L’indispensable mais insuffisant barrage pour sauver Venise

Au fond de la mer, reposent 27 énormes coffres en béton qui constituent les 4 barrières du barrage devant protéger Venise de « l’acqua alta ».

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Acqua Alta In Venice
La place Saint-Marc à Venise, en période "d'acqua alta".

Jamais nom n’aura été aussi bien choisi pour un chantier. Ou au contraire sonné de manière plus ironique : le MOSE de Venise (acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico, en référence à la figure de Moïse dont le nom signifie « sauvé des eaux »), a pour objet de mettre la ville à l’abri du phénomène de « l’acqua alta », cette soudaine et régulière montée des eaux dont les conséquences sont de plus en plus destructrices et qui, à long terme, risque d’ensevelir la « Sérénissime ». Un chantier pharaonique au temps de réalisation biblique.

L‘idée est lancée au lendemain de « l’acqua grande » du 4 novembre 1966, l’une des pires inondations qu’ait subie la cité lacustre dans son Histoire avec une marée exceptionnellement haute de 194 cm.

Après deux décennies de débats, le projet est lancé en 1987 par l'intermédiaire du Consortium Venezia Nuova regroupant une cinquantaine d’entreprises locales. L’Etat italien finance alors son plus grand programme de défense, récupération et requalification environnementale jamais mis en œuvre. Il s’agit en effet d’implanter au fond des trois passes reliant la lagune à l’Adriatique, sur une largeur totale de 1600 m, 78 digues flottantes fixées à 156 charnières qui se lèveraient, fermant ainsi la lagune, dès que le niveau d’alerte, fixé à 110 cm, serait atteint. Une fois le danger passé elles reprendraient leur position initiale ayant contenu les effets amplificateurs des facteurs atmosphériques et météorologiques tels que la pression et l’action des vents comme la Bora  ou le Sirocco. Des digues qui ne sont qu’une simple partie d’un chantier dont les quelque 5000 ouvriers, au moment de sa plus intense activité, auront renforcé 45 km de plages, surélevé 100 km de rives habitées et 11 km de quai et aménagé 8 km de dunes côtières et 12 îlots lagunaires.

Coffre en béton du MOSE
Coffre en béton du MOSE Coffre en béton du MOSE

Des « bâtiments de 8 étages » au fond de la mer

Au fond de la mer, reposent 27 énormes coffres en béton qui constituent les 4 barrières du Mose (photo ci-contre© Mose).

Leurs dimensions, équivalentes à celles d’un bâtiment de 8 étages, varient : de 60 m de long, 48,3 m de large, 11,5 m de haut et 22 500 tonnes pour les plus grands, à 60 m de long, 36 m de large, 8,7 m de haut et 13 000 tonnes pour les plus petits. Ils constituent les socles des vannes mesurant entre 20 et 30 m de longueur, 20 m de largeur et environ 5 m d’épaisseur. Dès que l’alerte est lancée à l’annonce d’une marée haute trop importante, elles se soulèvent grâce à l’injection d’air comprimé qui chasse l’eau qui s’y trouve ce qui leur permet de pivoter sur leurs charnières. Une opération qui nécessite 30 mn.

Le fonctionnement du MOSE à Venise
Le fonctionnement du MOSE à Venise Le fonctionnement du MOSE à Venise (Naeblys - stock.adobe.com)

L’eau et les prix montent

Le MOSE, prévu pour prémunir Venise de marées hautes jusqu’à 3 m en tenant compte du réchauffement climatique, aurait été bien utile lors de la dernière grande Acqua Alta. En octobre dernier, 156 cm d’eau ont ainsi envahi la basilique Saint-Marc. La place sur laquelle elle se trouve est dix fois plus souvent submergée que dans les années 1930. Quant à la ville, le temps presse puisqu’en un siècle elle s'est enfoncée de 23 cm. Initialement tout devait être prêt en 2003 pour assurer son avenir. Une infrastructure d’une telle envergure ne peut évidemment faire l’économie de retards et de surcoûts mais là encore, le MOSE bat tous les records. L’inauguration n’a cessé d’être repoussée. Après 2011, elle doit avoir lieu à la fin 2021.

Il n’y a pas que les eaux qui montent dangereusement il y a aussi les sommes consacrées au projet. Le budget était de 1,5 Mds€ à l’origine. A terme, près de 6 Mds€ seront engloutis. D’autant qu’en 2014, un vaste scandale de corruption a éclaté, éclaboussant des dizaines d’entrepreneurs locaux et la quasi-totalité des responsables politiques de Vénétie, dont son gouverneur. D’après la justice italienne, les traditionnels jeux de surfacturations et de rétro commissions ont permis le détournement d’environ 1 Md€.

Le chantier pratiquement achevé

Aujourd’hui, après avoir été mis sous tutelle, le chantier est pratiquement achevé.  « Les scandales de financement ne retirent rien au savoir-faire technique inédit du projet, s’enorgueillit Mirco Angiolin l’un des responsables du chantier auprès de l’entreprise Comar. A l’inverse de ce qui se fait en Angleterre ou au Pays-Bas par exemple, ce barrage est immergé. C’est un défi qui suscitait des réserves mais que nous avons relevé et qui est aujourd’hui étudié avec intérêt. Nous sommes désormais à la phase des tests et de l’étude pour son entretien » Une cinquantaine de techniciens contrôleront 24h/24 le MOSE. Sa gestion sera également plus couteuse que prévue, 80 M€ par an au lieu des 20 M initialement envisagés. Certains éléments, sous l’eau depuis plusieurs années doivent déjà être nettoyés alors que le système n’est pas encore entré en fonction. Mais avant tout cela, il faut l’inaugurer et ne pas oublier que, bien qu’indispensable pour préserver Venise, le MOSE pourrait bien s’avérer insuffisant pour la sauver. Il n’empêche en effet ni l’affaissement du sol, ni la circulation excessive dans la lagune ni sa submersion de vagues de touristes irrespectueux.

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