La coexistence de la convention de groupement avec le marché

-Les dispositions de la convention de groupement sont inopposables au tiers qu'est le maître d'ouvrage.

Les groupements d'entreprises, nés au lendemain de la Seconde guerre mondiale afin de réaliser les grands travaux de la reconstruction, n'ont pas connu de consécration légale à l'instar de la société, de l'association ou du groupement d'intérêt économique. C'est la raison pour laquelle la nature juridique de ces unions est restée assez longtemps floue et qu'elles ont eu du mal à trouver leur identité par rapport au marché de travaux pour la réalisation duquel elles sont constituées.

Alors qu'en matière de sous-traitance, le caractère distinct du sous-traité par rapport au marché a toujours constitué une évidence, il n'en a pas toujours été ainsi pour la convention de groupement par rapport au marché.

Caractère distinct de la convention de groupement par rapport au marché

C'est l'idée de fusion entre cette convention et le marché qui a accompagné les débuts de la pratique de la co-traitance. Cela s'explique tout d'abord par le fait que l'administration, qui a encouragé la pratique de la co-traitance, s'est surtout préoccupée d'établir des cahiers des charges types tendant à organiser soigneusement les rapports entre les maîtres d'ouvrages et les co-traitants plutôt que les rapports des entrepreneurs groupés entre eux.

Certaines clauses de ces cahiers des charges types donnaient nettement l'impression que le marché ne gérait pas seulement la relation « verticale » existant entre le maître de l'ouvrage et chacun des co-traitants, mais également la relation « horizontale » existant entre les entrepreneurs groupés eux-mêmes. Ce qui a également gêné le développement des conventions écrites entre les co-traitants, c'est l'idée que les relations qu'ils entretiennent au sein du groupement n'ont pour seule consistance que le mandat donné par les entrepreneurs groupés au mandataire commun. D'ailleurs, certaines conventions s'intitulaient « accord mandat » tendant ainsi à consacrer l'idée selon laquelle le contrat de mandat embrassait l'ensemble des relations internes des groupements d'entreprises, ce qui n'est pourtant pas exact, les groupements d'entreprise étant faits d'un tissu d'obligations diverses, de faire ou de ne pas faire, qui ne relèvent pas toutes du domaine du contrat de mandat.

L'émotion créée par l'émergence de la jurisprudence qui tendait à assimiler les groupements d'entreprises à des sociétés créées de fait à partir de 1957 (1), l'intervention des fédérations professionnelles pour créer des modèles de conventions, puis la présentation d'un projet de loi en 1976 (2) visant à donner un statut aux groupements momentanés d'entreprises, ont contribué à mettre nettement en évidence l'existence de deux contrats distincts.

Il convient de faire remarquer que la convention de groupement peut parfaitement contenir des clauses qui sont différentes de celles contenues dans les pièces du marché. Ainsi la convention de groupement peut accroître les tâches de tous les entrepreneurs groupés ou de certains d'entre eux. A titre d'exemple, le CCAG de 1976 ne prévoit pas que le mandataire d'un groupement d'entreprises solidaires ait à assumer des tâches de coordination des travaux. Cependant la convention de groupement peut mettre ces obligations à la charge du mandataire afin d'établir un organe renforcé qui se chargera de tâches complémentaires d'intérêt commun. De même, rien ne s'opposerait à ce que certains des co-traitants qui, envers le maître de l'ouvrage, ne sont tenus qu'à l'exécution de leur part de travaux, se voient confier, au sein du groupement, des tâches particulières de coordination, d'établissement de plans et de suivi des plannings ou bien des tâches de gestion d'un compte prorata (3). Cela pourra être le cas pour des travaux d'une certaine importance qui nécessitent une forte organisation.

De même que la convention de groupement peut accroître les tâches des entrepreneurs groupés, elle peut, en principe, les diminuer. Cependant, il résulte du principe de l'effet relatif des contrats (4) qu'une réduction des obligations du groupement ne serait pas opposable au maître de l'ouvrage. Ainsi, pour un marché passé avec des entrepreneurs groupés solidaires, la clause d'une convention de groupement qui limiterait les effets de la solidarité à la période d'exécution des travaux, ne permettrait pas aux entrepreneurs de voir éluder leur obligation solidaire, au titre de la garantie décennale concernant le marché, cette clause étant inopposable au maître de l'ouvrage.

Dans le même ordre d'idée, la répartition des travaux effectuée entre les entrepreneurs au sein du groupement, ne peut faire échec à l'engagement solidaire que ceux-ci ont souscrit, pour l'ensemble du marché envers le maître de l'ouvrage. La juridiction administrative a eu l'occasion de se prononcer à ce sujet : le Conseil d'Etat dans un arrêt du 27 septembre 1985 (5), ainsi que le tribunal administratif de Paris dans une décision particulière nette du 30 août 1957 : « ... si les travaux ont été, pour des raisons d'ordre pratique, répartis entre elles par les trois entreprises sus-désignées, cette situation de fait ne saurait avoir pour effet de modifier les dispositions du marché qu'ont souscrit ensemble lesdites entreprises liées conjointement et solidairement à l'Administration » (6).

S'il est admis que la convention de groupement est distincte du marché de travaux, est-ce à dire qu'elle ne présente aucun lien avec celui-ci ? Cela serait particulièrement étonnant dans la mesure où la convention de groupement est établie afin de permettre la réalisation du marché de travaux.

Caractère subordonné de la convention de groupement par rapport au marché

La convention de groupement est loin d'être étrangère au marché. Si les entrepreneurs conviennent de conclure une convention de groupement, c'est pour permettre à chacun d'eux de réaliser, selon des modalités définies dans la convention de groupement, une partie de l'ensemble du marché. Cela se traduit, dans les conventions de groupement, par la présence de clauses faisant expressément référence au marché.

Ainsi, à titre d'exemple, dans le modèle de convention de groupement d'entreprises solidaires proposé par la FNTP et par la FNB (7), il est assigné comme but à ce document « de définir les modalités de fonctionnement du groupement constitué entre les entrepreneurs solidaires pour la passation et l'exécution du marché ». On retrouve de semblables dispositions lorsque l'on analyse les conventions de groupement établies dans la pratique pour l'exécution des marchés privés aussi bien que pour l'exécution des marchés publics. Dans ces conventions figurent, par exemple, des clauses ainsi libellées : « Les entreprises se constituent en groupement d'entreprises conjoint en vue de l'obtention et de l'exécution des travaux relatifs à ... » ou bien encore : « La présente convention a pour but de fixer les conditions liant entre elles les entreprises engagées solidairement pour la réalisation des travaux de ... ».

Il résulte des pratiques adoptées par les entrepreneurs pour la création d'une convention de groupement, que l'existence de la convention est subordonnée à l'obtention du marché par les entrepreneurs groupés. En effet, les entrepreneurs qui souhaitent répondre à un appel d'offres sous la forme d'un groupement d'entreprises se rapprochent afin d'établir une offre en commun.

De façon parallèle à leur offre, les entrepreneurs groupés établissent, le plus souvent, une convention préliminaire dans laquelle ils conviennent de rédiger une convention de groupement définitive dans le cas où le marché leur serait attribué. A défaut, pour les entrepreneurs groupés, d'obtenir le marché, la convention de groupement préliminaire deviendrait caduque et, naturellement, aucune convention définitive ne serait établie.

De manière plus générale, la validité d'une convention de groupement est liée à la validité du marché qui lui sert de support. Ainsi, dans une espèce où un marché était passé sur appel d'offres restreint (8), il était prévu que les travaux pourraient être dévolus, soit par lots séparés, soit à des entrepreneurs groupés. Le marché fut attribué à un groupement d'entreprises dont toutes les entreprises n'avaient pas préalablement été admises à présenter une offre. Un des entrepreneurs qui avait présenté une offre de façon individuelle pour un lot séparé et qui avait été écarté, obtint devant le Conseil d'Etat la nullité du marché. En conséquence la convention de groupement privée du support que constituait le marché, ne pouvait survivre (9).

Dès lors qu'un marché a été obtenu régulièrement par les entrepreneurs groupés, le caractère subordonné de la convention de groupement par rapport au marché, se manifeste encore par la présence de clauses destinées à permettre le fonctionnement de la convention de groupement au regard du marché.

La durée de la convention de groupement est liée à la durée de la réalisation des travaux faisant l'objet du marché. Chacun des entrepreneurs groupés est tenu d'exécuter de façon complète sa part de travaux pour permettre la livraison de l'intégralité de l'ouvrage prévu par le marché. Afin de permettre le règlement des travaux, la convention prévoit l'ouverture d'un compte commun, lorsque le marché est passé avec des entrepreneurs groupés solidaires. Elle prévoit l'ouverture de comptes séparés par chacun des entrepreneurs, lorsque le marché est passé avec des entrepreneurs groupés conjoints.

Un mandataire commun sera nécessairement désigné dans la convention de groupement, dès lors que cela est prévu dans le marché.

Une clause de la convention de groupement fait écho généralement aux dispositions du marché concernant l'engagement solidaire de tous les entrepreneurs groupés ou du seul mandataire. Il en est de même pour les diverses garanties (garantie de parfait achèvement, garantie décennale ...) dues par les entrepreneurs groupés au titre du marché.

Dans le domaine des marchés privés, lorsqu'il existe dans le contrat d'entreprise une clause attributive de compétence, la convention de groupement renvoie souvent à la même juridiction que celle prévue dans le marché. Lorsqu'il existe dans le marché une clause d'arbitrage, la convention de groupement renvoie aussi souvent au même tribunal arbitral que celui défini dans le marché.

(1) Voir Cassation Com., 19 octobre 1959, D. 1960, p. 205, note SAVATIER, JCP 1960 II no 11432 obs. Dejuglart, Rev. Soc. 1960, p. 193 et p. 295. C.A. Riom, 24 octobre 1962, D. 1962, p. 767. Puis on assista à un reflux de cette jurisprudence, voir notamment Cassation Com., 24 octobre 1966, 2 arrêts, Bull no 404 p. 354, D. 1967 p. 370, JCP 1967 II no 15099, note R.D.M. (2) Projet de loi no 2432 relatif au contrat de groupement momentané d'entreprises déposé à l'Assemblée nationale le 29 juin 1976. (3) Voir notamment sur cette notion, J. Montmerle, le compte prorata dans les travaux de bâtiment, AJPI 1963 p. 945. (4) V. l'article 1165 du Code civil et J.L. GOUTAL, « Essai sur le principe de l'effet relatif du contrat » LGDJ 1981.(5) Conseil d'Etat, 27 septembre 1985, JCP 1986 II no 20618, note B.M. Bloch. (6) Tribunal administratif de Paris, 30 août 1975, Sieur Reynes, Rec. p. 779. (7) Modèle de convention de groupement momentané d'entreprises conjointes et modèle de convention de groupement momentané d'entreprises solidaires de la Fédération nationale des travaux publics et de la Fédération nationale du bâtiment (édition 1993). (8) Dans un marché sur appel d'offres restreint, l'appel d'offres proprement dit est précédé d'un appel public de candidatures, au terme duquel est établie une liste de candidats qui sont seuls admis à présenter une offre. Voir les articles 96 et suiv. et 298 bis et suiv. du Code des marchés publics. (9) Conseil d'Etat, 9 décembre 1987, req. no 70836, « Le Moniteur » du 15 avril 1988, CJEG, mars 1988, p. 103, note F. Moderne.

L'ESSENTIEL

»C'est l'idée de fusion entre la convention de groupement et le marché qui a accompagné les débuts de la pratique de la co-traitance.

»Mais la convention de groupement, notamment sous l'impulsion des fédérations professionnelles, a pu conquérir son autonomie.

»Toutefois, établie en vue de la réalisation du marché, la convention de groupement conserve un caractère subordonné par rapport à celui-ci.

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