Le débat sur l'obligation, ou non, de mettre les dossiers de consultation des entreprises (DCE) à disposition dès la publication de l'avis de marché (AAPC), même en procédure restreinte, serait-il sur le point d'être clos ? Un petit changement rédactionnel à l'occasion de la codification des textes de la commande publique semble aller dans le sens d'une telle obligation. La question n'est en tout cas pas dénuée d'impact sur le plan pratique. Car alors, les opérateurs économiques pourraient disposer très en amont de tous les éléments d'information leur permettant de décider de candidater. Pour les acheteurs, maîtres d'œuvre et AMO, cela impliquerait un changement organisationnel : ils devraient finaliser le DCE avant de publier l'AAPC, sans pouvoir le peaufiner pendant la phase de candidature.
Réforme de 2016. Petit retour en arrière. Avant la réforme des marchés publics de 2016, il était acquis réglementairement que la mise à disposition du DCE pouvait être réalisée après la sélection des candidats. Puis l'article 39 du décret marchés publics (DMP) du 25 mars 2016 est venu énoncer que « […] cette mise à disposition s'effectue sur un profil d'acheteur à compter de la publication de l'avis d'appel à la concurrence […] ». Ce qui a pu être interprété comme généralisant l'obligation, même en procédure restreinte, de mettre à disposition tout le DCE dès la publication de l'AAPC.
Cette rédaction est fondée sur celle de l'article 53 de la directive marchés publics du 26 février 2014 : « Les pouvoirs adjudicateurs offrent, par moyen électronique, un accès gratuit, sans restriction, complet et direct aux documents de marché à partir de la date de publication d'un avis […] ». Ces dispositions précisent en outre, s'agissant des procédures restreintes, du dialogue compétitif, des partenariats d'innovation et des procédures avec négociation, que les invitations des candidats à présenter leurs offres ou à participer au dialogue « mentionnent notamment l'adresse électronique à laquelle les documents de marché ont été mis directement à disposition […]. Les invitations sont accompagnées des documents de marché, lorsque ceux-ci n'ont pas fait l'objet d'un accès gratuit, sans restriction, complet et direct, pour les motifs énoncés à l'article 22, § 1, 2e ou 3e alinéa, et qu'ils n'ont pas déjà été mis à disposition par d'autres moyens ». Cela laisse à penser que seuls les motifs justifiant l'absence de mise à disposition électronique des DCE peuvent permettre de déroger à l'obligation de publication dès la mise en ligne de l'avis ; ces motifs sont d'ailleurs repris à l'article 41 du DMP (et aux articles R. 2132-12 et R. 2132-13 du Code de la commande publique [CCP] entrant en vigueur le 1er avril).
Controverses. Les opinions sont divisées sur ces dispositions. Pour certains, elles n'empêchaient pas de maintenir le principe d'une transmission dans un second temps du DCE aux seuls candidats retenus, en se fondant sur l'article 56 du DMP. Celui-ci prévoit que les invitations aux candidats comprennent notamment : « 6° L'adresse du profil d'acheteur sur lequel les documents de la consultation sont mis à disposition des candidats. » D'autres ont vu une contradiction entre l'article 56 et l'article 39, et ont conclu à une prévalence de ce dernier.
Pour enrichir le débat, la Direction des affaires juridiques de Bercy, dans son « Guide très pratique de la dématérialisation des marchés publics pour les acheteurs - version 3 » (p. 19), précise qu'une mise en ligne partielle des DCE est possible « pour les procédures restreintes ou négociées ».
Code de la commande publique. Il faut noter que l'article 56 du DMP n'est pas accordé, au sens propre, avec la directive, puisqu'il mentionne l'indication de l'adresse où les documents « sont » disponibles, alors que le texte européen vise celle où les documents « ont été » mis à disposition. Or, les rédacteurs du CCP ont opéré un changement de temps : l'article R. 2144-9 du code reprend la rédaction de l'article 56 du DMP, à l'exception du verbe « sont » qui devient « ont été ». Il faut probablement y voir une volonté de clore ce débat, qui avait d'ailleurs fait l'objet de contributions à l'occasion de la consultation menée sur le projet de code. On en déduit que les DCE doivent être mis en ligne dès la publication des avis, sauf exceptions expressément et limitativement visées aux articles R .2132-12 et -13. Reste à voir comment concilier l'opinion des rédacteurs du code et celle des rédacteurs du « Guide très pratique de la dématérialisation »…
A titre exceptionnel, si les contraintes opérationnelles ne permettent pas de mettre à disposition le DCE complet dès l'AAPC, un document de consultation devra indiquer le maximum d'informations disponibles. Il appartiendrait alors aux candidats désirant contester leur éviction de démontrer en quoi les éléments livrés ne leur auraient pas permis de déterminer avec suffisamment de précision le périmètre de leur prestation au point d'avoir illégalement justifié le rejet de leur candidature.