Conjoncture : les défaillances du bâtiment ébranlent le logement

Entre chantiers retardés et surcoûts d'opérations, les promoteurs immobiliers et les constructeurs de maisons individuelles tirent la sonnette d'alarme.

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Défaillances d'entreprises
Au nombre de 9 748 en mai 2023, les défaillances d’entreprises dans la construction s’envolent de 40 % entre janvier et mai 2023, mais se maintiennent 10,1 % en deçà de leur niveau d’avant-Covid (premier quinquamestre 2019). Dans le détail, le gros œuvre (– 13,7 %) résiste mieux que le second œuvre (– 5 %), pénalisé par les entreprises de travaux d’installation électrique et de génie climatique dont les défaillances s’envolent respectivement de 17,5 % et 8,1 %.

La période de « non-défaillance des entreprises du bâtiment » est terminée. Le constat dressé par Olivier Salleron, président de la FFB, le 4 juillet dernier, lors d'une conférence de presse de conjoncture, se veut même alarmant. « Le rythme des défaillances d'entreprises dans le secteur connaît une évolution mortifère », a-t-il déclaré. Sur les cinq premiers mois de l'année, les défaillances s'envolent de 40 %, atteignant un niveau tout de même 10,1 % en deçà de celui d'avant-Covid (sur la même période de 2019).

Documentée par l'Insee, la Banque de France et Altares, cette tendance est confirmée par les acteurs du logement. « Nous comptons quelques chantiers impactés, indique Stéphane Callegaro, directeur général d'Axanis, spécialiste de l'accession sociale en Gironde. Sur l'un d'eux, c'est une petite PME de second œuvre qui est en cause tandis que, sur un autre, l'entreprise de gros œuvre avait à peine réalisé le ferraillage qu'elle s'est retrouvée en liquidation judiciaire. » De son côté, Alexandra François-Cuxac, présidente d'AFC Promotion et ancienne présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), observe des défaillances tous azimuts. « Entre redressement judiciaire, liquidation ou retrait volontaire en cours de chantier, impossible de déterminer un profil précis des sociétés défaillantes. Ce peut être une belle entreprise de gros œuvre avant le démarrage du chantier comme le serrurier avant l'achèvement des travaux. » Une grande variété confirmée par Patrick Couvrand, directeur exécutif stratégie de l'immobilier chez Domofrance. Il égrène les corps d'état concernés sur ses chantiers : « Un enduiseur, un étancheur, une entreprise de TP pour les VRD, un plombier, un plaquiste, un menuisier extérieur, un électricien. A l'exception des majors, toutes les tailles d'entreprises sont touchées. C'est catastrophique ! » Parmi les causes avancées, les constructeurs évoquent le remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE), la trésorerie des entreprises malmenée par les hausses du coût des matériaux et de l'énergie (voir graphique ci-dessous) ou les impayés, l'insuffisance de la main-d'œuvre au regard du nombre de chantiers, mais aussi la conjoncture du secteur du logement. « Les entreprises du BTP sont les premières à subir la chute des ventes de logements de 2022 », souligne Sylvain Massonneau, directeur général de Tradimaisons et vice-président du Pôle Habitat de la FFB en charge de la maison individuelle. Si, pour l'instant, ces défaillances ne touchent l'activité des promoteurs et constructeurs qu'à la marge, les conséquences sont cependant loin d'être négligeables.

Effet papillon. La défaillance d'une entreprise génère automatiquement un rallongement des délais de chantier. « Si les garde-corps ne sont pas posés, c'est moins grave que la réalisation partielle de la plomberie ! Entre les formalités, la détermination des responsabilités, le lancement d'un nouvel appel d'offres, la communication de l'identification des entreprises auprès des banques, le redéploiement du planning pour les autres corps d'état, le décalage varie entre quatre mois et un an », explique Alexandra François-Cuxac. Lorsque l'opérateur est soumis aux règles de la commande publique, les conséquences sont à peu près identiques. « Entre le constat d'huissier, l'apurement de ce qui est dû à l'entreprise en cas de liquidation, la consultation publique et les réponses des entreprises, le retard pris par le chantier est de deux mois minimum… Ce temps est incompressible », affirme Patrick Couvrand, de Domofrance. Quand un chantier connaît plusieurs défaillances, ce qui n'est pas rare, les délais peuvent évidemment s'allonger encore.

Prix et coûts dans le bâtiment
Prix et coûts dans le bâtiment Prix et coûts dans le bâtiment

Indemnisation du maître d'ouvrage d'une maison individuelle pour pénalités de retard, prise en charge des analyses techniques des travaux réalisés par le constructeur pour passer le relais à une nouvelle entreprise dans les meilleures conditions… C'est la rentabilité même d'une opération qui peut être malmenée. Pour la dirigeante d'AFC Promotion, « si le coût financier est équilibré avec seize mois de travaux, il ne le sera plus du tout sur vingt-quatre, surtout avec une marge opérationnelle au mieux de 5 % actuellement et une marge nette sur un logement comprise entre 5 000 et 10 000 euros ». Le verdict est le même pour un bailleur qui intègre les futurs loyers dans son opération : « Un retard sur un chantier de 20 logements génère 8 000 euros de perte de loyers par mois. Nos budgets prévisionnels incluant les rentrées de loyers, les répercussions sur l'équilibre des opérations sont concrètes. Trois mois de retard sur un millier de logements coûtent 400 000 euros par mois ! »

Les constructeurs à la rescousse. Pour réduire les effets des défaillances, voire les prévenir, chacun a sa méthode. Certains organisent les plannings en fonction des entreprises. « Ce sont des partenaires. Ainsi, nous pouvons décaler le lancement d'une opération pour nous adapter à la sollicitation d'une entreprise de gros œuvre qui note une baisse d'activité à un moment particulier », illustre Frédéric Dupont, directeur général délégué de Claimo (groupe Hexaom) et vice-président du Pôle Habitat en charge de la promotion immobilière.

Outre ce report du démarrage des chantiers, certains acteurs vont loin dans l'accompagnement. « Tout en étant exigeants sur leurs encours, leurs effectifs ou l'état de leurs cotisations sociales, nous pouvons échanger avec les entreprises sur le niveau de leurs carnets de commandes, les conseiller sur la baisse des charges fixes, les aider à trouver de nouveaux clients, dans la rénovation par exemple, mais aussi les régler à huit jours pour qu'elles puissent recouvrer leur trésorerie, énumère Sylvain Massonneau. Dans des cas extrêmes, nous intervenons même pour négocier les prix des matériaux, voire les acheter. Il est essentiel que nos chantiers soient exécutés. » Domofrance a aussi relevé ses critères de sélection. « Nous sommes de plus en plus vigilants sur la santé financière de l'entreprise, en particulier son chiffre d'affaires qui doit correspondre a minima à deux fois le prix du marché, sur l'organisation du chantier ou le SAV », détaille Patrick Couvrand. Une façon de favoriser - enfin - les offres mieux-disantes.

Selon les acteurs du bâtiment, la situation devrait s'aggraver sous peu. « La vraie crise n'a pas commencé, estime Frédéric Dupont. Les défaillances actuelles d'entreprises sont constatées dans le cadre de permis de construire déjà obtenus. La chute des ventes et la contraction du marché du logement vont entraîner, avec six mois de décalage, un effondrement des consultations de la part des maîtres d'ouvrage et des constructeurs, provoquant une cascade de défaillances et une casse sans précédent de l'emploi. » Patrick Couvrand, lui, veut rester confiant : « Les entreprises les plus fragiles risquent de ne pas suivre, mais les plus saines, celles qui ont anticipé leur trésorerie, devraient passer le cap. » Les prochains mois seront décisifs.

« Soutenir la production… au juste prix ! »

« L'accélération des défaillances interviendra sur des chantiers qui n'ont pas démarré comme prévu. Et si les ventes ralentissent encore, le phénomène se généralisera. Pour sauver la filière, si la mesure à long terme exige de trouver rapidement de nouveaux modes d'acquisition des logements, l'action la plus urgente consisterait à cesser de vendre à CDC Habitat, à des prix inférieurs de 10 à 20 % à ceux de marché, dans le cadre de son programme d'acquisition de 17 000 logements. Que l'Etat soutienne la production de logements est une bonne chose, mais qu'il le fasse au juste prix ! »

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Alexandra François-Cuxac, présidente d'AFC Promotion.

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