Jurisprudence

Assurances - Garanties RC facultatives : pas de recours en cas de liquidation de l'assureur

La jurisprudence récente invite une nouvelle fois à la prudence vis-à-vis des assureurs « exotiques ».

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Ces dernières années, la presse s'est largement fait l'écho de la mise en liquidation d'un certain nombre d'assureurs européens ayant délivré en France des garanties en matière d'assurance construction. Un arrêt rendu le 12 octobre par la Cour de cassation en illustre une fois de plus les conséquences concrètes pour les assurés. L'occasion de revenir sur un dispositif de souscription porteur de nombreuses chausse-trapes.

Un dispositif de souscription complexe

Nous avions en vain, voici plus de dix ans (1), mis en garde contre ces procédés de souscription qui reposaient et reposent toujours aujourd'hui sur l'intervention d'intermédiaires, ayant la qualité de « courtier grossiste ».

Dans un premier temps, ces derniers passèrent des accords avec des assureurs européens ne disposant d'aucune notation financière, ni d'aucune antériorité, mais autorisés à exercer sur le territoire français depuis leur pays d'origine dans le cadre de la libre prestation de service (LPS), afin de délivrer des garanties dans le domaine de la construction.

Plus récemment, après la mise en liquidation d'une bonne partie de ces assureurs, ces mêmes intermédiaires ont poursuivi leurs activités en changeant de raison sociale - mais avec, le plus souvent, les mêmes dirigeants -, jetant leur dévolu sur de petites mutuelles régionales situées en France. Cela a assez rapidement déstabilisé leur équilibre financier et leur a attiré les foudres de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), les conduisant à cesser ce type de souscription.

Parfois aussi, la méthode a consisté à organiser, dans des conditions souvent opaques, le transfert du portefeuille géré en LPS de sociétés d'assurance ne pouvant plus exercer en France pour cause de Brexit, vers des filiales établies dans l'Hexagone. Parallèlement, d'autres intermédiaires se lançaient dans l'aventure, passant des accords avec différents assureurs européens.

Dans un second temps, ces intermédiaires démarchent des courtiers français qui ont des difficultés de placement dans ce domaine très particulier de l'assurance construction obligatoire, moyennant des commissions attractives pour une activité réduite, le courtier grossiste en question gérant tout.

Gestion éclatée. Le point commun de ces assureurs passés et présents est de n'avoir aucune expérience dans le domaine de l'assurance en capitalisation sur quinze ans dans le secteur « non-vie », de ne disposer d'aucun personnel affecté à la souscription et à la gestion des sinistres - tout étant délégué au courtier grossiste -, ni d'aucune notation financière, d'être réassurés au-delà d'un certain montant de sinistre auprès de réassureurs eux-mêmes sans notations financières ou faiblement notés. A cela s'ajoute une gestion éclatée dans deux ou trois pays de l'Union européenne, voire quatre. Le courtier français sert d'intermédiaire passif ; le courtier grossiste, qui a son siège social dans un pays tiers et ne dispose que de bureaux de représentation en France, gère la souscription et les sinistres, tout en subdéléguant parfois la gestion des sinistres à un troisième organisme situé dans un pays encore différent ; enfin, l'assureur installé dans un autre pays porte le risque.

Garanties obligatoires et facultatives

Dans le cadre des garanties obligatoires, c'est-à-dire celles couvrant l'assuré en cas de mise en jeu de sa responsabilité civile (RC) décennale pour des désordres affectant des ouvrages non exclus de l'obligation d'assurance, la conséquence d'une liquidation de l'assureur est toujours la même. Si l'assureur liquidé est bien l'assureur à la date d'ouverture du chantier (DOC) concerné par les désordres, aucune indemnisation ne sera plus possible et le fonds de garantie ne pourra pas intervenir.

Dans le cadre des garanties facultatives figurant dans ces polices RC couvrant les constructeurs au sens large (garantie des immatériels, de bon fonctionnement, des existants, de l'exercice en qualité de sous-traitant), en cas de résiliation de la police à abonnement, le Code des assurances ne prend pas comme référence la DOC pour désigner l'assureur concerné par le règlement du sinistre, mais, s'agissant des garanties délivrées « en base réclamation », la date de réclamation du tiers victime, propriétaire ou maître d'ouvrage. C'est donc l'assureur chez qui la garantie a été « resouscrite » à la date de la réclamation qui sera tenu du règlement.

Des assurés sans garanties

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt tout récent de la Cour de cassation (, publié au Bulletin), le constructeur était assuré chez un assureur notoirement solvable à l'époque de l'ouverture du chantier, puis avait résilié sa police d'abonnement pour souscrire auprès d'un de ces assureurs « exotiques » aujourd'hui liquidé (Elite Insurance).

Les désordres matériels entraînant la mise en jeu de sa RC décennale étaient donc parfaitement couverts par l'assureur dont la police avait été résiliée, au titre de la garantie obligatoire : à la date d'ouverture du chantier, celui-ci était l'assureur, il le demeure donc pour toute la durée de la responsabilité encourue, nonobstant la résiliation de la police.

En revanche, s'agissant des garanties facultatives (en l'espèce, des préjudices immatériels et dommages aux existants), dès lors qu'à la date de la réclamation du tiers victime, la garantie avait été resouscrite dans des termes identiques chez un nouvel assureur, l' dispose que c'est à ce nouvel assureur de prendre en charge l'indemnisation. A noter toutefois que, dans le cas où aucune garantie n'aurait été resouscrite, l'assureur dont le contrat a été résilié doit continuer à prendre en charge les sinistres dans le cadre d'une garantie subséquente épuisable sur cinq ou dix ans.

Garantie privée d'efficacité. Le constructeur assuré critiquait l'arrêt rendu en appel, pour avoir jugé que l'assureur résilié n'était plus redevable des indemnités, les garanties ayant été resouscrites chez un nouvel assureur, peu important le fait que celles-ci soient privées d'efficacité à raison de la mise en liquidation de ce dernier. Dans son pourvoi, il arguait que, faute d'une « resouscription » ayant donné lieu à une garantie efficace, on devait considérer que c'est l'ancien assureur, celui à la date du fait dommageable, c'est-à-dire de l'exécution des travaux, qui devait prendre en charge le sinistre. Le pourvoi fut rejeté, la Cour de cassation comme les juges du fond s'en tenant à la lettre de la loi, à savoir le fait que la garantie ait été resouscrite. Peu important qu'elle ne puisse finalement pas être mobilisée en raison de la mise en liquidation de l'assureur.

Responsabilité des courtiers. D'aucuns pourront se montrer critiques sur cette décision, dans la mesure où l'esprit de l'article 80 de la loi du 1er août 2003 ayant donné lieu à la création de cet article avait pour objet d'assurer une parfaite continuité des garanties en cas de changement d'assureurs couvrant la responsabilité civile. Mais l'on se rappellera qu'à cette époque, l'éventualité de la faillite d'un assureur ne pouvait être envisagée. On observera surtout qu'une solution différente aurait entraîné une déstabilisation du marché de l'assurance, obligeant les assureurs du marché traditionnel à faire office de fonds de garantie pour des assurés imprudents. Ces derniers seraient bien inspirés de s'adresser aux courtiers qui leur ont proposé de souscrire ces garanties auprès ce type d'assureur, au mépris des règles prudentielles les plus élémentaires, quitte à mettre en jeu leur assurance de responsabilité civile professionnelle…

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