Interview

« Ce n'est pas le moment de changer les règles »

Dirigeant de la filiale française d'un grand groupe industriel de plasturgie pour le BTP, et chef de file de la filière en France, Benoît Hennaut s'est engagé dans la Feuille de route pour l'économie circulaire. Il livre sa vision, mais aussi ses craintes, quant au climat politique autour des plastiques et des déchets en général.

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Négoce - Vous venez de signer un contrat de la filière plastique autour d'engagements volontaires des acteurs en faveur de l'économie circulaire.

Quelle en est la philosophie ? Benoît Hennaut -Tout démarre durant la campagne présidentielle. Le candidat Emmanuel Macron s'engage alors à recycler 100 % du plastique à l'horizon 2025. Une fois élu, il mandate les deux ministères, Transition écologique et solidaire et Économie, pour que la France se lance dans l'économie circulaire de façon plus ambitieuse encore que l'Europe, qui partage la même ambition, mais à horizon 2030. Ensuite, ces deux ministères ont mis en place une organisation, pilotée par la Direction générale des entreprises (DGE), pour construire une feuille de route sur la base d'engagements volontaires de la part des différents acteurs - transformateurs, recycleurs, donneurs d'ordres publics et privés, entreprises petites, moyennes ou grandes…

Les travaux sont initiés par type de résine plastique, mais il apparaît rapidement qu'il fait plus de sens de travailler par marché : bâtiment et infrastructures, emballages, automobile, enfin électrique et électronique. Des animateurs sont nommés dans chaque groupe de travail, et les travaux courent entre février et juillet 2018. Fin juillet, ces engagements volontaires ont été présentés aux ministres, dont Brune Poirson, secrétaire d'État à l'Écologie, et Delphine Gény-Stephann, alors secrétaire d'État à l'Économie.

Puis nous avons signé notre contrat de filière chimie et matériaux à la fin octobre, en présence de trois ministres Le tout nous amène à doubler les volumes de matières plastiques recyclées à l'horizon 2025, passant de 300 000 à 600 000 tonnes. Nous sommes déjà en avance, et cet objectif sera sans doute dépassé. Mais entre-temps, le climat politique a complètement changé.

Qu'est-ce qui, précisément, a changé ?

Fin juillet, nous nous sommes quittés sereins, avec l'idée que nous allions avancer dans la confiance. Au retour des vacances, nous étions dans un contexte généralisé de plastique bashing, avec des commentaires très partiels et émotionnels, autour de la pollution généralisée des océans, avec un amalgame entre plastiques et déchets plastiques. L'émotion est légitime, et personne ne peut rester insensible au sujet environnemental. Mais il ne faut pas oublier les bénéfices des plastiques, notamment dans la protection des aliments. Or, en trois mois et au niveau mondial, le plastique est devenu le nouveau tabac, un poison absolu. C'est sans précédent !

Cette surenchère pèse-t-elle dans la sérénité de vos travaux de filière ?

Durant les vacances d'été, un certain nombre d'interventions politiques ont surpris les acteurs de la Feuille de route sur l'économie circulaire. Soudain, la tonalité est devenue beaucoup plus offensive, loin de la démarche d'engagements volontaires du départ. Désormais, des dispositifs beaucoup plus contraignants sont évoqués, qui ne sont pas ceux pour lesquels nous avions été sollicités. Or, nous mettons en place des actions concrètes, ce n'est pas le moment pour changer les règles.

La possible mise en place d'une Rep dans le bâtiment pour financer une collecte des déchets de chantiergratuite pour les entreprises de travaux fait-elle partie, à vos yeux, de ce changement des règles ?

Aujourd'hui, les Rep existantes n'ont atteint que partiellement leurs objectifs, pourtant nobles, de pérenniser des filières de collecte. Plus largement, nous avons le sentiment de faire face à un agenda politique qui n'est pas écrit, et à un calendrier qui est loin d'être clair. On nous annonce un texte législatif pour 2019, mais, dans l'état actuel du débat, je ne peux pas exclure que de nouveaux dispositifs viennent s'ajouter.

Il n'est qu'à voir la transposition de la directive européenne sur les plastiques à usage unique, un sujet ombrelle en matière de déchets, qui donne lieu, de la part de la France, à une volonté d'aller au-delà des objectifs européens. Surtout, quand bien même le projet de départ tiendrait compte de tous les arguments, le climat actuel d'émotion irrationnelle rendrait plus que possible une surenchère d'amendements lors de l'examen parlementaire.

La filière plastique dans le bâtiment a initié des actions innovantes. Quelle est votre vision d'un schéma vertueux en termes de collecte ?

La collecte n'est pas suffisamment coordonnée, et nous passons à côté de grands volumes de PVC, de polyéthylène ou de prolypropylène. Nous devons mettre en place un réseau capillaire via un partenariat très fort avec la distribution. De ce point de vue, Pum Plastiques a un rôle très particulier, parce que cette enseigne a été la première à s'engager lorsque nous avons mis en place un pilote entre le STR-PVC et Paprec, pilote dont nous venons de valider les résultats. Les autres distributeurs, notamment Frans Bonhomme et la FNBM, sont aussi très actifs. Notre modèle, ce sont des points de collecte dans l'ensemble des agences, avec des contenants accessibles aux installateurs qui viennent y déposer leurs chutes de chantier.

Comment votre modèle est-il financé ?

Le financement d'origine était porté par le STR-PVC, mais une intervention publique est désormais nécessaire, non pas ad vitam aeternam, mais pour lancer une dynamique de façon à massifier et à obtenir le circuit le plus efficace possible. Nous visons 3 000 points de collecte, alors que le pilote portait sur 10 ! L'Ademe s'est montrée très intéressée, mais les discussions restent conditionnées à l'évolution de la fiscalité dans le bâtiment. Si la Rep arrive, l'intervention de l'Ademe n'aurait plus de sens. Là est la contradiction de la situation actuelle : sommes-nous dans une dynamique d'engagement volontaire ou dans une dynamique de mesures coercitives ? Il est temps que les décisions soient prises.

Une fois collectés, les déchets doivent être recyclés.

Ce versant est-il mature ?

Une collecte efficace est indispensable pour garantir aux recycleurs un gisement stable dans le temps. Cette filière n'est pas encore totalement viable, parce que le tri est encore en partie manuel. Mais de nouvelles technologies émergent, comme le tri optique, qui nous rendent très confiants. Les effets d'échelle feront baisser le bilan économique du tri.

La remontée des cours du pétrole peut-elle aider les recycleurs à être plus compétitifs ?

Dans l'automobile, l'équation économique est tellement fine que l'impact est immédiat. Il en va de même dans les infrastructures (adduction, assainissement… ), où le coût de la matière est déterminant. Dans le bâtiment, les normes jouent un grand rôle. L'enjeu est moins financier que qualitatif. Nous sommes davantage dans une équation industrielle.

L'industrie est-elle prête à résoudre cette équation ?

La réintégration des plastiques recyclés dans le processus de production rend nécessaire un travail étroit entre recycleurs et fabricants afin de définir les matières recyclées requises pour obtenir les fonctionnalités voulues et répondre aux normes. Il faut être très précis pour pouvoir substituer une matière recyclée à une matière vierge. Mais c'est une opportunité extraordinaire pour l'industrie française.

La plasturgie française est entrée dans ce cycle. C'est vrai d'Aliaxis depuis plus d'un an, comme de nombreuses entreprises plus petites partout sur le territoire, qui cherchent des réponses à ces enjeux. Mais il s'agit de cycles longs, de deux à quatre ans selon les familles de produits. Changer maintenant les règles du jeu serait très grave !

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