Douches sans ressaut : les acteurs demandent plus de temps

Logement neuf - Le calendrier de mise en œuvre fixé par l'exécutif ne permettra pas de disposer de retours d'expériences.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - 22787_1360517_k2_k1_3154546.jpg

Sans ressaut, mais avec soubresauts… La conversion du logement à la douche à l'italienne, si louables soient ses objectifs, agite les acteurs du bâtiment. C'est un arrêté du 11 septembre, annoncé dès décembre dernier pour faire progresser l'accessibilité de l'habitat, qui a gravé la règle dans la faïence : les logements neufs devront être équipés d'une zone de douche sans ressaut. La baignoire demeure une option, mais elle devra pouvoir être transformée sans interventions sur le gros œuvre. Application au 1er janvier 2021 pour les permis de construire des maisons (sauf celles construites pour le propre usage de leur propriétaire) et des logements en rez-de-chaussée ; et au 1er juillet 2021 pour les logements en étages desservis par un ascenseur.

Priorité à la relance. « Nous nous félicitons de cette avancée, affirme Denis Dessus, président du conseil national de l'Ordre des architectes. Elle implique des solutions constructives parfois contraignantes, mais qui sont nécessaires et profiteront à tous. » Mais cet enthousiasme semble peu partagé dans le secteur du bâtiment.

Reprenant les arguments qui avaient déjà conduit le Conseil supérieur de la construction (CSCEE) à délivrer en mars un avis défavorable sur le projet d'arrêté, six organisations professionnelles repartent au front. L'Unsfa, la FPI, l'USH, la Capeb, la FFB et Pôle habitat FFB (ex-LCA-FFB) ont adressé à Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, une lettre la pressant de rallonger les délais de généralisation de la douche à l'italienne. « Avec le Covid-19, nous n'avons pas pu nous y préparer, et la priorité aujourd'hui est plutôt la relance, souligne Ludovic Scarpari, vice-président de Pôle Habitat FFB en charge de la promotion immobilière. Nous travaillons déjà sur les permis de construire de 2021. Il faut y intégrer cette donnée supplémentaire in extremis. C'est compliqué. »

Sinistralité accrue. Bien sûr, il y a la question du surcoût, estimé à environ 4 000 euros par logement : matériel, étanchéité, épaississement de la chape, voire surdimensionnement de la structure… Mais surtout, le risque d'une forte sinistralité suscite des inquiétudes (lire entretien ci-contre) . « Dans un immeuble pilote de logement social construit en 2014-2015 à Paris et équipé de telles douches, des désordres ont été constatés dans un tiers des logements », relate Alban Charrier, de la direction de la maîtrise d'ouvrage à l'USH. Les risques portent sur l'étanchéité, mais aussi l'isolation acoustique et la résistance au feu. « Les solutions de type évacuation traversante peuvent être entretenues et réparées facilement dans des hôtels ou des hôpitaux depuis l'étage inférieur, car le propriétaire dispose de l'accès. C'est en revanche très difficile dans les immeubles de logement », souligne-t-il. Et qui dit risques nouveaux dit prudence de l'assureur, qui devrait se ressentir dans le niveau des primes.

Solutions techniques. La filière demande donc du temps. L'avis du CSCEE évoquait un report de quatre ans de l'obligation pour les logements en étages, l'Agence Qualité Construction (AQC) penche pour six ou sept ans… Les professionnels, résume Alain Chapuis, référent accessibilité à la FFB, veulent pouvoir « chercher les solutions techniques adéquates, les tester, en rez-de-chaussée d'abord puis en étages, observer les résultats sur la durée, faire monter les salariés en compétence… » Il faut aussi laisser aux industriels le temps de proposer des équipements innovants - la piste du siphon en cloison semble prometteuse - et de calibrer leur offre. Des questions périphériques se posent aussi. « Si l'on épaissit la dalle, va-t-on diminuer la hauteur du logement, ou augmenter celle du bâtiment ? » interroge Alain Chapuis. « Au moment où l'on parle de bâtiment bas carbone, il est dommage d'aller vers davantage de béton », renchérit Frank Hovorka, directeur technique et innovation de la FPI. Pour Ludovic Scarpari, se pose aussi la question de la cohérence entre les différentes règles de l'art : « Par exemple, mettre en œuvre une douche à l'italienne change les volumes d'eau de la et peut, dans certains cas, empêcher de mettre en place une prise électrique dans la salle d'eau. »

  • 1er janvier 2021 obligation pour les maisons et les RDC.
  • 1er juillet 2021 obligation pour les logements en étages.

Obligation de moyens. Les acteurs souscrivent en revanche à l'objectif de l'arrêté : aller plus loin dans l'accessibilité pour tous les handicaps. Mais ils regrettent « la dichotomie entre l'obligation de moyens, très précise, et la réécriture en cours du Code de la construction, qui privilégie une logique de résultat », explique Frank Hovorka. « On aurait pu imaginer une solution équivalente, sans forme de pente et à moindre coût, en “ gommant ” le ressaut via une simple rampe de seuil en caoutchouc, découpée à la mesure », avance ainsi Gérard Senior, référent politique technique de l'Unsfa. D'autres évoquent l'utilisation de plates-formes d'accès ou de fauteuils permettant une translation.

Ironie de l'affaire, les représentants des handicapés, qui ont obtenu cet arrêté, n'en sont pas pleinement satisfaits. Car il permet le chevauchement intégral de l'espace de douche par l'aire de giration, sans le limiter au droit de l'équipement permettant de s'asseoir. Le ministère du Logement confie que la concertation reprendra, début octobre, pour « déterminer l'opportunité de faire évoluer les règles relatives à la hauteur minimale dans laquelle doit s'inscrire le volume de la douche accessible, et les règles concernant l'aménagement ultérieur de baignoires ou de sièges de douche dans la salle d'eau ». En attendant d'ouvrir le dossier des seuils de balcons ?

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires