Au travers de la maquette numérique, le BIM est un processus collaboratif regroupant les différents acteurs de l'opération. La maquette numérique contient la représentation du projet dans toutes ses dimensions (architecturales, techniques, fonctionnelles…), lesquelles ont, pour la plupart, une vocation évolutive. L'un des intérêts majeurs réside dans les données qui composent cet outil. Celles-ci vont être utilisées, de manière partagée et mutualisée, pour concevoir et réaliser l'ouvrage, puis pour le gérer, l'exploiter et, le cas échéant, le faire évoluer tout au long de sa vie.
Processus d'intégration. Tous les intervenants, à chaque étape du processus, alimentent la maquette des données relevant des missions qui leur sont confiées et qui sont de leurs compétences. Selon leur nature, mais aussi selon la phase du processus (en conception, en exécution des travaux, pour la maintenance et l'exploitation de l'ouvrage, et ses adaptations éventuelles au fil du temps), les données ainsi fournies auront un caractère informatif ou bien seront utilisées et/ou intégrées par d'autres intervenants dans le cadre de la réalisation de leurs propres prestations.
Le partage, comme la mutualisation des données, qui participent de la nature même et du fonctionnement du BIM, peuvent susciter des craintes ou pour le moins des interrogations légitimes du fait, pour l'essentiel, des risques de réutilisation, voire d'appropriation. Afin de protéger leurs données, les acteurs disposent de plusieurs outils, en fonction de la nature des éléments qu'ils fournissent et produisent.
La protection des données personnelles
Le régime de protection des données personnelles est issu du RGPD (règlement général sur la protection des données), réglementation européenne (1) applicable depuis mai 2018, protégeant la vie privée et définissant lesdites données comme « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ».
Transparence et consentement. Les principes posés sont les suivants : les données personnelles doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente, exclusivement aux fins clairement déterminées. La teneur des données utilisées doit être en adéquation avec l'objectif recherché de même que la durée de leur traitement. La personne doit autoriser l'utilisation de ses données, à moins que celles-ci ne soient nécessaires (notamment pour un motif légal) ; cette personne dispose d'un droit de retrait permanent de son consentement. La transparence du traitement des informations et l'accès à celles-ci sont exigés à son profit, et la personne (même après avoir donné son consentement) dispose d'un droit de rectification et d'effacement.
Enfin, il convient de souligner qu'un dispositif précis doit être mis en place par l'entité qui utilise ces données afin de veiller à l'application permanente des modalités à respecter.
Le BIM exploitation-maintenance est susceptible d'intégrer des données de type personnel
Dans le cadre d'un processus BIM, la phase de conception et de réalisation de l'ouvrage ne requiert pas, a priori, l'utilisation de données revêtant les caractéristiques de données personnelles, à l'exception de l'identité des personnes participant à l'opération. Il s'agira plutôt de données architecturales, techniques, fonctionnelles, économiques… non attachées, à titre personnel, à des individus déterminés (même si elles peuvent leur être attachées au titre de la propriété intellectuelle).
Exploitation-maintenance. En revanche, le BIM exploitation-maintenance est susceptible d'intégrer ce type d'informations, à l'occasion, par exemple, de la gestion de parcs immobiliers de bureaux et/ou de logements, ou encore de la maintenance d'un établissement public.
Dans ces hypothèses, les principes et les contraintes évoqués devront être pris en compte tant au stade de l'établissement de la maquette exploitation-maintenance initiale qu'au stade de son utilisation. Ainsi, le prestataire qui doit livrer une telle maquette numérique devra avoir veillé au respect des dispositions visées ci-dessus concernant les données personnelles intégrées (accord, limitation, transparence…).
Il devra également attirer l'attention du client-maître d'ouvrage auquel la maquette est destinée sur ces principes, et celui-ci devra les respecter et/ou les rendre opposables à ses propres prestataires extérieurs assurant l'exploitation- maintenance de son ouvrage et susceptibles d'alimenter la maquette avec des informations nouvelles qualifiables de données personnelles. Les documents contractuels (contrats et convention BIM) sont les outils permettant de formaliser la gestion de ces sujets pour les maîtriser et anticiper toutes difficultés.

Hébergement européen. Aujourd'hui, le RGPD est incompatible avec la législation américaine résultant du Cloud Act et permettant (dans certaines circonstances) l'accès des autorités, en cas d'enquête, aux données hébergées par les sociétés américaines pour le compte de leurs clients (y compris européens). Dans l'attente d'un éventuel accord entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur ce point, la solution d'un hébergement européen des données est celle qui permet de respecter le RGPD.
Propriété intellectuelle
Certaines des données partagées et contenues dans la maquette numérique sont par ailleurs protégées au titre de la propriété intellectuelle.
Droits de propriété industrielle. La maquette (à tous ses niveaux de développement) peut tout d'abord comporter des données relevant de la propriété industrielle, car comportant des procédés brevetés (2) ou des dessins et modèles protégés (3).
Par définition, ces procédés et documents graphiques ont fait l'objet de dépôt auprès des instances compétentes (l'Institut national de la propriété industrielle en France) et de la délivrance d'un titre ; leur titulaire bénéficie d'un monopole d'exploitation. Aussi, leur utilisation sans son accord préalable est-elle passible de sanctions tant civiles (cessation de l'utilisation et indemnisation du préjudice subi) que pénales (contrefaçon).
Pour la bonne fin de l'opération en BIM, il sera donc nécessaire de prévoir (dans le contrat du titulaire des droits de propriété industrielle) et de rendre opposable à tous les intervenants (dans la convention BIM) l'existence du monopole et des limites de la cession ou concession des droits d'utilisation consentie, en principe restreinte au cadre et aux besoins directs de l'opération. L'étendue de la cession devra prendre en considération spécifiquement la phase d'exploitation-maintenance. Il faudra être attentif pour permettre, si nécessaire au regard des objectifs et des besoins, l'usage de ces données protégées au cours de cette phase.
Droit d'auteur. La maquette contient également, à tous ses niveaux de développement, des données protégées au titre du droit d'auteur. Cette protection ne nécessite aucune démarche préalable (ni dépôt ni obtention de titre). Pour être protégée, une œuvre de l'esprit doit être formalisée (les idées et les concepts ne sont pas protégeables) et originale (sa forme ne doit pas être induite par les besoins auxquels elle répond ou par les contraintes de toute nature auxquelles elle doit se conformer).
L'auteur d'une telle œuvre dispose des droits d'exploitation (4) sur celle-ci (droits patrimoniaux de reproduction et de représentation), ainsi que du droit moral (5) [droit au nom, à la paternité et au respect de l'œuvre]. La violation de ces droits, c'est-à-dire l'utilisation des œuvres sans accord et cession de droits (étant précisé que, en la matière, aucune cession tacite ne peut être retenue), et le non-respect du nom et de l'œuvre sont, comme pour ce qui concerne la propriété industrielle, sanctionnés pénalement et civilement.
En conséquence, en BIM, il s'agira tout d'abord d'identifier les données concernées. Ce seront essentiellement (mais pas uniquement, puisque des données plus techniques par exemple peuvent bénéficier de la protection si elles sont originales) celles relatives aux conceptions architecturales, de design, paysagères, d'aménagement… Elles figureront dans la maquette, notamment sous forme de textes, dessins, plans, croquis et représentations de l'ouvrage. Leurs producteurs seront considérés comme auteurs - au sens de la propriété intellectuelle - et pourront opposer à quiconque (y compris aux intervenants et au client bénéficiaire) les droits ci-dessus évoqués.
Pour sécuriser le processus, des clauses de cession des droits seront insérées dans les contrats des intervenants concernés ; leur contenu et leur objet seront adaptés aux besoins de l'opération et aux objectifs du process BIM.
La convention BIM mentionnera, pour les rendre opposables à tous les intervenants, ces données et leur statut (intégrant le droit moral au nom et au respect de l'œuvre), ainsi que les utilisations qui peuvent en être faites, à l'exclusion de toute autre et à la mesure des cessions consenties.
Les bases de données, qui font l'objet d'une protection spécifique au titre du droit d'auteur, ne sont pas évoquées ici. En effet, cette protection concerne (sous des conditions déterminées) le « contenant » des données (en BIM, il s'agit de la maquette numérique) et non les données elles-mêmes qui conservent leur statut propre.
Le secret des affaires et la concurrence déloyale
Le secret des affaires et la concurrence déloyale constituent également des outils susceptibles de protéger les données de la maquette.
Secret des affaires. En 2018, une directive européenne transposée en France a conduit à insérer dans le Code de commerce des dispositions (6) visant à la protection de l'information qui « revêt une valeur commerciale effective ou potentielle, du fait de son caractère secret » et dont le détenteur/producteur a pris « des mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ». C'est-à-dire, a minima, qu'il n'a pas déjà lui-même divulgué ou laissé divulguer ces informations.
Parasitisme. En outre, la concurrence déloyale et, plus précisément, le parasitisme peuvent être invoqués. Il s'agit d'une pratique consistant pour une entité économique à utiliser les résultats des investissements d'un tiers (sans que soit requise la dimension du secret).
Les données mutualisées contenues dans la maquette numérique ne sont pas appropriables du fait de leur accessibilité
L'utilisation de procédés (au sens large) résultant du travail et des efforts de tiers est donc potentiellement sanctionnable au titre de l'un ou l'autre de ces principes et concepts reconnus. Les données mutualisées contenues dans la maquette numérique, même non spécifiquement protégées par ailleurs, ne sont donc pas appropriables du fait de leur accessibilité. Il semble utile de le rappeler dans les contrats de chacun et dans la convention BIM en précisant de manière claire le cadre exclusif de leur usage. Ces prescriptions pourraient être complétées par une clause de confidentialité, dont la pertinence est toutefois discutable, notamment en phase exploitation-maintenance.