Évolution de la sinistralité dans l'assurance construction

Le marché de l'assurance construction a constaté une importante dégradation de la sinistralité observée (circonstances prévues au contrat pouvant générer le paiement d'une indemnité à l'assuré ou à un tiers) entre 2008 et 2016. Ce constat est partagé par SMABTP, l'assureur leader dans ce domaine.

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L'impact financier de cette dégradation est in fine répercuté sur les entreprises de construction et les maîtres d'ouvrage. C'est pourquoi il faut s'interroger sur ses causes et réfléchir aux solutions pour améliorer la qualité du bâti de manière à réduire les conséquences directes et indirectes de la non-qualité.

Statistiques du marché français

Depuis 9 ans, le coût des sinistres est en constante augmentation sur le marché français de l'assurance construction. Selon les chiffres communiqués par la Fédération française de l'assurance (FFA) le 22 décembre 2017, les prestations versées (paiements effectués sur des sinistres ainsi que les frais associés moins les recours encaissés) sont passées de 1 096 millions d'euros en 2 008 à 1 661 millions en 2016, soit une augmentation de 52 %. Ce chiffre représente une hausse de plus de 5 % par an du coût des sinistres. Il faut garder en tête que cette dégradation de la sinistralité est intervenue sur une période où l'activité du secteur du BTP a fortement ralenti ce qui a entraîné également une baisse sensible des primes. En effet, le marché de l'assurance construction a connu, sur cette même période, une baisse de son chiffre d'affaires de 16 %, passant de 2 501 millions d'euros à 2 095 millions d'euros.

La dégradation de la sinistralité confirmée par SMABTP

La sinistralité observée à la SMABTP est en hausse à la fois sur les risques en cours de travaux (accident sur chantier, incendie, erreur de conception, dommage aux avoisinants, etc… ) et après réception des travaux (il s'agit des sinistres décennaux qui mobilisent les garanties dommages ouvrage et responsabilité civile décennale).

Tous risques confondus, ce sont au total 107 000 sinistres ouverts en 2016 représentant une charge de 648 millions d'euros. On constate sur ces dernières années que la charge sinistre augmente alors même que le nombre de sinistres diminue. L e nombre de sinistres actuellement en cours (c'est-à-dire non encore réglés) s'élève à 145 000 pour un montant de plus de 3 milliards d'euros. Il peut donc en être déduit que les sinistres sont moins nombreux mais plus importants en coût.

Ainsi, pendant la période de crise du BTP, la charge des sinistres de l'année a augmenté de 56 % et le montant du stock de sinistres en cours de 1,3 milliard d'euros par rapport à 2008 (le nombre de dossiers s'élevait à 10 0 000 pour une charge d'environ de 1,8 milliard d'euros).

Le nombre de sinistres en cours de travaux est en diminution de 14 % du fait de la baisse d'activité du secteur, en revanche leur coût augmente de 71 %.

Les sinistres survenant après réception des travaux, mobilisant les garanties dommages ouvrage et responsabilité décennale, dérivent de + 24 % en 8 ans.

Les raisons de cette hausse de la sinistralité

Il est compliqué de connaître précisément les causes de cette dérive. Néanmoins, il est indéniable que la crise économique, qui a durement et durablement touché le secteur de la construction depuis 2008, a joué un rôle central.

En conséquence de la forte chute du nombre des mises en chantier (- 2 8 % sur cette période), la concurrence s'est accrue entre les entreprises tirant ainsi les prix vers le bas. Les entreprises se sont concentrées sur l'obtention de nouveaux marchés, relâchant leurs efforts sur le service après-vente.

Autre effet de la crise, certaines entreprises ont davantage recouru à la sous-traitance, parfois en faisant appel à des entreprises peu ou pas assurées. Dans ce cas, l'assureur de l 'entreprise principale se retrouve seul à régler le sinistre sans recours possible, ce qui augmente la charge de sa sinistralité.

La crise a par ailleurs cristallisé les antagonismes issus d'un sinistre. Les rapports entre les différents intervenants à l'acte de construire se sont tendus entraînant une hausse importante des dossiers contentieux au détriment d'une solution amiable. Ces sinistres ont un coût 7, 5 fois plus important en moyenne que les sinistres amiables, sous l'effet notamment de la multiplicité des réunions d'expertise, des intervenants et des délais beaucoup plus longs qui sont de nature à augmenter les préjudices immatériels.

La multiplication des normes réglementaires et les évolutions techniques, notamment issues de la RT 2012, participent à ce constat. Elles surenchérissent les coûts de construction et par voie de conséquence, les coûts des travaux de réparation des ouvrages ou de reconstruction par rapport aux coûts initiaux lors de leur construction.

Les innovations technologiques peuvent également être génératrices de sinistralité quand elles sont insuffisamment éprouvées ou mal maîtrisées. Par exemple, la recherche toujours plus optimisée de l'isolation thermique ou les désordres inhérents à la pose de carrelages scellés sur sous couche isolante peuvent s'avérer particulièrement pathogènes. Autre exemple, l'installation de panneaux photovoltaïques intégrés au bâti a connu une croissance très rapide entre 2010 et 2012 sous l'effet de fortes incitations fiscales. Indépendamment de la présence de certains installateurs opportunistes, le choix d'avoir privilégié le photovoltaïque intégré au bâti et les défauts en série de certains modules photovoltaïques ont entraîné des sinistres sériels consistant en des dysfonctionnements électriques ou des échauffements eux-mêmes pouvant provoquer des incendies ou des défauts d'étanchéité.

Enfin, ces dernières années, on a assisté à un développement d'assureurs opportunistes qui profitent du décalage entre l'encaissement des primes et le paiement des sinistres sans nécessairement provisionner les engagements qui en découlent. Ils ont pour cela détourné le régime européen de la Libre prestation de service (LPS), qui en soi ne pose pas de problèmes (voir encadré Libre prestation de service).

Comment inverser cette tendance négative ?

SMABTP, toujours soucieuse d'accompagner les entreprises du secteur de la construction, a décidé de continuer ses actions de prévention par l 'intermédiaire de sa fondation « Excellence SMA » ou en lien avec l'Agence qualité construction afin de suivre les évolutions de la sinistralité, des réglementations techniques ou des nouvelles pathologies.

Ainsi, des groupes de travail s e mettent en place entre organisations professionnelles, unions et syndicats de métiers afin de construire tous ensemble un dispositif capable d'enrayer cette évolution négative. L'objectif est de mettre davantage l'accent, là encore, sur la prévention, en prenant mieux en compte l'évolution des métiers et en valorisant les pratiques les moins « sinistrantes ».

Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent mettre en place le cadre permettant une véritable analyse de certains acteurs assureurs en situation financière incertaine par exemple en demandant que tous les assureurs quel que soit le pays d'origine respectent les normes comptables françaises de comptabilisation en capitalisation et de provisionnement des engagements.

Enfin, des réflexions doivent s'opérer autour du cadre juridique de l 'assurance de manière à permettre l a responsabilisation de tous les acteurs d'une opération de construction. Comme imaginé au départ par Adrien Spinetta, l'ensemble des intervenants doit avoir pour objectif la qualité du bâti et dans ce cadre subir les conséquences de ses choix ou de ses erreurs.

Par exemple, nous avons déjà évoqué le cas du défaut du produit pour lequel la responsabilité du fabricant sera rarement mise en jeu (par exemple s'il est en faillite ou encore si le domaine d'emploi du produit n'a pas été respecté). L'indemnisation des désordres sera faite par l'entreprise de bâtiment l'ayant mise en œuvre au titre de sa garantie décennale.

On peut aussi s'interroger pour savoir s'il est normal que les responsabilités dépendent davantage de la forme juridique du contrat que de la nature des travaux effectués (par exemple en maison individuelle entre VEFA et CCMI). C 'est également le cas des entreprises intervenant en qualité de sous-traitant. Il faut rappeler qu'un sous-traitant, parce qu'il n'est pas lié au maître d'ouvrage, n'est pas soumis à l'obligation d'assurance décennale. Il en découle que les garanties données par son contrat d'assurance peuvent être limitées alors même que parfois il exécute la totalité du lot initial. Un alignement de la nature et des montants de garanties chez tous les assureurs, que l'entreprise soit entreprise principale ou sous-traitant, semblerait utile.

Les choix des maîtres d'ouvrage influencent bien sûr énormément la conduite du chantier et la qualité de l'ouvrage. Il est fondamental que les études géotechniques soient réalisées à chaque fois que nécessaire et que l'étendue des missions des contrôleurs techniques (mais surtout leur contenu) se maintiennent à un bon niveau. Si la réduction de ces postes peut représenter des économies à court terme, son impact sera très significatif sur la non-qualité et, de manière certaine, in fine sur les conséquences financières indirectes pour le maître d'ouvrage. L'assurance évoluera probablement en ce sens en augmentant encore davantage les écarts de tarifs selon les actions de maîtrise du chantier.

La généralisation de l'obligation d'affecter les indemnités obtenues d'un contrat d'assurance construction à la réparation des désordres constatés devrait aussi pouvoir limiter les déclarations de sinistres abusives.

Dans ce cadre, il est également important que l'assureur dommages ouvrages joue complètement son rôle : il doit s'employer à une maîtrise des risques du chantier en analysant le dossier à la souscription et s'atteler à la réparation rapide des désordres, évitant la judiciarisation inutile des dossiers et la dérive des coûts.

Les perspectives pour les assureurs construction et SMABTP

Le contexte financier est compliqué pour les assureurs construction. Cela se matérialise déjà par la faillite constatée ou à venir des assureurs opportunistes. La charge de sinistralité des assureurs restants va mécaniquement augmenter du fait de la difficulté à exercer les recours contre les entreprises non assurées en dommages ouvrages ou en sous-traitance. Il ne faut cependant pas oublier que même si son assureur est en faillite, l'entreprise conserve la responsabilité décennale de son action et pourra donc subir directement les recours.

Pour éviter d'être mise en cause par leurs choix, les maîtres d'ouvrage doivent ainsi rester attentifs à la solidité financière de leur assureur ou encore à sa domiciliation (par exemple un assureur s'était basé à Gibraltar avec pour principal objectif de contourner les règles prudentielles françaises).

Au-delà de la hausse régulière des coûts moyens des sinistres et la baisse régulière des primes, le phénomène d'érosion des taux a amplifié les pertes du secteur. L'assurance décennale est gérée en capitalisation et par conséquent intègre les produits financiers des provisions dans l'équilibre technique des produits. En effet les taux à long terme ont perdus pendant la crise plus de 4 points. Compte tenu de la durée moyenne de règlement qui est de l'ordre de 8 ans, l'impact technique de l a seule baisse des revenus financiers correspondrait à une hausse des tarifs de l'ordre de 30 %.

Les assureurs construction qui ont cherché pendant la crise à développer leurs parts de marché vont donc subir et observer pendant plusieurs années les conséquences de la crise.

SMABTP a suivi et réagi progressivement aux enjeux de dérive de la sinistralité en anticipant ses impacts : nous voyons donc l'avenir plus sereinement.

La reprise de l'activité du BTP devrait se poursuivre et même s'accélérer en 2018. Ce contexte conjugué à la baisse des défaillances d'entreprises enregistrée en 2017 pourrait en effet avoir un impact favorable sur la sinistralité à l'inverse de ce qui a été observé pendant la crise.

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