« Préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence », tel est l’objet de la proposition de résolution européenne présentée par les députés Marie-Noëlle Battistel (Parti socialiste – Isère) et Philippe Bolo (centriste – Maine-et-Loire) le 3 mars dernier. Avec ce texte, dont l’examen devrait débuter le 30 avril prochain, les deux parlementaires entendent « inviter le gouvernement à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ de la directive européenne sur les concessions lors des travaux de révision de celle-ci ».
Un contexte propice
La Commission européenne a d’ores et déjà entamé le processus menant à la révision des directives Marchés publics et Concessions de 2014. Elle a notamment lancé en décembre 2024 une consultation publique, à laquelle Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo ont contribué pour soutenir leur position au sujet des installations hydroélectriques. Clôturée depuis le 7 mars dernier, cette consultation laisse désormais place à une négociation entre les Etats membres.
Les deux députés y voient l’opportunité de régler pour de bon le sort des concessions hydroélectriques françaises et entendent bien faire entendre leur voix. « Nous échangeons avec des parlementaires européens ainsi qu’avec le commissaire Stéphane Séjourné [chargé du Marché intérieur, NDLR] pour gagner des soutiens au sein des instances de l’Union européenne », confient-ils au « Moniteur ».
Précontentieux européen
Pour mémoire, les concessions hydroélectriques font l’objet d’un litige de longue date entre la Commission européenne et l’Etat français, ce dernier ne procédant pas aux remises en concurrence des concessions arrivées à échéance. Dans un référé de décembre 2022, la Cour des comptes en dénombrait 38 déjà expirées et 61 qui devraient l’être d’ici la fin 2025, sur un total d’environ 340. Elles continuent d’être exploitées selon les conditions initiales en vertu d’un régime dit des « délais glissants » qui permet au concessionnaire dont le contrat est échu de poursuivre son exécution jusqu’à l’attribution d’une nouvelle concession.
En 2019, la Commission a adressé une mise en demeure enjoignant au gouvernement de lancer les procédures de mise en concurrence pour réattribuer les concessions échues. Bruxelles et la France s’opposent sur ce sujet depuis 2003, date à laquelle les premières concessions sont arrivées à leur terme.
Consensus politique
« Il y a aujourd’hui un consensus assez large contre la mise en concurrence des installations hydroélectriques, y compris du côté du gouvernement », salue Marie-Noëlle Battistel, qui s’emploie dans ce dossier depuis 2013. « Nous avons mis plusieurs années à démontrer que les enjeux de souveraineté, d’équilibre du réseau électrique et d’usage de la ressource en eau concourent à ce que la production d’énergie hydroélectrique ne soit pas soumise aux règles de droit commun de la concurrence au sein du marché intérieur européen ».
Paralysie
Le statu quo symbolisé par les délais glissants n'est toutefois pas satisfaisant, convient-elle. « Depuis douze ans nous avons réussi une seule chose, c’est de ne pas mettre en concurrence un seul ouvrage. Mais nous n’avons pas trouvé la stabilité et la visibilité dont ont besoin les opérateurs pour réaliser des investissements, à la fois sur l’existant et pour le développement de nouvelles installations comme les stations de transfert d’énergie par pompage (Step) ».
Une situation de blocage qu’Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d’EDF Hydro, confirmait le 19 mars 2024 devant la commission d’enquête sénatoriale consacrée à l’électricité. « Le régime juridique des concessions ne nous permet pas de lancer la mise en développement de capacités additionnelles. Sur le projet de Montézic (Aveyron) prévoyant l’extension de plus de 450 MW d’une Step existante, nous sommes prêts à lancer les appels d’offres dès lors que nous aurons trouvé une solution sécurisant notre capacité à rester exploitant ».
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Une mission d’information
La proposition de résolution s'inscrit dans la lignée de la mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques conduite par Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo. Lancée en septembre 2024, elle devrait rendre ses conclusions fin avril ou début mai 2025. Plusieurs solutions alternatives à la mise en concurrence y seront présentées. Outre la révision de la directive Concessions pour exclure expressément de son champ les barrages, trois autres pistes retiennent l'attention des parlementaires.
Quasi-régie
La première est celle de la quasi-régie. Il s'agit de placer les installations hydroélectriques au sein d’une entité contrôlée par l’Etat. Ce mécanisme dit « in house » est prévu dans la directive Concessions de 2014 et permet de se passer de mise en concurrence, l’Etat pouvant attribuer directement les concessions à la structure placée dans son giron.
Cette voie fut plébiscitée au moment des réflexions sur la restructuration d'EDF menée à partir de 2019, dans le cadre du projet Hercule finalement abandonné. Il était envisagé de placer EDF Hydro dans une relation de quasi-régie avec l'Etat. « Cette solution règlerait la situation des concessions exploitées par EDF [environ 70 % du parc national, NDLR], mais pas celles de la Compagnie nationale du Rhône et de la Société hydroélectrique du Midi, qui sont deux filiales d’Engie », précise néanmoins Marie-Noëlle Battistel.
Autorisation
Seconde option, qui a les faveurs de l’ensemble des opérateurs en place : un basculement du régime de la concession vers le régime de l’autorisation. Ce régime est aujourd’hui celui des barrages d’une puissance inférieure à 4,5 MW, pour lesquels une autorisation est accordée par l’Etat pour une durée limitée. Le changement de régime impliquerait que les barrages actuellement concédés, qui appartiennent à l’Etat, soient vendus à leur exploitant. « La question est de savoir si, au regard des règles européennes, nous pouvons éviter la mise en concurrence au moment de la vente des ouvrages, relève Marie-Noëlle Battistel. Nous étudions la robustesse juridique de cette solution ».
Compensation
Enfin, la troisième piste consisterait à prévoir un mécanisme de compensation des volumes d’hydroélectricité produits au profit des fournisseurs alternatifs. « Ce dispositif permettrait que Bruxelles ne puisse plus considérer qu'EDF, qu'elle accuse d'abus de position dominante, capte la rente de l'hydroélectricité », explique Marie-Noëlle Battistel.
Vers un compromis ?
La mission d’information a réalisé une cinquantaine d’auditions. Ont été entendus les différents exploitants d’ouvrages hydroélectriques en France, ainsi que les différents ministères et administrations en charge de ce dossier. « Nous avons reçu aussi des collectivités locales car l’hydroélectricité a un impact fort sur l’aménagement des territoires », indique Marie-Noëlle Battistel. Tous semblent converger vers le refus de la mise en concurrence.
C’est sans compter toutefois sur les opérateurs désireux de pénétrer le marché français, notamment représentés par l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg). « Ils ne sont pas fans de nos propositions », admet Marie-Noëlle Battistel. Mais pas de quoi remettre en cause la conviction de la députée, qui escompte solder définitivement le sujet des concessions hydroélectriques par la négociation. « Nous poursuivons nos échanges avec la Commission européenne, qui est plutôt encline à trouver une solution qui convienne à tout le monde ».