Eric A. Caprioli, avocat : « Une mutation profonde des pratiques en matière de facturation électronique est engagée »

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La transposition de la directive européenne relative aux règles de facturation par voie électronique est achevée avec la publication au Journal officiel, les 25 et 26 avril 2013, de deux décrets et un arrêté (1), une instruction fiscale restant à être publiée. Censé encourager le recours aux factures électroniques, ce nouveau dispositif comporte à ce stade trop de zones d’ombre pour rasséréner pleinement les entreprises. C’est le point de vue d’Eric A. Caprioli, avocat à la Cour de Paris, spécialiste en droit des NTIC (cabinet Caprioli & Associés), au terme d’une première analyse des nouveaux textes.

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Maître Eric A. Caprioli

Quel est le principal apport des nouvelles dispositions en matière de factures électroniques ?

Eric A. Caprioli : La loi de finances rectificative pour 2012, engageant la transposition des dispositions européennes, avait notamment aménagé le régime des factures électroniques signées. Désormais, l’article 289-VII-2 du Code général des impôts (CGI) renvoie à une « procédure de signature électronique avancée […] » comme moyen visant à sécuriser la transmission. Comme le précise l’article 96-F-I-3 de l’annexe III au CGI, celle-ci est « créée par un dispositif sécurisé. Elle repose sur un certificat électronique qualifié qui est délivré par un prestataire de service de certification [PSCE] ». Le décret n°2013-350 du 25 avril 2013 pris pour son application prévoit qu’un assujetti doit recourir à des certificats qualifiés comme indiqué dans l’article 96-F-I de l’annexe III au Code général des impôts (alors qu’il s’agissait jusqu’alors de « certificats serveur », pour lesquels la manifestation du consentement n’était pas nécessaire).

L’une des conditions majeures pour la délivrance de certificats qualifiés consiste à « vérifier, d’une part, l’identité de la personne à laquelle un certificat électronique est délivré, en exigeant d’elle la présentation d’un document officiel d’identité, d’autre part, la qualité dont cette personne se prévaut et conserver les caractéristiques et références des documents présentés pour justifier de cette identité et de cette qualité » (article 96-F-IV-13). Ainsi, la facture électronique signée nécessite désormais un certificat de personne physique et un dispositif sécurisé de création, c’est-à-dire vraisemblablement la présence d’une personne physique pour signer une à une ou par lot les factures électroniques, ce qui n’était pas le cas avant la modification législative et réglementaire. Les factures électroniques pouvaient alors être scellées (c'est-à-dire signées techniquement par un serveur de manière automatique, sans intervention d’une personne physique).

Cette caractéristique associée à tout un process de qualification des pratiques des PSCE a été dénoncée par les principaux acteurs du marché.

Une réponse semble émerger : le recours à toute solution technique « dès lors que des contrôles documentés et permanents sont mis en place par l’entreprise et permettent d’établir une piste d’audit fiable entre la facture émise ou reçue et la livraison de biens ou prestation de services qui en est le fondement » telle que visée à l’article 289-VII-1 du CGI. Ainsi, les solutions préexistantes à la loi de finances rectificative pour 2012 (à savoir pour les factures électroniques signées, celles qui recourent à un certificat serveur) pourraient continuer à fonctionner sous la réserve expresse de prévoir cette « piste d’audit fiable».

Rien n’est actuellement indiqué sur le contenu de cette dernière solution mais selon nos sources, les modalités d’établissement et de fiabilité de ladite piste devront être documentées et ce, en fonction de la taille de l’entreprise. Le contrôle sera donc circonstancié en fonction du contexte. Il ne devrait pas être attendu la même documentation selon que l’administration fiscale aura affaire à une petite et moyenne entreprise (PME) ou à une grande entreprise. Si une documentation papier devrait pouvoir suffire pour le premier type d’entreprise, on peut penser que la documentation relative au logiciel comptable devra être particulièrement détaillée, notamment eu égard aux exigences techniques attendues des factures.

Le décret n° 2013-350 modifie d’autres aspects concernant les factures électroniques. Des articles précisent les modalités de conservation des factures dont l’authenticité de l’origine, l’intégrité du contenu et la lisibilité sont assurées par des contrôles mis en place par les assujettis et par les règles applicables en matière de restitution des factures sous forme papier ou électronique.

Moins spectaculaire mais tout aussi important d’un point de vue organisationnel, le décret n°2013-346 du 24 avril 2013 modifie l’article 242 nonies de l’annexe II du CGI qui prévoit désormais expressément un mandat écrit et préalable en cas de recours à un tiers en charge de l’établissement des factures électroniques lorsque ce dernier est établi dans un pays avec lequel il n’existe pas d’instrument d’assistance administrative ainsi que celle de l’article R. 102-C-1-I du Livre de procédures fiscales concernant les modalités  de stockage des factures électroniques dans un pays non lié à la France par une convention fiscale. De plus, tout assujetti devra prendre en compte les mesures de simplification des mentions des factures prévues désormais à l’article 242 nonies A de l’annexe II du CGI.

Enfin, l’arrêté du 25 avril 2013 prend avant tout en compte les modifications terminologiques issues du décret n°2013-350 du même jour.

Les dispositions issues de ces textes réglementaires sont censées faciliter le recours à la facture électronique. Tel était en tous les cas l’un des objectifs clairement désignés de la directive européenne 2010/45/UE du Conseil du 13 juillet 2010 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les règles de facturation.

Mais en prévoyant une profonde évolution des caractéristiques de la signature électronique portée sur les factures (elle devient une signature électronique avancée), l’administration fiscale oblige – quoiqu’il se passe – à une mutation des pratiques :

-          Soit l’assujetti se fait délivrer un certificat qualifié, sans qu’il s’agisse d’un certificat référencé ou certifié par l’Etat dans le cadre du référentiel général de sécurité (les termes n’étant à aucun moment synonymes) et recourt à un dispositif sécurisé de création de signature. Cela induira un délai pour déterminer si les règles de qualification telles que prévues dans le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 (pris pour l'application de l'article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique) trouvent à s’appliquer directement ou s’il convient de renvoyer à un nouveau dispositif de qualification. Il n’est en effet fait aucune référence directe au dispositif préexistant pour les certificats qualifiés ;

-          Soit l’assujetti décide de recourir à la « troisième voie », ce qui nécessitera l’établissement d’une piste d’audit destinée à l’administration fiscale en cas de contrôle et pour l’instant, rien n’est indiqué sur ce qui est attendu expressément par cette dernière quant à son contenu.

Pour l’heure, il reste donc encore beaucoup d’interrogations à lever. Par exemple, l’administration fiscale avait indiqué de manière officieuse que l’instruction fiscale 3 E-1-07 du 11 janvier 2007 instaurant la pratique de la conservation du double électronique des factures transmises sur support papier devait être préservée. Ce point reste en suspens.

Déterminer si ces nouvelles règles permettront de faciliter le recours à la facture électronique tient donc pour l’heure encore de la spéculation car l’instruction fiscale est encore attendue, et devrait préciser certaines interrogations.

La dématérialisation est encore aujourd’hui, très fréquemment (hormis pour la sphère publique dans certains cas comme les marchés publics ou certaines téléprocédures comme la TéléTVA) une voie alternative. En cette période de simplification des procédures, gageons que la dématérialisation obligatoire des factures des assujettis et plus spécifiquement des personnes publiques pourrait constituer une bonne mesure sous réserve d’une réelle concertation entre l’administration fiscale et les acteurs du marché. Mais il est important que les différents partenaires des personnes publiques soient eux aussi à niveau. Un chantier resterait donc à étudier : les TPE et PME face à la facturation électronique. Ainsi, l’Etat pourrait prévoir des mesures incitatives en faveur des TPE, PME, PMI et que cela se fasse progressivement et par étape en fonction du chiffre d’affaires comme cela a été fait pour certaines téléprocédures (ex : TéléTVA qui aujourd’hui est obligatoire à partir de 230 000 euros HT de chiffre d’affaires, pour les entreprises non soumises à l’impôt sur le revenu).

Vis-à-vis de l’administration fiscale, les certificats électroniques certifiés par l’Etat ne sont-ils pas préférables ?

A priori dès lors que le décret vise un certificat qualifié, cela renvoie directement au dispositif prévu dans le cadre du décret du 30 mars 2001 et non aux certificats électroniques certifiés par l’Etat en vertu du RGS, Référentiel général de sécurité (même s’il existe une certaine équivalence). D’ailleurs, on observera que les textes relatifs à la facture électronique s’adressent aux entreprises.

Pour retrouver notre article « Cinq clés pour comprendre la facture électronique », cliquez ici.

(1) Pour consulter le décret n° 2013-346 du 24 avril 2013 relatif aux obligations de facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée et au stockage des factures électroniques, cliquez ici.

Pour consulter le décret n° 2013-350 du 25 avril 2013 modifiant les dispositions de l'annexe III au code général des impôts relatives aux factures transmises par voie électronique en matière de taxe sur la valeur ajoutée, cliquez ici.

Pour consulter l’arrêté du 25 avril 2013 portant modification des dispositions de l'article 41 septies de l'annexe IV au code général des impôts relatif aux factures transmises par voie électronique, cliquez ici.

Pour consulter la directive n° 2010/45/UE du 13 juillet 2010 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les règles de facturation, cliquez ici.

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