Vous venez de prendre vos fonctions de président fédéral à l’occasion du congrès de Cinov qui s’est tenu à Lyon la semaine dernière**. Qu’est-ce qui peut décider un ingénieur, qui préside par ailleurs un groupe d’ingénierie de 200 collaborateurs, à endosser la charge d’une organisation professionnelle nationale dans un contexte général de crise économique ?
Cet engagement est le résultat d’une démarche. Certains de mes confrères m’ont suggéré de me présenter à la présidence de Cinov dans la foulée du congrès de Deauville qui s’est tenu en 2011. Issu de l’ingénierie du bâtiment, je préside actuellement Sogeti ingénierie qui intervient dans plusieurs métiers du BTP. J’ai, par cette expérience, le goût pour traiter les problématiques qui lient ces différents métiers. J’ai également une certaine connaissance du terrain. Enfin, et c’est crucial, j’ai le soutien très actif de bon nombre de mes confrères, tous syndicats confondus.
Qu’attendez-vous de cet engagement à la tête de la première fédération de syndicats d’ingénieurs ?
J’espère apprendre beaucoup en rencontrant mes confrères, les membres des autres organisations professionnelles et des institutions. Je partagerai ce savoir avec nos adhérents car l’engagement syndical est aussi une forme de transmission. Il est un don de soi. La valeur professionnelle repose d’abord sur la richesse des relations humaines.
L’opportunité de présider la fédération s’est présentée au bon moment pour que je m’investisse dans une fonction plus importante que celle de président Cinov de la région Normandie. Dans ce type d’engagement, on reçoit souvent beaucoup plus qu’on ne donne.
« Adressons-nous aux 80 000 structures de la branche ingénierie et conseil »
Sur quel programme avez-vous été élu ?
Au-delà des représentations statutaires et paritaires, je veux répondre aux attentes des adhérents. Ma priorité est d’améliorer la représentativité de notre organisation au service de la promotion et la défense de nos métiers. Cela passe par l’augmentation du nombre de nos adhérents. Bien que ce nombre ait quadruplé en 6 ans, soit bientôt 3 000 membres, bien des progrès restent à faire pour nous adresser plus largement aux 80 000 structures de la branche ingénierie et conseil (dont 50 000 sociétés ayant au moins un salarié).
Je veux également valoriser nos 17 implantations régionales et faire jouer au maximum les synergies des métiers que nous agrégeons au sein de nos 12 syndicats de métiers. L’objectif est d’apparaître comme une fédération unie représentant les prestations intellectuelles et non plus comme une addition de syndicats représentatifs.
Comment parvenir à toucher davantage les bureaux d’études ?
Nous devons sans cesse affirmer les valeurs de nos métiers car l’ingénierie indépendante est mal connue. C’est un travail de communication tant vis-à-vis des donneurs d’ordre que des autres acteurs de la construction qui tentent, pour certains, d’intervenir sur nos métiers en situation de concurrence déloyale. Je pense notamment aux sociétés publiques locales qui recréent une ingénierie publique. Je pense également aux bureaux de contrôle qui s’attaquent aux missions de diagnostics qui relèvent de l’ingénierie… Nous devons discuter des limites de leurs champs d’actions pour éviter les conflits inutiles.
Cette reconnaissance doit également s’affirmer par exemple dans la relation avec les entreprises titulaires de contrats globaux où la prestation intellectuelle est souvent amenuisée…
Mais le rôle de Cinov est surtout de montrer les pistes pour aider nos adhérents à s’adapter aux évolutions du marché et à conquérir de nouveaux territoires d’action.
« La maquette numérique est extrêmement énergisante »
Quelles actions favorisant la conquête de nouveaux territoires comptez-vous mettre en œuvre ?
Je veux que nos adhérents s’emparent de la maquette numérique (Building information model) dont je suis un fervent partisan. La performance dans nos métiers se mesurant beaucoup dans le travail collaboratif, il est capital pour la qualité de la production à venir que nous maîtrisions ce nouvel outil. La maquette numérique est ni plus ni moins qu’un travail en réseau. Ce n’est pas seulement du dessin en 3 dimensions. Les « BIM manageurs » doivent être des membres de l’ingénierie et du conseil. La maquette numérique n’est pas réservée aux grands projets internationaux. Son utilisation doit se généraliser grâce à nous : cette perspective est extrêmement énergisante !
Ce mode de travail collaboratif peine-t-il à s’imposer ?
Il s’impose car il est au cœur de nos métiers. Cinov va d’ailleurs encourager les réseaux de compétences partagées. Soit officieuses, soit consolidées parfois derrière des marques, ces structures sont rassurantes pour les clients. Elles sont capables d’apporter une garantie de performance liée à leur pluridisciplinarité et au fait qu’elles savent travailler ensemble. Il s’agit de réseaux collaboratifs permettant à des petites entreprises d’attaquer des gros marchés, dans la logique d’un projet global. Il faut un meneur pour ce réseau, une « locomotive » capable d’orchestrer le travail des petites entités. Il peut être un spécialiste qui a développé une compétence d’ensemblier… Pour ceux qui se lancent dans cette aventure, c’est un changement de culture professionnelle qui fait appel à des qualités de manageur, de commercial… C’est aussi un métier qui attirera les jeunes ingénieurs.
Les jeunes ingénieurs se détournent-il de l’ingénierie indépendante ?
La pénurie de jeunes ingénieurs nous a poussés à intervenir dans les écoles dans les années 2000. Nos opérations d’information ont porté leurs fruits. Mais il faut aller plus loin et renforcer les liens avec les IUT et écoles d’ingénieurs, du monde du conseil et du numérique qui ne sont pas attirés naturellement par nos PME indépendantes. Les jeunes diplômés représentent en effet les forces vives de nos structures et à terme la relève. Sans jeunes entrant dans la profession, nous n’aurons personne à qui transmettre nos entreprises.
Nous avons besoin d’eux pour inventer nos futurs métiers…
Comment comptez-vous atteindre ces objectifs ?
Nous devons investir davantage dans une meilleure communication à l’intérieur de notre fédération, par un pouvoir accru des représentations locales et par davantage d’actions internes et externes menées en régions. Notre organisation fédérale doit désormais davantage travailler dans les régions. Je vais accroitre les actions entre la fédération et les entités régionales.
« Améliorons notre situation en adaptant nos expertises aux évolutions du marché »
Face à une conjoncture en berne, les bureaux d’études doivent-ils évoluer ?
Il n’y aura pas d’embellies durables. Nous améliorerons notre situation en adaptant notre expertise aux évolutions du marché. Cette règle d’or est particulièrement pertinente avec la crise économique actuelle. Une entreprise qui serait trop experte, et réduite à son métier historique, reste très fragile. C‘est d’autant plus vrai pour une expertise qui aurait peu évolué et qui se valorisera mal le jour de sa transmission. Mieux : nous devons anticiper les changements.
Je suis optimiste. Nos adhérents comprennent qu’il faut se former. C’est vrai pour l’expert reconnu, seul et spécialiste dans un domaine, comme pour des structures généralistes qui animent plusieurs compétences ou assument plusieurs métiers.
A nous de convaincre nos adhérents qu’ils doivent s’adapter en innovant. En créant les métiers de l’ingénierie de demain. Les attentes de nos clients évoluent : nous devons nous situer en amont de ces évolutions.
Quelles sont les qualités d’un bureau d’études gagnant ?
Le bureau d’études gagnant s’adapte au client. Pour cela, il est inventif et sait se rendre indispensable car innover c’est aussi susciter des besoins nouveaux. Il est aussi le garant de l’intérêt du client dans une relation de confiance. Enfin, il est l’expert dans son domaine. Ces trois qualités devraient lui permettent de se faire payer au juste prix.
Mais attention de ne pas vendre ce que l’on ne peut fournir : le bureau d’études ne peut garantir le résultat du constructeur. L’obligation de résultat est nécessairement obtenue grâce à la combinaison d’un maître d’œuvre, d’une entreprise et d’un maître d’ouvrage performants. Si l’un d’eux est défaillant, le résultat ne peut être atteint. Le bureau d’études est le promoteur d’un niveau de performance…
N’y a-t-il pas néanmoins une résistance des maîtres d’ouvrage à l’achat de prestations intellectuelles ?
C’est vrai, la prestation intellectuelle est bien souvent mal comprise. La problématique de nos clients est d’acheter de la meilleure façon le meilleur service. Bien souvent, ils sont habitués à ce que ce service soit compris dans le produit. Ce n’est pas le cas pour le bâtiment ou les infrastructures qui ont besoin qu’une ingénierie indépendante les aide à définir leurs besoins, le niveau d’exigence à atteindre et veille à une conception performante.
De plus, la prestation intellectuelle ne s’achète pas de la même façon qu’un produit de construction : nous devons travailler sur ce sujet. Les maîtres d’ouvrage ne doivent pas douter de notre légitimité lorsqu’ils nous versent des honoraires…
Pour améliorer la reconnaissance des entreprises de prestations intellectuelles, un rapprochement est-il nécessaire avec les autres composantes de la maîtrise d’œuvre ?
Nous travaillons souvent avec les organisations d’architectes et d’économistes sur des documents de travail communs. Nous savons nous parler et n’avons pas besoin d’une structure commune pour atteindre de meilleurs résultats… Demain, les prestataires seront architectes mais également ingénieurs, ingénieurs mais également économistes… Ils seront à multiples facettes et les clivages s’atténueront.