" L’ouverture du dialogue compétitif en matière de maîtrise d’œuvre est une porte au pillage des idées et à la sous-évaluation des prestations intellectuelles"- Gilbert Ramus, membre de la commission juridique à l'Union nationale des syndicats français de l'architecture (Unsfa)
Quatre points attirent tout particulièrement notre attention.
Désormais, en vertu des lois Grenelle 1 et 2, dans quel marché de bâtiment, les objectifs d’efficacité énergétique pourraient-ils être absents ? On vient donc de généraliser le droit de conclure des marchés de conception-réalisation.
C’est mauvais à la fois :
- pour la qualité globale du cadre de vie, car toutes les valeurs et toutes les qualités qui ne sont pas objectivement quantifiables, vont passer à la trappe
- pour les TPE et PME dont très peu d’entre elles peuvent conclure en direct ce type de marché.
S’agissant de la variante, pour le bâtiment, la non-présentation de l’offre de base est une aberration.
Les variantes sont périlleuses à manier, dans le bâtiment qui est le produit d’un grand nombre de corps d’état dont les éléments sont interdépendants d’un corps d’état à l’autre. Elles doivent être très encadrées. Jusqu’à présent, une variante risquant de poser problème pouvait être écartée au profit de l’offre sur le projet de base.
Sans celle-ci, non seulement le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse va devenir acrobatique, mais les entreprises n’ayant proposé qu’une offre variante non retenue vont multiplier les recours. Espérons que les tribunaux ne sanctionneront pas les maîtres d’ouvrage sensés qui, quand ils autorisent les variantes, auront exigé que les entreprises aient aussi présenté une offre de base.
Nous considérons que les marchés de conception - réalisation – exploitation – maintenance (CREM) vont contribuer à la dégradation du cadre de vie, parce qu’ils risquent d’être attribués sur l’analyse des seuls critères objectivement quantifiables, au détriment de toutes les valeurs et qualités qui sont tout aussi importantes pour apporter du bien-être aussi bien aux utilisateurs qu’aux autres habitants de la ville : insertion dans la ville en regard d’un environnement urbain existant, liaison avec les autres bâtiments et les voies, composition, proportions et esthétique des formes, matériaux, couleurs, impact social sur les utilisateurs, valeur culturelle du bâtiment, fonctionnalité, qui sont les fondamentaux d’une architecture réussie en terme de qualité de vie.
En matière de maîtrise d’œuvre, nous avons deux objections à l’ouverture du dialogue compétitif : le non respect du secret des idées présentées par les auteurs de chaque projet et la possible (hélas probable) sous-évaluation grave des prestations intellectuelles.
1 – En matière de prestations intellectuelles, notamment celle intégrant de l’imagination, de la créativité, de la fonctionnalité, de l’ergonomie, etc, le dialogue compétitif ouvre la porte au pillage des idées, car le secret des qualités de chaque projet sera très difficile à assurer.
2 – Trop de maîtres d’ouvrage ont démontré leur volonté de ne pas respecter la vraie valeur des prestations intellectuelles demandées à l’occasion des concours d’architecture.
Comment croire qu’ils changeront de comportement quand il s’agira d’évaluer des prestations trois ou quatre fois plus importantes au cours d’un dialogue compétitif ?
« La procédure négociée devient la procédure de principe en cas de dérogation au concours » - Lionel Carli, président du Conseil national de l'ordre des architectes
L’article 74 concernant la maîtrise d’œuvre a été sensiblement modifié.
Concernant les procédures adaptées, tout d’abord : l’Ordre des architectes a toujours demandé la suppression de toute remise de prestation architecturale en Mapa. Malheureusement, cette demande n’a pas été prise en compte. Nous le regrettons vivement, d’autant plus que nous avons récemment alerté le ministre de la Culture sur les dérives inquiétantes des procédures adaptées et lui avons demandé la publication urgente d’une circulaire. Dans le Code remanié, la remise de prestation est maintenue, mais les modalités de calcul du montant de la prime obligatoire sont désormais précisées (au moins 80% du montant des prestations demandées, comme en concours). Mais ce calcul sera souvent difficile à établir par la maîtrise d'ouvrage sur des éléments partiels ou hors champ de la loi MOP.
Autre point : en cas de dérogation au concours (réutilisation ou réhabilitation d’un ouvrage existant, ouvrage d’infrastructure, ouvrage réalisé à titre de recherche, d’essai ou d’expérimentation), l’ancienne version du Code prévoyait le recours à la procédure négociée spécifique ou à l’appel d’offres. L’Ordre des architectes a depuis toujours insisté sur le fait que la procédure d’appel d’offres n’était pas appropriée pour l’attribution des marchés de maîtrise d’œuvre, cette procédure imposant la rédaction d’un cahier des charges intangible et interdisant de surcroit toute négociation. Dans la nouvelle rédaction de l’article 74, le recours à l’appel d’offres n’est désormais possible que « dans l’hypothèse où les conditions de l’article 35 ne sont pas remplies », ce qui signifie que cette procédure ne peut désormais être utilisée que pour les marchés de maîtrise d’œuvre ne comportant pas de conception. Ce résultat répond à une demande forte de la profession ! La procédure négociée spécifique devient donc la procédure de principe en cas de dérogation au concours.
Enfin, il est désormais possible d’utiliser la procédure de dialogue compétitif pour l’attribution d’un marché ou d’un accord-cadre de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation d’un ouvrage ou la réalisation d’un projet urbain ou paysager. Nous avons toujours été défavorables à cette procédure complexe et onéreuse et garantissant très difficilement le respect de la propriété intellectuelle. Dans l’hypothèse où ce point venait toutefois à être introduit, nous avions demandé au ministère de l’Economie de prévoir dans cette procédure l’intervention d’un jury ; ainsi que le versement obligatoire d’une prime, en précisant que son montant est égal « au prix estimé de toutes les études demandées par le maître d’ouvrage et définies par le règlement de la consultation affecté d’un abattement égal au plus à 20%. » Ces deux points ont été insérés dans l’article 74.
Par ailleurs, l’Ordre des architectes dénonce depuis de nombreuses années la généralisation des contrats globaux et s’est donc opposé aux nouvelles dispositions en la matière (article 73 du Code), car elles présentent la notion de performance dans un sens trop large qui va au-delà de la notion de performance énergétique.
C’est la raison pour laquelle l’Ordre a demandé que la passation de ces marchés soit conditionnée de la même manière restrictive que les marchés de conception-réalisation, ce qui a été introduit dans le nouveau texte.
Demain, les réactions des acheteurs publics.
Lire le décryptage du décret modifiant le Code des marchés publics