Construction de maisons individuelles : Bercy sort le carton rouge

Près de la moitié des professionnels contrôlés par les agents de la DGCCRF sont en infraction, révèle une enquête dont « Le Moniteur » a eu la primeur. En cause : des publicités trompeuses, des faux constructeurs, des contrats non-conformes à la loi…

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L'enquête menée par la DGCCRF sur les contrats de construction de maisons individuelles (CCMI) révèle un taux d’anomalie de 49%.

« Des résultats préoccupants ». Pour Aurélien Hauser, chef du bureau 5C de la DGCCRF (1), qui s’occupe du logement « de la brique au syndic », l’heure n’est pas aux bonnes nouvelles. Le bilan de l’enquête menée sur les contrats de construction de maisons individuelles (CCMI), livré en exclusivité au « Moniteur », révèle en effet un taux d’anomalie de 49 % : diffusion de publicités trompeuses, intervention de « faux constructeurs », défaut de certaines clauses obligatoires dans les contrats… « De mémoire, le taux d’infractions n’a pas régressé depuis la dernière enquête il y a quelques années ». Une situation d'autant plus alarmante que la maison individuelle est le type d'habitat majoritaire en France (57 % des résidences principales et 58 % des résidences secondaires en 2014).

Un cadre protecteur

C’est une enquête de terrain qu’ont mené les agents de Bercy, visitant, au premier semestre 2015, 139 établissements, disséminés sur le territoire, pour vérifier le respect des règles d’information et de protection du maître d’ouvrage et traquer les pratiques déloyales. Le contrat de construction de maison individuelle est en effet encadré par la loi du 19 décembre 1990, très protectrice du particulier et retranscrite dans le Code de la construction et de l'habitation (lire Focus). Cette loi impose notamment la fourniture d’une garantie de livraison à prix et délais convenus, et borde le contenu du contrat. « Le recours à un CMIste, professionnel respectant la loi de 90, n’est pas toujours obligatoire. Il ne l’est, grosso modo, qu'à partir du moment où le constructeur se charge de la mise hors d’eau et mise hors d’air, explique Aurélien Hauser. Sinon, il est possible de faire appel à un maître d’œuvre qui coordonnera les corps d’état ». Le tout étant de séparer le bon grain de l'ivraie parmi tous ces acteurs. La DGCCRF estime en effet que globalement, les CMIstes "connaissent et respectent la réglementation qui leur est applicable. La plupart des infractions relevées l'ont été chez les autres opérateurs présents dans le secteur (bureaux d'études, charpentiers, courtiers). Le phénomène des faux constructeurs reste une problématique majeure qu'il faut maintenir sous surveillance". Majeure, car l'enjeu financier est de taille pour qui fait construire sa maison (2). Mais aussi parce que les acteurs qui restent dans les clous subissent une concurrence déloyale. « La construction en CCMI est en général un peu plus chère – la protection a un coût », note Aurélien Hauser.

Manœuvres pour échapper au CCMI

De quoi s'agit-il concrètement ? Les enquêteurs de la DGCCRF ont fait chauffer leurs carnets à souches. Ils ont délivré, dans les établissements contrôlés, 52 avertissements, 18 injonctions de modifier les pratiques et 10 procès-verbaux. "Les PV sont réservés au cas les plus graves, décrypte Aurélien Hauser. Ils sont transmis au Procureur en vue de poursuites pénales. La peine encourue pour pratique commerciale trompeuse, par exemple, va jusqu'à deux ans de prison et 300 000 euros d'amende".

Ont été ainsi relevées tout d'abord des infractions à la loi de 90. Les plus basiques consistant à commencer le chantier sans contrat écrit en bonne et due forme... Le défaut de fourniture d'une garantie de livraison à prix et délais convenus s'avère également fréquent. "A la décharge des constructeurs, concède le chef du bureau 5C, les banques rechignent parfois à délivrer ces garanties". Les agents ont noté aussi plusieurs manquements à l'obligation d'inclure dans le CCMI la référence de l'assurance dommages ouvrage souscrite par le maître d'ouvrage - et qui constitue pour lui une protection primordiale.

Autre problème recensé, l'intervention de faux constructeurs. Il s'agit de bureaux d'études qui font signer des contrats de maîtrise d'oeuvre à leurs clients, alors qu'ils offrent en réalité des prestations relevant de la construction de maison individuelle : "Les prestations ne sont pas individualisées, les entreprises avec lesquelles travaille le maître d'oeuvre sont systématiquement les mêmes et ces dernières lui versent des honoraires", relate la DGCCRF. Parfois même, les maîtres d’œuvre ont des liens familiaux ou capitalistiques avec les entreprises auxquelles ils confient les travaux. La requalification de ces contrats en CCMI, avec tout le cadre contraignant que cela implique, s'impose alors. Idem lorsque des entreprises s'ingénient à échapper au cadre du CCMI en ne faisant pas de mise hors d'eau ou hors d'air, laissant par exemple le soin au maître d'ouvrage d'acheter lui-même les fenêtres.

Publicités trompeuses

L’enquête a aussi mis au jour des pratiques commerciales trompeuses (34 % des anomalies). Autrement dit, des publicités mensongères ou laissant planer l’ambiguïté. Les contrevenants sont pour l’essentiel des promoteurs immobiliers ou des BET. Désirant surfer sur la bonne image du CCMI, ils se présentent faussement comme des CMIstes. Ou le laissent croire, avec des arguments promotionnels tels que « maisons clés en main », « nos artisans réalisent votre villa », ou un enregistrement sous la rubrique CMIste dans les Pages jaunes… Tromperie encore, lorsque des entreprises se parent dans leurs publicités de signes de qualité type Qualibat ou titres dont elles ne disposent pas (ou plus), ou de moyens humains ou d’expérience sur-gonflés.

Ignorance ou légèreté blâmable ? Certains constructeurs ou courtiers en maisons individuelle enfreignent aussi la loi Hoguet. « Ils font visiter des terrains ne leur appartenant pas et pratiquent ce faisant une activité d’entremise immobilière, détaille Aurélien Hauser. S’ils ne détiennent pas de carte professionnelle d’agent immobilier, cette activité, même à titre gratuit, leur est interdite ».

Vigilance

Deux lueurs émergent toutefois de ce sombre tableau. Aucun défaut de qualification professionnelle n’a été relevé dans les entreprises inspectées. Et presqu’aucune clause abusive n’a été débusquée dans les contrats – grâce, sans doute, à l’utilisation massive des contrats-types proposés par les organisations professionnelles. Lueur d’espoir aussi, sur le plan économique, la DGCCRF espérant « un léger retour à la croissance de l’activité de construction de maison individuelle ». Ce qui la conduira à maintenir le secteur sous surveillance rapprochée. Avec l’aide du particulier maître d’ouvrage, qui est appelé à la plus grande vigilance…

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