Groupe Chavigny : " L'envie de progresser et d'avancer"

[Interview] Anne et Pascal Chavigny, dirigent depuis 1996 le groupe Chavigny, fondé par leur arrière-grand-père. L’entreprise familiale fête ses 120 ans cette année. Connue pour son activité de négoce en matériaux, elle développe de nombreuses activités dans le transport, les travaux publics… Retour sur une saga familiale du Centre de la France.

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Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher.

Le groupe Chavigny  fête ses 120 ans cette année. Vous avez officiellement succédé en 1996 à votre père à la tête d’un groupe fondé en 1896 par votre arrière-grand-père, Narcisse Chavigny.  Pouvez-vous nous rappeler la genèse et l’histoire de Chavigny ?

Anne Chavigny - L’entreprise Chavigny est née en 1896 à Thoré-la-Rochette, un petit village du Loir-et-Cher. Elle a été créée par notre arrière-grand-père, Narcisse Chavigny, et son beau-frère, Robert Pohu. A l’époque, ils exercent une activité de maçonnerie, de charretier, de fabricant de chaux… A son activité de maçonnerie et de charretier, Narcisse a ajouté celle de la carrière et de la taille de pierre. Puis de la préfabrication, d’abord à la main puis à la machine, de blocs pleins, à base de chaux d’abord, puis de ciment, pour alimenter son entreprise de maçonnerie. Le surplus des productions était vendu. Bref, il avait déjà initié un certain nombre d’activités que l’on retrouve encore aujourd’hui au sein du groupe, à l’exception du funéraire.

Et votre grand-père ?

A.C - Mon grand-père, André, a repris la société en 1936. C’est lui qui a développé l’activité transport en achetant le premier camion moderne. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise disposait de 8 camions ! Puis, avec les Trente Glorieuses, il a relancé l’activité : la préfabrication, le transport et le négoce en reprenant une agence à Montoire-sur-le-Loir. Mon grand-père avait pour habitude de répéter : « Un entrepreneur, c’est fait pour entreprendre !» Mon grand-père était quelqu’un qui osait.

Pascal Chavigny – Notre père, Pierre, lui a succédé en 1972. Il avait d’abord monté sa propre entreprise de transport en rachetant les camions de mon grand-père. Puis ils ont créé ensemble la société Chavigny et fils. Cette dernière rassemblait alors leurs activités.

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Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. (MAILLET, Florent (GRM-UZS))

Quel est le fil rouge de ce développement ?

P.Ch – L’envie d’entreprendre je crois, tout simplement.

Vous définissez-vous comme un groupe de négoce ou une société multispécialisée ?

A.C – Le négoce est effectivement prédominant en termes d’effectifs et de chiffre d’affaires (lire encadré). Mais nous nous définissons comme un groupe pluridisciplinaire. Nous sommes présents dans le transport, la carrière, les travaux publics, la fabrication de produit bétons, la fabrication de menuiserie et, même, la distribution de produits pétroliers depuis qu’une loi en 1961 interdit aux transporteurs d’acheter leur carburant en direct. Nous n’avons pas abandonné une activité pour une autre. Nous avons essayé de tout mener de front, même si ce n’est pas toujours simple.

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Anne Chavigny. Anne Chavigny. (MAILLET, Florent (GRM-UZS))

Vous avez tous deux pris la direction du groupe familial en 1996. C’était programmé ?

A.C –Nous sommes tombés dedans tout petits. On vivait dans cette entreprise avec nos parents. Lorsque nous sortions de l’école, on venait y faire nos devoirs…

Etait-ce une volonté de votre père, Pierre Chavigny, de vous installer tous les deux à la tête de l’entreprise ?

P.C - Oui. J’ai dit que je voulais bien y aller à la condition qu’Anne y aille aussi (sourires).

A.C - Dans un premier temps, je voulais voir et faire autre chose. Je suis partie travailler à l’étranger. Puis en 1989, mon père m’a appelée. Il voulait reprendre la société Chaux et Matériaux Amboise (CMA), mais ce rachat était conditionné à mon arrivée « officielle » dans le groupe. Je ne pouvais pas passer à côté de cette opportunité. Je préfère avoir des remords que des regrets.

« L’activité de la société a été multipliée par deux, tous secteurs confondus »

Un frère et une sœur dirigeant une entreprise familiale, ce n’est pas courant. Comment fonctionne votre binôme ?

A. C - Dans les faits, je m’occupe de la partie du négoce. Et Pascal de toutes les autres activités. Néanmoins, nous ne faisons rien sans l’autre. Nous sommes très proches. J’évite de le solliciter sur tous les détails … Mais si j’apprends des choses qui pourraient bénéficier à ses activités, je lui en parle. Et inversement. Nous partageons une grande confiance l’un envers l’autre, et nous nous connaissons bien. Cela aide à orienter les choses.

Vous êtes à la tête du groupe depuis 20 ans. Qu’est ce qui a changé depuis votre prise de fonctions ?

A.C – L’activité de la société a été multipliée par deux, tous secteurs confondus. Certes, il y a des activités moins développées que d’autres. Mais le contexte est très différent. Prenez le transport. On ne le traite plus comme il y a 20 ans. Les travaux publics sont devenus plus techniques. Idem pour La préfabrication. Et quant au négoce de matériaux… C’est toujours de la distribution mais ce n’est plus le même métier.

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Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. (MAILLET, Florent (GRM-UZS))

C’est-à-dire ?

A.C – A notre arrivée, on avait un certain nombre de cadres qui avaient grandi avec l’entreprise pendant les Trente Glorieuses. Ils avaient chacun développé leurs propres recettes dans leurs dépôts, à tel point que, parfois, les clients ne savaient pas que le site appartenait à notre groupe. Puis ces cadres sont partis à la retraite, et les choses se sont accélérées dans notre secteur. Le modèle du négoce a été discuté, remis en cause… d’autant qu’Internet a fait irruption au début des années 1990. Je me suis dit qu’il fallait être différent. Il a fallu remettre l’entreprise à plat et notre père, qui a toujours été présent pour nous conseiller, nous a laissé carte blanche. C’est aussi à ce moment, en 2001, que Serge Boutelant nous a rejoints. C’est une personne qui a une véritable vision du négoce. Et qui l’a toujours, aujourd’hui, en tant que directeur Développement & Prospective du Groupe Chavigny.

« Nous sommes structurés pour être au plus près des problématiques de chaque métier »

Comment est structurée votre société ?

A.C- Nous sommes structurés pour être au plus près des problématiques de chaque métier. Nous avons beaucoup de cadres (50 collaborateurs dans les fonctions supports, NDLR) et un directeur général par activité. Il y a un directeur transports, un directeur travaux publics… Ensuite, nous travaillons en équipe. Nous n’avons jamais pris une décision de manière autoritaire. Nous prenons la décision ensemble et nous y allons ensemble. Ensuite, même si nous sommes très disponibles - tous nos collaborateurs peuvent nous appeler - nous ne pouvons pas être partout, sur tous les sujets. Nos collaborateurs ont donc énormément d’autonomie. Enfin, nous restons très opérationnels.

P.C - Nous prenons les décisions stratégiques, mais nous aimons le terrain ! Et c’est essentiel d’y être pour se poser les bonnes questions.

Vous êtes cités par beaucoup comme un groupe de négoce innovant notamment en développant, bien avant la perspective d’une réglementation, une solution de récupération des déchets de chantier…

A.C – C’était un sujet qui touchait Pascal, spécialement dans le cadre des travaux publics pour récupérer les bétons, et qui le passionnait. Lorsque nous avons appris que cela allait être une obligation pour le négoce, nous avons été réactifs.

Comment en êtes-vous arrivés là ?

A.C – Lorsque l’on a de l’envie, aucun mur n’est insurmontable. Oui c’est compliqué, notamment parce que nous sommes face à de grands groupes, qui disposent de moyens beaucoup plus importants que les nôtres, pour travailler en amont et pour libérer des équipes nécessaires. Lorsque nous nous attaquons à un tel sujet, ce sont nos équipes qui, en plus de leur métier, y travaillent. Parce qu’ils ont envie de progresser et d’avancer. Prenez l’exemple de Réseau Energie Habitat (qui propose aux clients des solutions clés en main pour optimiser la rénovation énergétique, NDLR). C’est Serge Boutelant qui m’a présenté le projet, et m’a dit : « je pense que cela fait partie de nos grands défis demain, il faut que l’on soit dedans ». Il n’a pas eu besoin de passer six mois pour nous persuader. Et c’est lui qui a conduit le projet pour que le groupe Chavigny soit moteur dans la démarche.

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Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. Anne et Pascal Chavigny, dans les locaux du Groupe Chavigny, à Saint-Ouen, dans le Loir-et-Cher. (MAILLET, Florent (GRM-UZS))

Parlons de vos clients. Les artisans sont de plus en plus connectés, de plus en plus inconstants… Comment vous vous adaptez à cette mutation ?

A.C – Nous sommes à leur écoute et nous développons des outils qui leur permettent de nous retrouver sur Internet tout en continuant à développer notre réseau commercial. En effet, si internet est un bon vecteur d’informations, nos agences et nos commerciaux le sont aussi. Ils sont les dépositaires d’un savoir-faire. Je crois que la proximité et le contact humain sont primordiaux. Internet ne fera pas tout. On l’a constaté pendant notre dernière grosse opération commerciale annuelle, les « 6 jours pour tout rénover », début octobre. Pendant six jours, nos clients se sont déplacés en nombre. Cela prouve qu’ils ont besoin de contacts, besoin d’échanger et de confronter leurs idées. Le prix est une chose mais je pense qu’il n’y a pas que le prix. Certes, il y a de plus en plus d’affaires sur lesquelles il faut se battre mais, j'espère  qu'il y aura toujours aussi autre chose dans le négoce.

« Nous investissons beaucoup en amont des affaires, particulièrement auprès des prescripteurs et des maîtres d’ouvrages »

Justement comment développez-vous cette « autre chose », ce relationnel ?

A.C – En recrutant en permanence des commerciaux. Il faut être au contact des clients. C’est important car nous avons des messages à leur faire passer. Il ne faut pas attendre qu’ils aillent chercher l’information. Je pense aussi qu’il faut la leur apporter.

P.C – Par ailleurs, on investit beaucoup en amont des affaires, particulièrement auprès des prescripteurs, des maîtres d’ouvrages… en les rencontrant mais aussi en leur proposant des nouveaux produits et des nouvelles solutions. Notre objectif est d’être positionné dès que les choix se font, au niveau du négoce mais aussi de l’industrie.

Dans ce contexte, comment faites-vous pour impliquer tous les commerciaux ?

P.C - En organisant de grosses opérations commerciales comme celle citée précédemment en présence de tous nos commerciaux, du négoce comme de l’industrie. Ce type d’évènement est très fédérateur, car nos commerciaux n’ont pas l’occasion de se croiser souvent. Et cela se voit sur le terrain. L’effet démultiplicateur sur les affaires est énorme.

A.C - Nos salariés ont compris que nos clients font face à un ensemble de problèmes qu’il va falloir solutionner : les déchets, les agrégats… Avoir autant d’activités dans la société, c’était peut-être une contrainte, auparavant. Aujourd‘hui, c’est une opportunité.

Avez-vous pour objectif d’adjoindre de nouvelles compétences à votre réseau d’agences comme par exemple, d’intégrer l’électricité au sanitaire-chauffage ?

A. C – On regarde, d’autant que nous avons fait le choix d’apporter à nos clients des solutions transverses. Nous regardons de près tous ces genres de sujet.

« En négoce, nous ajustons le réseau s’il le faut pour permettre aux agences de se développer »

Afin d’améliorer votre relationnel, pensez-vous poursuivre le développement du réseau d’agences ?

A.C – On s’intéresse toujours à des reprises d’entreprises et à des développements. Nous avons quelques idées sur certains métiers. Mais en termes d’agences, c’est difficile : les opportunités se font rares. Maintenant, on est toujours intéressés, même si la tendance actuelle est de s’adapter aux réalités économiques. On ajuste le réseau s’il le faut pour permettre aux agences de se développer.

P.C – Des agences puissantes, c’est aussi le moyen de nous rapprocher de nos clients. Les grosses entreprises du bâtiment ont tendance à se concentrer dans certaines agglomérations. Il est donc important d’être proche de ces centres de décisions.

« Alteral – Le club Négoce, c’est un état esprit »

Vous êtes affiliés à de nombreux groupements et clubs. Pourquoi ?

A.C – Cela été initié par notre père, Pierre Chavigny. Il disait toujours : « je suis un multispécialiste. Je vais donc auprès de spécialistes pour être au plus près de la connaissance et de ce qu’il faut faire ». Nous adhérons à Astre pour les transports, Praxis pour le recyclage… Dans le négoce, nous sommes adhérents Algorel pour la partie sanitaire-chauffage, Cofaq pour la quincaillerie... On a été BigMat pendant plus de 20 ans. Puis avec Tanguy, Chrétien et Costamagna, nous avons créé Alteral, en 2004.

Avez-vous l’ambition de faire grandir Alteral ?

A.C – Non, ce n’est pas une fin en soi. On est partis à quatre, quatre personnes qui se ressemblaient et qui avaient les mêmes problématiques, les mêmes envies et, globalement, la même histoire. Union Matériaux nous a rejoints en 2008, puis Philomat en 2015… . Nous sommes six amis qui ont envie de faire progresser leurs sociétés, et qui échangent énormément quel que soit le sujet. Bref, Alteral – Le club Négoce, c’est un état esprit.

Le glissement de centrale de référencement à centrale d’achat va-t-il se faire ?

A.C – Alteral est et reste avant tout une centrale de référencement même si, de façon marginale, certains achats peuvent se traiter. Chacun garde son autonomie pour ses achats.

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Pascal Chavigny. Pascal Chavigny. (MAILLET, Florent (GRM-UZS))

Globalement, la baisse des prix est-elle devenue inquiétante dans le négoce ?

A.C – Oui. Les marges sont compliquées à tenir d’autant que nous apportons de plus en plus de services, de plus en plus de conseils, que nous essayons d’être au plus proche du terrain… A l’autre bout de la chaîne, le prix au m² n’augmente pas. Cela crée des référentiels… Automatiquement, c’est compliqué.  Alors aujourd’hui, on nous dit que l’activité reprend. C’est peut-être vrai, même si nous sommes dans une région, le Centre, qui a probablement encore plus souffert de la crise que les autres. Mais ce redémarrage se produit alors que nous comptons moitié moins d’entreprises du bâtiment qu’en 2007. On ne retrouvera pas les 30 % d’activité perdus en 7 ans.

Justement à terme, comment compenser ces 30 % de perte d’activité ?

A.C – Avec l’adjonction de métier que l’on ne fait pas, ou peu, ou mal. On ne peut plus traiter le commerce comme on le traitait il y a dix ans. Le métier est en train d’évoluer très vite, le marché et les habitudes aussi. Les gens veulent tout, tout de  suite. Et demain, il faudra encore plus : proposer les solutions et les services avant qu’ils ne les aient pensés ! Dans ce contexte, il va falloir être capable d’appuyer sur le bon bouton pour qu’effectivement le client ait l’impression qu’il a ce qu’il veut, au moment où il le veut. L’autre défi du négoce, c’est d’être  capable de concrétiser les ventes beaucoup plus vite. Tout s’accélère : il faut en être conscient et être capable de répondre à cela.

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