Les visages sont tendus. Sur leurs traits juvéniles se mêlent stress et excitation. Ils attendent ce jour depuis des mois, et tous ont le regard tourné vers la scène, impatients. Après le roulement de tambour, le résultat tombe : les deux Polonaises, Anna Toborek et Joanna Machera, remportent la finale du concours d’architecture Saint-Gobain Multi Confort 2019, organisée à Milan le 7 juin 2019.
Emues, très surprises et presque tremblantes, les deux jeunes architectes reçoivent leur prix des mains de Pierre-André de Chalendar, le PDG de Saint-Gobain. Pour elles, c’est l’aboutissement d’un long parcours : le concours a démarré par une première étape nationale en octobre 2018, où elles faisaient face à plus de 2200 candidats de 34 pays différents. Leur projet a été retenu pour ensuite affronter la phase internationale qui, elle, a rassemblé 60 équipes et 125 étudiants.
Milan : une vitrine pour Saint-Gobain
Pour la 15e édition de cette compétition destinée aux étudiants en architecture et en ingénierie et qui vise à développer un projet répondant aux critères "multi confort" de Saint-Gobain (thermique, acoustique, esthétique et environnemental, avec un air intérieur de qualité) c'est Milan, après Madrid et Dubaï, que Saint-Gobain avait choisi. D’abord pour « le rôle de l’Italie dans l’architecture au cours des siècles », explique Pierre-André de Chalendar. Mais aussi « pour la présence importante de Saint-Gobain dans le pays », ajoute-t-il. Le groupe s’y est installé en 1889 en ouvrant sa première usine de verre à Pise et y compte au total 24 sites de production qui emploient aujourd’hui 2100 salariés. Depuis 2010, l’entreprise a investi plus de 300 M€ pour accroître sa productivité et renforcer sa compétitivité sur le marché. A Milan, le groupe a réalisé les rénovations de monuments emblématiques : le Cordusio 2 ou l’ancien Pallazzo delle Poste. Même la Galleria Vittorio Emanuele II a ses vitraux estampillés Saint-Gobain.
Enfin, ultime raison de choisir Milan pour le concours, la vision "Milan 2030". Ce programme municipal doit assurer une croissance inclusive de la ville pour l’adapter au changement démographique. D’ici 2030, les plus de 85 ans et les 19-34 ans seront de plus en plus nombreux. La mairie de Milan veut donc faire de sa ville un centre interconnecté, attractif et plus respectueux de l’environnement. « Un projet ambitieux qui rejoint la manière dont Saint-Gobain voit l’urbanisation durable » assure Pierre-André de Chalendar avant d’annoncer que l’année prochaine, les candidats devront plancher sur Paris.
L’environnement : un critère déterminant pour le jury
Le défi pour les étudiants était donc de proposer un projet de réhabilitation et de reconnexion urbaine du quartier Crescenzago dans le cadre de Milan 2030. Une zone qui affronte deux problèmes majeurs, dont les projets devaient tenir compte explique Jean-Luc Gardaz, directeur général de Saint-Gobain méditerranée : « les habitants se sentent exclus et privés de services publics et de magasins, et ils sont confrontés à une forte pollution à cause du métro en surface ». Le projet de rénovation concerne trois lots différents impliquant le développement d’un nouveau quartier avec ses infrastructures, ses logements et ses espaces publics. Et c’est l’importance accordée à l’environnement qui a été déterminante pour le choix des vainqueurs.
Anna Toborek et Joanna Machera ont proposé un projet intitulé "Co.living". Est-ce la cohabitation des deux amies en résidence étudiante ou les caractéristiques du concept qui ont déterminé ce nom ? Si des espaces de cohabitation sont bien prévus pour les jeunes Milanais, avec des dortoirs et des aires de loisirs partagées, ce n'est pas là que réside l'originalité du concept. Son vrai atout ce sont ses tours, implantées sur les espaces résidentiels qui nettoient l’air du quartier. Anna Toberk explique : « Nous avons étudié ce qui existe déjà aux Pays-Bas. L’air entre dans la tour et ressort plus propre ». « D’environ 7m de haut, ces « Smoke free towers » sont sur les résidences et à proximité des aires de végétation » complète Joanna Machera. Un design audacieux qui, assure Leopoldo Freyrie, architecte milanais et membre du jury, a été déterminant dans leur victoire. « Ces tours ne sont pas habitées mais réduisent la pollution. Le projet est fort et courageux et montre que l’architecte a un rôle actif à jouer pour résoudre les problèmes environnementaux ». A ces tours s’ajoutent plusieurs aires d’activité, des cours avec jardins et un système de déplacements par vélos. Pour la touche française : les bâtiments qui mêlent bureaux et logements ont été inspirés par Le Corbusier.
Le concours : un coup de pouce en début de carrière
Anna Toborek et Joanna Machera espèrent que leur victoire dans ce concours boostera leur début de carrière. Tout juste diplômées d’un master de l’université de la Silesian Université of Technology, les amies de longue date rêvent de créer leur propre cabinet d’architecture. Avant cela, elles feront un stage chez des architectes italiens, l’une des récompenses du concours. La mention de leur victoire sur leur CV est aussi une ligne non négligeable car la compétition est reconnue parmi les professionnels de l’architecture. Mais surtout, une partie de leur concept figurera dans le cahier des charges du programme municipal de rénovation du quartier Crescenzago publié en septembre. Les appels d’offres suivront ensuite. Le dessin passera donc, en partie, du papier au chantier.
Soulagées, les deux jeunes femmes savourent l’aboutissement des « ces longues heures de travail, parfois des nuits, à échafauder le projet » soupire une Anna Toborek fatiguée. Des efforts qui paient, puisqu'elles remportent enfin le concours après deux participations infructueuses. Et c'est aussi une première victoire pour la Pologne, ce qui renforce leur fierté. « Nous avons été soutenues par notre professeur Andrzej Dude qui a cru en nous et en notre projet » ajoute en souriant Joanna Machera. Et il a eu raison.