chantenay. Elle ne peut pas faire les deux et a fait un choix, en arrêtant de rêver et étant soi-disant plus sage et raisonnable ».
Le retour de la Belle endormie ?
François Delarozière, co-auteur et directeur artistique de La Machine, estime au contraire que ce choix est « tout sauf raisonnable ». « Cette décision met à mort un projet qui tire Nantes vers le haut. Est-ce que l’on veut une ville sage et sérieuse comme autrefois la Belle endormie ? Les urbanistes s’accordent à dire qu’il faut des artistes pour accompagner la fabrique de la ville. Nous restons convaincus que l’art dans l’espace public reste le moteur qui donne à la ville la force qui rassemble, qui transforme, qui humanise » déclare le créateur, qui accompagne aujourd’hui plusieurs projets urbains en France et dans le monde.
Une conviction qui a fait la singularité des projets urbains de Nantes, mais qui ne semble plus être partagée par les élus nantais. Pour le projet Pirmil-Les Isles qui vient être lancé, l’expérimentation d’urbanisme transitoire Transfert qui devait contribuer à « fabriquer la ville autrement » grâce à l’art et la culture s’est finalement terminée en échec. Comme les artistes de Transfert, les créateurs de La Machine affirment que pour bien vivre, l’homme a besoin de rêve et de poésie. « Une société en crise ne peux pas se contenter d’éteindre les feux », estiment-ils.
Les concepteurs de l’Arbre aux hérons ont très mal vécu le débat qui s’est porté sur l’utilité d’un tel projet dans le contexte actuel et les arguments d’une partie de la majorité métropolitaine, notamment EELV, pour qui ce projet était perçu comme « un arbre en acier planté dans du béton ».
Mais pourquoi opposer nécessité sociale et écologique et inutilité culturelle, s’interroge La Machine. « Nous ne sommes pas intervenus dans ce débat mené principalement sur les réseaux sociaux par une minorité agissante car on a respecté les négociations en pensant que l’on travaillait en confiance avec les services de Nantes Métropole » raconte Pierre Orefice. Pour François Delarozière, « c’est un faux procès. On n’a jamais compris comment les Verts pouvaient s’opposer à une sculpture qui était un jardin suspendu, une expérimentation sur la végétalisation des bâtiments en général ».
Bilan carbone et faisabilité technique
A la demande de Nantes Métropole, La Machine a réalisé et présenté une évaluation du bilan carbone de l’Arbre. « Avec 9 800 tonnes équivalent carbone, il représente un coût carbone comparable à celui de la construction d’un immeuble de six étages ou 6 500 m2 comme il s’en construit de nombreux à Nantes. Il n’y a rien là qui puisse choquer les consciences » estime Benjamin Laurent, architecte de formation et coordinateur du projet. Ce dernier est particulièrement amer surtout qu’avec son équipe de 25 personnes, des bureaux d’études et le CSTB, il a réussi à faire la preuve de la faisabilité technique du projet. « On avait réglé toutes les problématiques liées avec les fondations, la structure, la sécurité incendie, la végétalisation, la maintenance, l’accessibilité... et le projet était prêt à être réalisé » assure-t-il.