L'ARCHITECTURE PEUT CHANGER LA VIE
Que signifie, pour un ministre de la Culture, d'être le ministre de tutelle des architectes ?
Ça signifie valoriser le rôle de l'architecte dans la société. Et valoriser l'architecture en tant qu'art à part entière, mais un art utile à la vie de nos concitoyens, un art qui crée du lien social. L'architecture, l'urbanisme et le paysage forment notre cadre de vie. Nous sommes influencés par celui-ci. Nous sommes habités par ce que l'on habite.
Que pensez-vous du rapport que les Français entretiennent avec l'architecture ?
Il est dommage que les Français ne sachent pas à quel point le recours à un architecte peut changer la vie en permettant une individualisation du cadre de vie. Les Français pensent que l'architecte est un coût supplémentaire, mais ils oublient qu'il est garant d'une construction durable et pérenne donc, au final, économe en entretien et en énergie. Il faut absolument mieux faire connaître les dispositifs qui existent, notamment le conseil gratuit, pour sortir du fait que les trois quarts des constructions sont faits sans architecte. Pour mieux initier les Français à l'architecture, je veillerai à ce qu'elle soit présente dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle, dès l'école maternelle. Apprendre à lire un bâtiment et un paysage urbain, c'est très utile à la formation des jeunes citoyens.
Votre objectif de construction et de rénovation de logements est-il compatible avec une production architecturale de qualité ?
Il y a un enjeu énorme sur la conception des logements. Le gouvernement s'est fixé des objectifs très ambitieux de 500 000 logements à construire par an et 500 000 à réhabiliter par an. Cela doit se faire avec une qualité architecturale, gage de la durabilité de ces logements. Il ne faut pas refaire les mêmes erreurs que dans les années 1960-1970 où, au nom de l'urgence, on a sacrifié cette qualité. On doit pouvoir concilier délais courts et qualité architecturale forte. Les architectes sont capables de se plier aux contraintes en termes de coût et de délais tout en faisant preuve de créativité. C'est leur talent et c'est ce pour quoi ils sont aussi formés. J'ajoute que ces nouveaux logements doivent s'insérer harmonieusement dans les ensembles urbains protégés au titre du patrimoine dans le cadre de zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et d'aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap).
Ne va-t-on pas vers une mutualisation des services d'ingénierie qui inclurait les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) au sein des collectivités territoriales ?
Cela poserait un problème de conflit d'intérêts parce que les collectivités ne peuvent pas à la fois être maîtres d'ouvrage et, en même temps, assurer les fonctions de conseil. Les CAUE doivent rester indépendants, mais il faut les valoriser et mieux communiquer sur leur rôle. C'est une manière de rassurer les gens sur ce qu'ils peuvent attendre du recours à l'architecte. Le CAUE est une garantie offerte en quelque sorte par le service public. Je suis d'autre part favorable à une révision du décret du 7 mai 2012 pris par mon prédécesseur, concernant le calcul des surfaces habitables, qui avait pour conséquence de réduire le recours obligatoire à l'architecte dans le domaine de la maison individuelle.
FAVORISER LA DENSITE URBAINE
Pour répondre à l'urgence, certains architectes du Grand Paris proposent de renouer avec des formes industrialisées du logement. Qu'en pensez-vous ?
Cela peut être une voie intéressante. La production industrielle, lorsqu'elle ne répond pas seulement à une logique de rentabilité financière mais qu'elle prend en compte réellement les besoins des gens, n'est pas une menace en soi sur la qualité architecturale. Il y a également certains espaces qui sont figés - comme les surfaces de parkings des centres commerciaux par exemple - et qui occupent des zones entières de nos paysages urbains de manière absurde, alors qu'on manque de foncier constructible. Avec une démarche de création architecturale, cela peut être intéressant de mieux les valoriser.
Concrètement, quel rôle le ministère de la Culture peut-il jouer ?
Le ministère de la Culture encourage les opérations de logements innovants qui donnent satisfaction aux habitants. En particulier celles qui utilisent le bâti existant et évitent l'étalement urbain en favorisant la densité urbaine. Car le patrimoine est une richesse que nous devons utiliser. Il n'est pas plus cher de transformer un bâtiment existant si l'on prend également en compte l'économie d'espace qui évite le grignotage des terres qui ne sont pas urbanisées.Il faut d'ailleurs créer une continuité historique dans les villes. J'ai visité récemment l'ancienne briqueterie de Gournay, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), qui vient d'être convertie par l'architecte Philippe Prost en centre de développement chorégraphique (voir un portfolio). C'est un très bel exemple de lien que l'on peut créer entre différentes époques au cœur d'un quartier. Il aurait été scandaleux de démolir ce bâtiment qui a animé la ville pendant des décennies. Scandaleux d'amputer la mémoire des Vitriots.

LA PLACE DE L'ARCHITECTURE EST A LA CULTURE
Vous projetez une réforme de la loi sur le patrimoine. Quel en sera l'idée force ?
Je veux éviter que le patrimoine ne se fasse grignoter par les législations sur l'urbanisme et sur l'environnement… et qu'on oublie l'apport formidable qu'il est pour notre pays. Il s'agit aussi de simplifier les procédures pour faciliter les mesures de protection, d'améliorer le dispositif sur la zone de 500 m de protection autour des monuments historiques en permettant son adaptation aux situations locales, de lever l'échéance de 2015 sur la transposition des ZPPAUP en Avap qui pose justement un problème de protection. Les autres pans de la réforme portent sur l'archéologie préventive, les musées, les archives… Au fond, il s'agit de mettre en valeur le patrimoine comme un formidable capital pour le XXIe siècle.
Comment financer, dans un contexte budgétaire très serré, les travaux de restauration du patrimoine ?
J'ai fait porter les efforts de réduction budgétaire sur les programmes de grands travaux des opérateurs du ministère capable de faire appel au mécénat. Je pense notamment au château de Versailles qui recourt à la fondation Philantropia pour la restauration du bassin de Latone. Nos efforts doivent, en effet, porter sur les opérations pour lesquelles il est possible de compter sur les fonds privés. Notre système de mécénat est maintenant suffisamment performant pour que nous l'utilisions largement. Néanmoins, je veux faire en sorte qu'il devienne davantage attractif pour les petites et moyennes entreprises.
Les organisations professionnelles d'architectes veulent sortir de la tutelle de votre ministère. Faut-il leur donner satisfaction ?
Je suis très heureuse que l'architecture soit rattachée au ministère de la Culture. L'architecture est une vision du monde qui s'exprime à travers un acte de création. A travers un regard singulier. Le ministère de la Culture est le ministère des industries culturelles : c'est-à-dire des filières spécifiques, d'une excellence française, d'un rayonnement international. Et l'architecture est un lien particulier avec le patrimoine et avec l'histoire. Sa place est au ministère de la Culture. Mon ministère a plus de recul par rapport aux impératifs économiques que peut en avoir tout autre ministère. Il offre une vision plus globale. La tutelle de la Culture est une protection de l'architecture et des architectes. Ceci dit, je veille à ce que nous travaillions toujours en concertation interministérielle. Avec l'Aménagement du territoire et le Logement, avec le Développement durable et avec l'Enseignement supérieur et la Recherche en particulier.
Quelle suite allez-vous donner aux propositions de la concertation sur l'enseignement et la recherche en architecture ?
Les étudiants en architecture doivent être aussi bien traités que les étudiants des universités. La cotutelle avec le ministère de l'Enseignement supérieur pour les étudiants en architecture me semble d'ailleurs une bonne idée pour une normalisation de la situation financière et sociale des étudiants et des enseignants. Pour le rapprochement avec les écoles d'ingénieurs également. Par ailleurs, nous avons besoin d'enseignants-chercheurs dans les écoles d'architecture. L'ancrage territorial des écoles est également pertinent pour nourrir leurs relations avec les collectivités territoriales, les universités, les entreprises et les autres acteurs de l'architecture comme les CAUE. Je veillerai à ce que les préconisations du rapport soient mises en œuvre sur ces points (lire notre article sur le rapport).
Les architectes ont un revenu net moyen d'environ 35 000 euros par an. 20% des agences traitent 80% de la commande. Y a-t-il trop d'architectes en France ?
Au contraire, il n'y a pas assez d'architectes. Il y en a moins en France qu'en Allemagne et que dans la plupart des pays d'Europe. Je veux plus d'architectes et plus d'architecture.
Retrouvez l’intégral de l’interview dans « AMC » n°224 du mois de mai 2013.