Quel est le régime juridique des installations hydroélectriques ?
Elles sont soumises à la loi du 16 octobre 1919, reprise aujourd'hui dans le Code de l'énergie. Ses dispositions distinguent autorisation et concession, en fonction de la puissance. Les concessions concernent les ouvrages d'une puissance égale ou supérieure à 4 500 kW. Il y a aussi quelques petites installations exploitées sous le régime des droits fondés en titre. Il faut noter par ailleurs que les barrages de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) n'obéissent pas au même régime : ils font l'objet d'une concession unique, en vertu d'une loi de 1921, qui a été prolongée en 2022 pour prendre fin le 31 décembre 2041.
Pourquoi la situation des concessions est-elle incertaine ?
Ces concessions arrivent progressivement à échéance depuis 2003. La Cour des comptes, dans un référé du 2 décembre 2022, en a identifié 38 déjà expirées, et 61 qui le seront à la fin 2025, sur un total d'environ 340. Ces concessions devraient être réattribuées après une procédure de mise en concurrence. Elles continuent pourtant d'être exploitées selon les conditions initiales, conformément au régime spécifique des « délais glissants » qui permet à un concessionnaire dont le contrat est échu de poursuivre l'exploitation jusqu'à ce qu'un nouveau titulaire soit choisi. Mais ce mécanisme est censé être temporaire et il pèse sur la capacité d'investissement. Ce manque de visibilité entraîne le gel de tous les projets d'envergure, comme le développement des stations de transfert d'énergie par pompage (Step) par exemple, pour lesquels la programmation pluriannuelle de l'énergie envisageait 1,5 GW supplémentaire. Or, dans son rapport annuel pour 2024, la Cour des comptes insiste de nouveau sur la nécessité de les déployer compte tenu de leur contribution à la sécurisation du système électrique.
Comment expliquer cette inertie de l'Etat ?
Il y a une certaine réticence à la mise en concurrence qui n'est pas nouvelle. Mais l'exécutif a semblé, un temps, en accepter le principe, notamment à travers le lancement en 2010 du programme « Dix-Vallées », qui concernait 51 concessions regroupées en vallées. Puis un revirement du pouvoir politique en 2012 a ouvert une période de flottement, jusqu'à l'adoption en 2015 de la loi pour la croissance verte. Celle-ci a prévu la possibilité de créer des SEM hydroélectriques, dont les collectivités peuvent être actionnaires. Mais ce dispositif n'a guère été employé. Elle a aussi mis en place un mécanisme permettant d'aligner les durées des concessions d'une même chaîne de barrages afin, notamment, de faciliter la remise en concurrence ou la réalisation d'investissements. Ségolène Royal, alors ministre de l'Ecologie, avait annoncé que les premières mises en concurrence seraient lancées en 2016. Ce qui n'a pas été le cas, conduisant la Commission européenne à adresser à la France deux mises en demeure, en 2015 et en 2019.
Le gouvernement souhaite régler définitivement le sort des concessions. Quelle solution est envisagée ?
La voie de la remise en concurrence semble écartée pour l'heure. Une autre piste a longtemps été celle de la quasi-régie. Il s'agissait de regrouper les concessions dans une structure publique - par exemple, une filiale d'EDF. Cela aurait permis à cette structure d'être dans une relation « in house » avec l'Etat et donc de se faire attribuer des concessions sans mise en concurrence.
Mais cette solution a l'air d'avoir été abandonnée. Aujourd'hui, c'est plutôt le scénario du changement de régime, de la concession vers l'autorisation, qui semble étudié. Mais cela reste incertain. Cela s'est néanmoins déjà produit en 1980 lorsque le seuil de concession est passé de 500 kW à 4 500 kW. L'intérêt est que les autorisations ne sont pas soumises à mise en concurrence.
Le changement de régime implique toutefois le transfert de propriété des installations : dans les concessions elles constituent des biens de retour, propriété de l'Etat, alors que dans le régime d'autorisation, elles sont en principe la propriété de l'exploitant. Il faut alors s'assurer qu'il y ait une expertise indépendante pour les céder à leur juste valeur.
Cette solution est-elle conditionnée à un accord de la Commission européenne ?
En effet, elle doit faire l'objet de discussions entre la France et Bruxelles. Répondant à la question d'un sénateur, Bruno Le Maire a rappelé, le 13 mars dernier, son objectif de trouver d'ici la fin de cette année une solution juridique au contentieux qui oppose la France à la Commission européenne sur la question des barrages hydroélectriques.
20 ans de contentieux européen
- 2003 : Les premières concessions arrivent à échéance.
- 2006 : À la demande de la Commission européenne, la France supprime le droit de préférence accordé aux concessionnaires sortants.
- 2008 : Le gouvernement présente un plan de relance de la production hydraulique française et soumet l'attribution des concessions à la procédure de mise en concurrence de droit commun.
- 2010 : Lancement du premier programme de renouvellement des concessions, dit « Dix-Vallées », qui ne sera jamais mis en œuvre.
- 2012 : Les concessions pour les barrages de la vallée d'Ossau, du Têt et du Louron, dans les Pyrénées, arrivent à échéance.
- 2015 : La Commission européenne met en demeure la France de procéder aux mises en concurrence. Elle estime par ailleurs que la loi pour la croissance verte est un moyen de repousser les fins de contrats et de limiter le nombre de contrats à renouveler.
- 2019 : La Commission européenne conteste le régime des délais glissants et adresse une seconde mise en demeure à la France.
- 2024 : Lancement d'une mission parlementaire pour tenter de résoudre le contentieux.