« Nous dénonçons une utilisation excessive des contrats globaux » - Karine Leverger, déléguée générale de Syntec-Ingénierie
Le secteur de l’ingénierie est directement impacté par le nouveau texte.
- L'introduction de contrats globaux (conception, réalisation, exploitation ou maintenance) assortis d'une obligation de performance est une source d'insécurité juridique. La notion « d'engagements de performance mesurables », qui ne se limite pas à la performance énergétique, n'est en effet pas définie par le texte. De plus, nous dénonçons l'utilisation excessive des contrats globaux, qui risque d'aboutir à la disparition de l'indépendance de la mission de maîtrise d'œuvre. Et, à terme, à l'exclusion des métiers de l'ingénierie du champ des marchés public, ce qui placerait le maître d’ouvrage dans la délicate situation d’avoir un seul interlocuteur pour mener à terme un projet complexe.
Nous souhaitons en parallèle une modernisation des procédures classiques de passation - en lien avec la révision des directives marchés publics, afin de leur redonner toute leur place. Nous menons actuellement une étude comparative qui révèle un usage parfois abusif de la conception-réalisation, là où les procédures classiques auraient donné de meilleurs résultats.
- Deuxième nouveauté importante, l’ouverture du recours au dialogue compétitif en marché de maîtrise d’œuvre. Le problème majeur de cette procédure longue et coûteuse est qu’elle n’offre pas de réelle protection à la création de projets innovants.
- Enfin, la disparition de l’obligation d’accompagner les variantes d’une offre de base suscite des interrogations. Comment les maîtres d’ouvrage pourront-ils assurer l’égalité de traitement des candidats ? Et sur quels critères la maîtrise d’œuvre se basera-t-elle, lors du rapport d’analyse comparative des variantes pour la passation de marchés de travaux ?
Cette évolution du Code des marchés publics rend au final la passation des marchés publics de plus en plus complexe.
« La Chambre de l’Ingénierie et du Conseil de France (CICF) ne peut pas accueillir avec enthousiasme ce nouveau décret, qu'il s'agisse de la variante sans offre de base, du recours aux marchés globaux, du dialogue compétitif, ou encore du positionnement sur l'offre anormalement basse.» - Dominique Céna, président de la CICF (chambre de l'ingénierie et du conseil de France) construction
Dans la mesure où ce décret autorise la possibilité de déposer une variante sans offre de base, l’analyse des offres deviendra par conséquent extrêmement lourde, compliquée et donnera nécessairement lieu à un jugement moins rationnel, du fait de l’absence de référence à une solution de base. Ce type d’analyse devra donc faire l’objet d’une rémunération adaptée dans le cadre de la mission ACT. En effet, le caractère « forfaitaire » de la rémunération du maître d’œuvre devra, dès la consultation, décrire le type de variante que le maître de l'ouvrage autorise… Par ailleurs, si le Code des marchés publics n’impose plus la remise d’une variante avec l’offre de base, il ne semble pas en interdire la possibilité !
D’une manière plus générale, il faut être conscient que le rôle de la maîtrise d’oeuvre, et notamment de l’ingénierie, devra être renforcé pour l’analyse des dites variantes, et qu’en aucun cas cette nouveauté ne doit être interprétée comme une remise en cause des prestations du maître d’œuvre en phase projet.
Le recours aux marchés globaux, annoncé par la loi Grenelle II, appelle aussi plusieurs remarques. Les études à mener au stade de la mise en concurrence dans ce type de marchés sont très conséquentes, car à la conception s’ajoutent le dimensionnement et la quantification précise des ouvrages pour établir leur montant. Le coût de la consultation pour le maître d’ouvrage s’en trouvera alourdi car les primes devront être en rapport avec la réalité de la prestation exigée, au risque dans le cas contraire de voir les candidats fuir ces consultations. Or, c’est pour nous un critère primordial pour participer à une équipe candidate. Vous noterez que cette remarque était déjà valable pour les marchés de conception-réalisation déjà existants.
A propos du dialogue compétitif, il est à espérer que les maîtres d'ouvrage sauront indemniser à leur juste valeur les études engagées par les équipes candidates. Nous serons vigilants sur ce point-là. L’introduction de la procédure du dialogue compétitif pour les opérations de réhabilitation et les projets urbains fait naître des inquiétudes dans sa rédaction succincte actuelle et nécessite des précisions sur la définition des prestations pouvant être demandées et leur limite.
Enfin, il est dommage que le décret n’introduise pas dans le code une formule explicite sur l’obligation pour le maître d’ouvrage d’écarter une offre anormalement basse, ce qu’on aurait pu espérer après la sortie de la fiche technique de la DAJ sur le sujet.
C’est une problématique essentielle aujourd’hui en marchés publics et il est temps d’être ferme et réactif. Dans le cadre de son tour de France sur la valorisation des prestations intellectuelles, la CICF a mis au point un système d’analyse du coût de l’heure ou du coût de journée, qui pourrait tout à fait répondre, tout au moins dans le monde de la prestation intellectuelle, à la recherche d’une méthode de justification des coûts, et donc de détection des coûts anormalement bas. La grille remplie par les candidats – extrait de bilan à l’appui – donnerait une transparence qui permettrait au maître d’ouvrage de connaître la vérité des coûts.
« L’autorisation des variantes libres a une incidence forte sur la rémunération de la maîtrise d’œuvre qui ne peut plus être forfaitaire » - Daniel Poupin, délégué aux affaires professionnelles de l’UNTEC (Union nationale des économistes de la construction)
Les économistes de la construction reconnaissent un certain nombre de dispositions positives notamment au bénéfice des entreprises mais pas spécifiquement pour la maîtrise d’œuvre dont ils font partie.
Les économistes de la construction expriment le regret d’une absence totale de mot d’ordre aux maîtres d’ouvrage d’écarter obligatoirement et systématiquement toute offre trop faible sur le prix pour une exécution sans risque et de qualité dans les délais convenus. Voici des années que l’on évoque le problème des offres anormalement basses, mais aucune mesure forte n’a encore été codifiée pour qu’elle s’impose aux pouvoirs adjudicateurs soumis au Code des marchés publics.
Les économistes de la construction ne comprennent pas qu’il soit désormais permis aux entreprises de répondre uniquement par des variantes aux consultations .Le système des variantes autorisées rendait déjà plus complexes l’étude et le classement des offres. Que dire maintenant de l’étude des variantes « libres » sans offre de base ? Chaque remise d’offre devient un cas particulier c'est-à-dire autant de solutions que d’offres. Nous sommes donc en présence d’une remise en cause des études de conception. A ce stade il faudra bien contractualiser, donc pour ce faire reprendre notamment le CCTP. Cette permission du Code a une incidence forte sur la rémunération de la maîtrise d’œuvre qui ne peut plus être forfaitaire. Les marchés de maîtrise d’œuvre devront être adaptés en conséquence pour une juste rémunération en contrepartie d’une étude d’offres rendue plus complexe et d’une actualisation profonde des cahiers des charges.
S’agissant du dialogue compétitif pour les marchés de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation d’un ouvrage ou la réalisation d’un projet urbain ou paysager, les économistes de la construction n’y sont pas opposés sous réserve que les limites de prestations qui seront demandées soient parfaitement contractualisées et correctement rémunérées.
Enfin pour ce qui concerne les marchés de conception, de réalisation et d’exploitation ou de maintenance, là aussi les économistes de la construction doivent y réfléchir tout comme la majorité des partenaires de la maîtrise d’œuvre. Le principe d’associer l’exploitant aux études ne peut que gratifier l’ensemble des études de conception, mais à quel prix. Globalement, les études des marchés globaux seront d’un prix plus élevé pour les maîtres de l’ouvrage, mais une rationalisation des études pourrait s’inscrire dans un budget anticipé et sans surprise au moment de la réalisation. Il convient aussi de noter que le coût de la maîtrise d’œuvre sera plus conséquent. Est-ce une nouvelle forme de prestations de maîtrise d’œuvre qui prend naissance ?
Prochaine réaction : les architectes.
Lire le décryptage du décret modifiant le Code des marchés publics