Constats : les commissaires de justice alertent le BTP sur les applis « Canada dry »

Réalisés avant les travaux, pendant, et/ou après, les constats établis par des commissaires de justice permettent de pacifier les relations et de disposer de preuves solides en cas de litige, met en avant la chambre nationale de la profession. Une sécurité que n’offrent pas, estime-t-elle, les applications en ligne et autres constats en visio proposés ici et là avec un certain succès.

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Démo du constat immersif à 360°

« Nous voulons mettre en garde les professionnels du BTP contre ces applis qui ne servent à rien », martèle Benoît Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), dénonçant lors d’un point presse ce 16 novembre la demi-douzaine de services Internet mis à disposition des acteurs du chantier pour réaliser ce qu’il considère comme des pseudo-constats.

Prises de vue biaisées

Le commissaire de justice (profession issue de la fusion de celles d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires) dispose d’un statut d’officier public et ministériel, rappelle l’instance ordinale ; de ce fait, les constats dressés par les commissaires de justice par acte authentique le sont de façon neutre et impartiale, et revêtent la force probante la plus forte.

Concrètement, le commissaire de justice se rend sur place, prend des photos et/ou des vidéos, et décrit factuellement ce qu’il a constaté. Le plus souvent, il s’agit de faire des constats avant travaux, mais cela peut aussi se faire pendant le chantier, et après.

« Nous combattons les sociétés qui développent ces applications avec lesquelles le client fait lui-même les photos, dénonce le président de la Chambre. Elles donnent l’illusion au client de disposer de preuves, géolocalisées, horodatées, ayant la même valeur juridique que nos constats, mais c’est du Canada dry ! ». Celles qui permettent aux conducteurs de travaux de transmettre les clichés à des commissaires de justice qui attesteront les avoir reçus ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux. Car « l’officier public agit [sur place] de façon neutre et indépendante. Lorsque je viens constater par exemple l’état des travaux de peinture d’un chantier, je vais photographier l’ensemble des murs, et pas seulement certains pans » - là où une photo prise par une partie prenante risque d’être biaisée en fonction de ses intérêts.

Benoît Santoire pointe également du doigt une société qui voulait développer le constat par commissaire de justice en visio. « La personne qui tient la caméra ne lui montrerait que ce qu’elle veut ! Et la géolocalisation n’est pas assez précise, comment savoir par exemple à quel étage d’un immeuble la prise de vue a lieu… » La chambre a même fait fermer certains sites qui utilisaient la Marianne, c’est-à-dire le sceau de la profession, ou encore le terme « huissiers » dans leur communication.

Echo jurisprudentiel

Ce combat des commissaires de justice trouve écho dans la jurisprudence, assure l’instance. Plusieurs décisions récentes ont dénié à ces procédés la valeur probante que les clients en attendaient. Ainsi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (arrêt du 24 juin 2021, n° 2021/405 – RG 20/07645) a jugé que « le constat […] ne fait que constater des photos prises par [l’utilisateur de l’application]. Ces procès-verbaux établis […] selon un procédé ne relevant pas de l'office de l'huissier instrumentaire qui n'a pas lui-même procédé aux constatations figurant sur les documents numériques transmis, ne peuvent être considérés comme constitutifs de la preuve ».

Autre exemple, un jugement du tribunal judiciaire de Paris (27 octobre 2020, n° RG 18/04913) relève que  « l’intérêt de l’affichage d’un permis de construire est de constituer la preuve du point de départ du délai de recours contentieux prévu à l’article R. 600-2 du Code de l’urbanisme. Or, l’application permet de donner date certaine au dépôt de la photographie de l’affichage du permis de construire entre les mains de l’huissier de justice et non pas date certaine de l’affichage du permis, qui seul fait courir le délai du recours contentieux, les données attachées à la photographie pouvant être falsifiées. De même le constat obtenu par l’application ne permet pas de certifier que l’huissier de justice a vérifié que le panneau d’affichage était visible de la voie publique. L’utilisateur de l’application se trouve ainsi trompé sur l’utilisation du procès-verbal obtenu en tant que moyen de preuve de l’affichage du permis de construire et de l’opposabilité du délai de recours contre ce permis. » Car c’est bien de pratiques commerciales trompeuses qu’il s’agit, estime Benoît Santoire, lorsque l’éditeur du service laisse croire que celui-ci aura la même valeur juridique qu’un constat de commissaire de justice.

Coût et coups

Evidemment, il y a la question du coût. Là où les professionnels du BTP dépensent quelques dizaines d’euros pour l’utilisation de ces applis, il faudra compter davantage, souvent 250 à 300 euros de l’heure, pour obtenir un constat de commissaire de justice. « Notre rémunération est libre, elle dépend du temps passé, de la difficulté, parfois il faut par exemple utiliser des drones pour disposer de vues aériennes », explique Jean-Luc Bourdiec, commissaire de justice à Gien (Loiret). « Il y a quelques jours, j’ai fait un constat sur un projet d’extension d’une usine : j’ai marché 7 km et pris environ 400 photos dont 250 nécessiteront un commentaire écrit », illustre-t-il.

« Mais dans tous les cas, l’avantage procuré au client par le constat est sans commune mesure avec son coût », affirme le professionnel loirétain. D’abord, par son effet dissuasif, notamment pour les constats avant travaux, « qui découragent les demandes intempestives du voisinage tenté de faire un « coup d’assurance », et qui cantonnent les demandes légitimes ». Et en cas de différend, le constat pourra servir d’outil de conciliation, ou, devant les tribunaux, de preuve indiscutable. « Nous intervenons aussi sur les chantiers en cours, pour des clients qui veulent faire constater des surprises, par exemple la présence d’une cuve enterrée qui va nécessiter des travaux supplémentaires, de dépollution notamment ; ou pour garder une preuve du retard d’un autre corps d’état empêchant de démarrer ses propres travaux et éviter ensuite des pénalités indues ».

Des appels d'offres « constat compris »

Quant aux délais pour obtenir un constat, la chambre assure disposer d’un maillage territorial suffisant, avec 3 700 commissaires de justice en France. Selon Benoît Santoire, « on trouve facilement et rapidement un commissaire de justice partout ». Dans la construction, les clients sont souvent des grosses entreprises ; ou de plus petites dans le secteur de la démolition. « A Verdun où se trouve mon étude, nous réalisons trois à quatre constats par semaine, pour le bâtiment mais surtout les travaux publics », confie-t-il. Parfois, la demande est faite conjointement par l’entreprise et la collectivité. « En outre, de plus en plus d’appels d’offres demandent un constat avant travaux, ce qui permet aux entreprises de l’inclure dans le chiffrage de leurs offres ».

Et pour accroître l’attractivité de leurs prestations, les commissaires de justice ont développé le constat immersif à 360° (démo ici). « L’outil, qui sera présenté à notre Congrès les 8 et 9 décembre, offre par exemple une vision d’ensemble d’une rue, sans rien oublier. Le commissaire de justice peut y indiquer des points d’attention, avec des zooms », détaille le président de la chambre. Reste aux professionnels à s’équiper et se former.

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